Boston Consulting Group : les ressorts du rouleau compresseur
Le BCG est devenu le premier cabinet de conseil en stratégie en France. Plusieurs raisons l’expliquent, indique à Consultor la dizaine de partners que nous avons interrogée parce qu’ils connaissent le cabinet de l’intérieur ou en sont les concurrents. Notre enquête à lire.
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L’année même de l’anniversaire de ses 50 ans de présence en France, le Boston Consulting Group annonçait en juin son déménagement dans un nouveau siège parisien, après 13 années passées au 24 rue Saint-Dominique.
Le BCG ne part pas loin : direction le 75 avenue de la Grande Armée, l’ancien siège de Peugeot, avec une avalanche de gros chiffres à la clé. Les 1 200 collaborateurs du cabinet y sont réunis ; 200 salles de réunions et 20 espaces de rencontres ou dédiés à la créativité ont été aménagés ; 2 500 m2 de terrasses et de jardin ; 250 places de vélo…
Des bureaux bien plus grands que la concurrence
Au total, ces nouveaux bureaux mesurent 20 000 m2. Un chiffre particulièrement remarquable parce qu’il permet de faire des comparaisons. Car avec 20 000 m2, le BCG occupe donc à présent des bureaux 4 fois plus importants que ceux que McKinsey va quitter, et deux fois plus gros que ceux dans lesquels la firme s’apprête à emménager. Ils sont également 4 fois plus importants que la taille des locaux de Bain avenue Kléber, et bien plus grands que ceux de Roland Berger ou d’EY-Parthenon.
D’ailleurs, le BCG prenait soin, en annonçant son déménagement, d’indiquer que sa nouvelle adresse « illustre la forte croissance de ces 10 dernières années ». C’est factuel : le BCG est le cabinet de conseil en stratégie le plus développé de France, et de loin. Ainsi que nous le confirme un des nombreux partners – certains actifs au BCG, des « ex » et des concurrents – qui nous ont répondu pour cette enquête.
« Je partage le constat que le BCG s’est davantage développé que ses concurrents, et que McKinsey en particulier, mais je ne me suis jamais posé la question des raisons de cette évolution », dit une de ces sources.
Les chiffres qui témoignent d’un développement plus rapide
L’objet de notre article est de donner quelques pistes d’explication.
Les chiffres d’abord. Ceux historiques du Guide du conseil en management qui, depuis plusieurs décennies, demande à échéances régulières aux cabinets de conseil en stratégie et management leur niveau d’activité.
À cette question, en 2000, Bain disait moins de 50 millions d’euros à Paris, le BCG de l’ordre de 50 millions d’euros et McKinsey 100 millions d’euros. Dix ans plus tard, en 2010, McKinsey indiquait 200 millions d’euros, le BCG 150 et Bain 100. En 2017, la donne avait changé : le BCG atteignait les 300 millions d’euros, McKinsey était toujours autour de 225 millions d’euros et Bain autour de 120 millions d’euros.
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« E-business », « la nouvelle économie », « stratégie des systèmes d’information »… exhumer vingt-cinq années de propositions commerciales dans le conseil en stratégie a un côté doucement sépia, et surtout très instructif sur les tendances qui ont marqué le secteur.
Grosso modo : il y eut un avant et un après la bulle internet, un avant et un après le rachat d’A.T. Kearney par la SSII américaine EDS, l’entrée puis la sortie d’Altran chez Arthur D. Little, puis globalement une croissance variable mais constante de leur activité et de leurs effectifs, indépendamment des cycles macroéconomiques.
Ce sont des ordres de grandeur imprécis, mais ils donnent une tendance assez claire. Ils sont a fortiori confirmés par des chiffres récemment publiés par les cabinets eux-mêmes. Ainsi, le BCG déclare-t-il 376 millions d’euros de CA en 2020 en France et 499 millions en 2021 (voir ici). Quand McKinsey aurait réalisé 329 millions d’euros en 2020 en France (chiffre commission d’enquête du Sénat) et sa dirigeante en France, Clarisse Magnin-Mallez, évoquait à l’été 2022 de son côté un volume d’activité de 450 millions d’euros en France.
Autres chiffres, même tendance – d’autant plus surprenante que, mondialement, McKinsey pèse nettement plus lourd que le BCG (16 milliards de dollars de CA pour l’un contre 12 pour l’autre). Pourquoi une pareille inversion de la vapeur en faveur du BCG ?
BCG, les raisons de la croissance
Il y avait la raison indiquée voilà quelques années à Consultor par le fondateur du Guide du conseil en management, Jean-Baptiste Hugot : « Le shift vis-à-vis du BCG a dû se faire voilà quelques années quand le BCG a obtenu plusieurs gros contrats dans la banque [comme l’intégration de Fortis au sein de BNP Paris par exemple, NDLR]. »
Mais pour bien comprendre la raison de cette inversion, il faut aller plus loin. C’est du moins ce que défend une autre de nos sources.
Prisme européen d’emblée et stabilité du partnership
« Quand on parle du développement du BCG en France, il y a un truc que l’on rate souvent selon moi. Quand le BCG se crée, il se développe très vite vers l’Europe. Cela le différencie beaucoup de McKinsey par exemple dont la culture américaine est beaucoup plus prédominante. Paris a été le 4e bureau du BCG après Boston, Londres et Tokyo. Cela lui a donné une valence européenne quasi immédiate. Paris a été la plateforme du cabinet en Europe continentale à partir de laquelle les bureaux de Bruxelles et Milan ont ensuite été développés », développe notre interlocuteur.
En effet, le BCG ouvre un bureau dans la capitale française en 1973, 10 ans après sa fondation aux États-Unis. Son grand concurrent, McKinsey, l’avait fait 10 ans plus tôt, en 1964… mais quasi 40 ans après sa création en 1926 sur le territoire américain. « C’est une grande différence. Le BCG à Paris a bénéficié d’un départ lancé », juge une de nos sources. Et encore aujourd’hui, la culture de McKinsey semble beaucoup plus américaine et les réels centres de décisions de la firme se situent outre-Atlantique, quand le pouvoir apparaît beaucoup plus distribué au BCG.
Autre facteur évoqué : « C’est un bureau qui n’a pas eu à subir des spin-offs ou des départs en masse. Le partnership y est plutôt stable et solide. »
Omniprésence dans les grands comptes
Ces deux facteurs expliqueraient plusieurs des leviers de croissance du cabinet. Son omniprésence auprès d’un certain nombre de grands comptes français : Carrefour, Suez-Veolia, Renault, Air France, Sanofi, ou encore les Mulliez. Il n’est pas rare que l’un ou l’autre des partners du BCG soit le consultant de confiance de X ou Y comex des groupes du CAC 40, et ce sur le long terme.
« Là encore, il y a un énorme poids de l’histoire. Des partners qui restent en place grandissent avec certains comptes qu’ils connaissent parfaitement », souffle une de nos sources.
Investissement dans des activités, des marques et des personnes
L’ancrage européen précoce du BCG explique aussi des investissements opérés par le cabinet dans certains secteurs ou dans certaines personnes.
Ce fut le cas par exemple de Didier Ribadeau-Dumas. L’énarque fut longtemps actif au ministère de l’Économie et des Finances, notamment en tant qu’ancien sous-directeur du Trésor avant de prendre la direction générale d’une banque du groupe CIC.
En 1989, il entre au BCG, dont il deviendra le monsieur banques et assurances. 10 ans plus tard, début 2000, Libération note que le même Didier Ribadeau-Dumas, « un sympathique moustachu au visage rehaussé d’un nœud papillon », participe tous les vendredis matin depuis 6 mois au comité de rapprochement de BNP et de Paribas. « Le BCG contrôle le respect des procédures et du timing », écrit le quotidien.
Une logique d’investissement qui explique aussi comment, dans plusieurs domaines, Paris compte plusieurs partners leaders mondiaux de leur champ d’expertise. C’est le cas de Benjamin Entraygues, arrivé de Roland Berger en 2017 où il était senior partner. Il est aujourd’hui le global leader du conseil aux fonds de private equity. Il se murmure que, les bonnes années, il ramène au cabinet plusieurs dizaines de millions d’euros d’honoraires. « Le BCG a pris des risques et investit sur des profils », appuie une autre source.
Une logique d’investissement qui prévaut aussi dans la foultitude de marques que le cabinet a fait fleurir à Paris. Prenez votre respiration : Gamma, pour les data analytics ; Platinion, pour tous les sujets technologiques ; Brighthouse pour la stratégie de marque ; BCG Digital Ventures, studio d’incubation et d’innovation ; Turn pour le retournement ; TUNED by BCG pour les sondages d’opinion au service des entreprises après le rachat de la start-up GOV ; Inverto pour les achats ; CO2 AI sur les bilans carbone (qui vient de prendre son envol) ; BCG X tout récemment… Cela étant dit, seulement une partie a été créée à partir de la France, les autres étant seulement des développements internationaux répliqués en France. Et les concurrents du BCG ne sont pas non plus en reste sur la création de marques, de services ou de practice. Donc l’argument ne vaut pas totalement.
Le tout est complété d’acquisitions parfois significatives, comme lorsque le BCG a mis la main sur l’entreprise suisse de conseil spécialiste de la réduction de l’empreinte carbone des organisations, Quantis.
Ou comme le dit un patron de cabinet dans la concurrence : « De l’extérieur, on constate qu’ils font tout type de conseil : de la stratégie, un peu, à l’IT, en passant par l’organisation et la transformation. Bref, comme Accenture, mais à des prix de cabinet de strat’. »
Exhaustivité. C’est aussi un des avantages compétitifs que défendait Guillaume Charlin, l’ancien patron du BCG à Paris lorsqu’il avait été entendu par la commission d’enquête du Sénat : « Nous avons trois types d’expertise au sein de notre cabinet : des expertises dites sectorielles – la santé, la distribution, les télécommunications… –, des expertises dites fonctionnelles – les achats, la production, le marketing, le commercial… –, des expertises technologiques – la data science, les ERP, l’ingénierie logicielle… Nous sommes l’un des rares cabinets de la place à toutes les avoir sous le même toit. »
Dans le secteur public, le BCG à l’ombre de McKinsey
D’ailleurs, côté activité secteur public, si la polémique a brandi McKinsey en étendard, le BCG n’est, là non plus, pas en reste. Un partner de la concurrence présent à Choose France, l’opération de promotion de l’économie tricolore voulue par Emmanuel Macron, se souvient que le président de la République avait débuté son allocution en saluant le rôle joué par le BCG (le cabinet était intervenu en amont de l’événement).
C’est également le BCG qui avait été mandaté pour juger de la crédibilité des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’État – prenant une volée de bois vert à l’occasion, son rapport étant jugé partiel et partial.
Et si Jean-Christophe Gard, un autre managing director et senior partner du BCG à Paris, défendait à l’Assemblée que cette activité est minime, « de l’ordre de 1 % de notre chiffre d’affaires en moyenne sur les dix dernières années et une part inférieure à 1 % de notre chiffre d’affaires sur les cinq dernières années », il reconnaissait une logique d’investissement, là aussi, notamment dans le recrutement de profils de hauts fonctionnaires. Car qui dit haut fonctionnaire recruté, dit autant de cartes d’entrée potentielles dans nombre de grands groupes, dont certains sont anciennement publics, et donc habités par des légions d’énarques ou de profils équivalents.
Ce dont la récente arrivée d’un ex-conseiller d’Emmanuel Macron est la énième illustration. Avant elle, quelques occurrences de mouvements entre la haute fonction publique et le BCG ont pu être notées (auprès de l’ex-Première ministre et au Trésor). Puis, le cabinet compte toujours parmi ses senior advisors l’ancienne haute fonctionnaire Agnès Audier, qui siège par ailleurs dans pléthores de gouvernances d’organisations privées et publiques. Et, enfin, le cabinet reste actif dans le secteur public puisqu’il est notamment un des trois cabinets détenteurs du lot de conseil en stratégie auprès de l’État sur le marché-cadre 2023-2027 – là où McKinsey a fait le choix de se retirer complètement de ses activités dans le secteur en France.
La bonne réputation du BCG
Malgré tout cela, le BCG passe inaperçu. Pourtant, le BCG a aussi ses casseroles. Pourtant, son omniprésence peut agacer jusqu’au dernier degré les salariés de ses clients (voir les commentaires ici), et jusqu’à certains membres de comex qui n’ont pas de mots assez durs pour ces partners qui ont parfois un badge de l’entreprise et y sont comme à la maison. Pourtant, la « BCG-mania » a même pu coûter sa place à certains dirigeants.
Pourtant, pourtant et pourtant… le BCG passe crème : « McKinsey est davantage affublé d’un agenda politique, un logiciel libéral qu’il chercherait à imposer, notamment du fait du McKinsey Global Institute qui est proéminent. Le BCG est davantage vu comme un artisan business, même s’il a des instituts équivalents à McKinsey, mais moins connus », analyse une autre source.
Autre piste d’explication avancée par un autre observateur : « Il y a quelque chose dans la posture du BCG qui est très différente de celle de McKinsey qui est, elle, réputée très intrusive auprès des actionnaires quand il intervient dans une boîte, ce qui met parfois les clients en sandwich entre McKinsey et les owners. »
La culture du BCG, autre facteur de succès
Au-delà, une autre explication de l’écart creusé par le BCG repose peut-être sur sa culture d’entreprise. « Dans le conseil, vous avez dans certains cabinets la culture de “la bite et du couteau”, pour le dire grossièrement. Puis la culture industrielle que le BCG incarne au plus haut point. Cela veut dire que, du consultant junior à l’associé, tout le monde fonctionne de la même manière. Il y prévaut une homogénéité des comportements impressionnante. Si un partner X appelle tout le monde la veille pour dire qu’il a un empêchement le lendemain, vous aurez immédiatement trois personnes le doigt sur la couture pour le remplacer au pied levé, même si cela veut dire faire cinq heures d’avion », témoigne une autre de nos sources.
Même son de cloche d’un autre qui voit dans la fidélité, l’exigence, le relationnel, les objectifs chiffrés donnés à chaque partner tous les ans parmi les facteurs clés de sa réussite.
« Ce sont des gens qui travaillent, qui sont sérieux, qui sont dédiés à leurs clients. Personnellement, ils m’ont beaucoup apporté. Intellectuellement, j’ai le sentiment d’y être arrivé avec le niveau et d’être reparti au niveau 10 », témoigne une troisième personne.
Autre raison, corollaire des précédentes. Qui dit implantation historique forte, dit réseau d’anciens étoffés qui deviennent autant de clients fidèles. Ou autant de futures recrues comme quand le BCG s’est tourné vers le CEO de Naturalia, un ancien de la maison, pour prendre les rênes de Quantis.
Rattrapable, le BCG ?
Dans la concurrence, à présent, la lucidité prévaut quant à la longueur d’avance prise par le BCG. Ou comme le dit un partner, qui y est passé avant de rejoindre un autre des MBB : « Bien sûr, dans les concurrents directs du BCG, il y a la volonté de croître plus vite. Sera-t-il pour autant rattrapable ? À court terme, je ne crois pas. »
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commentaires (5)
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France
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.
- 15/10/24
Début octobre, deux nouveaux partners ont disparu de la liste des associés de la Firme : Guillaume de Ranieri, poids lourd du cabinet où il évoluait depuis 24 ans, et Xavier Cimino, positionné sur une activité stratégique.
- 07/10/24
Doté d’un parcours dédié presque exclusivement au conseil (BCG, Kearney, Accenture - entre autres), Mathieu Jamot rejoint le bureau parisien de Roland Berger.
- 03/10/24
Depuis avril 2024, les arrivées se succèdent : après Jean-Charles Ferreri (senior partner) et Sébastien d’Arco (partner), Thierry Quesnel vient en effet renforcer les forces vives, « pure strat » et expérimentées, d’eleven.
- 02/10/24
Minoritaires sont les cabinets de conseil en stratégie à avoir fait le choix de s’implanter au cœur des régions françaises. McKinsey, depuis les années 2000, Kéa depuis bientôt 10 ans, Simon-Kucher, Eight Advisory, et le dernier en date, Advention… Leur premier choix, Lyon. En quoi une vitrine provinciale est-elle un atout ? La réponse avec les associés Sébastien Verrot et Luc Anfray de Simon-Kucher, respectivement à Lyon et Bordeaux, Raphaël Mignard d’Eight Advisory Lyon, Guillaume Bouvier de Kéa Lyon, et Alban Neveux CEO d’Advention, cabinet qui ouvre son premier bureau régional à Lyon.
- 23/09/24
Retour sur la dynamique de croissance externe de Kéa via l’intégration capitalistique de Veltys – et le regard du PDG et senior partner de Kéa, Arnaud Gangloff.
- 23/09/24
Astrid Panosyan-Bouvet, une ancienne de Kearney, et Guillaume Kasbarian, un ex de Monitor et de PMP Strategy, entrent dans le copieux gouvernement de Michel Barnier, fort de 39 ministres et secrétaires d’État. Bien loin des 22 membres du premier gouvernement Philippe ; ils étaient 35 sous le gouvernement Attal.