Enquête : plongée dans la clientèle de McKinsey en France

La majorité des informations ci-dessous sont issues de données compilées par le Centre for Climate Reporting (CCR), un collectif de journalistes d’investigation, et analysées par l’équipe de Consultor. Elles proviennent des déclarations d’intérêt de McKinsey dans le cadre de ses missions de restructuring – sur la période 2014-2023 – auprès notamment de l’État de Porto Rico, de Pacific Gas&Electricity Corporation ou de LATAM Airlines.

Qui figure parmi les clients du géant du conseil – en France ?

Entre 2021 et 2023, 15 grands groupes et/ou fonds d’investissement ont assuré une part significative des revenus de McKinsey France, à raison de 1 à 5 % minimum de ceux-ci, chacun. Si l’on prend comme point de repère le chiffre d’affaires réalisé par le cabinet dans l’Hexagone en 2021 – 450 millions d’euros (et en supposant que l’activité du cabinet a été stable ou en progression en 2022 et 2023), chacun de ces clients lui a donc rapporté entre 4,5 et 22,5 millions d’euros par an.

Les secteurs les plus représentés sont les services financiers (Allianz, AXA, Crédit Agricole), la santé/pharma (GSK plc, Sanofi, Sanofi Pasteur), le private equity (Ardian, Eurazeo) et l’énergie/environnement (General Electric, TotalEnergies).

Par ailleurs, 4 de ces 15 « fidèles » du cabinet ont contribué de façon significative à ses revenus durant deux années de suite : Accor, Capgemini, Sanofi et Solvay. Ceci alors qu’une période d’un an et demi – comme ce fut le cas d’Atos, AXA, Airbus, Eurazeo et Total – correspond déjà à un accompagnement dans la durée, moyennant des équipes significatives.

Dans le cas de Sanofi, on note que le géant de la pharma était également l’un des plus gros clients des entités suisse et polonaise de McKinsey entre mars 2021 et février 2022 (pour 1 à 5 % du chiffre d’affaires). Idem pour Airbus, le constructeur aérien ayant alimenté le chiffre d’affaires de McKinsey Allemagne à hauteur de 1 à 5 %.

Atos, plus gros client de McKinsey France sur la période 2022-2023

Atos a en effet contribué aux revenus du cabinet à hauteur de 5 à 10 % – soit, potentiellement, 22 à 45 millions d’euros minimum – d’avril 2022 à mars 2023 et de novembre 2022 à octobre 2023. Il s’agit là uniquement des revenus pour les bureaux français alors que, sur la même période, le groupe apparaît également comme l’un des plus gros contributeurs dans deux autres pays, l’Inde et Israël (1 à 5 % du chiffre d’affaires local). Le départ de Rodolphe Belmer, éphémère CEO de l’ESN française jusqu’en juillet 2022 et alumnus du cabinet, n’a donc pas éteint les dépenses de conseil.

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Focus sur les groupes du CAC 40

Sans surprise, McKinsey conseille bon nombre de ses membres, 29 très précisément. Des filiales de ces grands groupes sont très souvent concernées également : le champion en la matière se nomme AXA (24 mentionnées), suivi de BNP Paribas (14), Crédit Agricole (7), BPCE (7), Capgemini (6), Total (6) et Airbus (5).

Côté énergie, tous les « grands » du secteur sont au rendez-vous : TotalEnergies, Engie, Air Liquide, Veolia, et deux acteurs majeurs de l’écosystème énergétique, Schneider Electric et Legrand. Hors cotation boursière, EDF fait aussi partie des clients de McKinsey, tout comme Suez.

Autres cartons pleins, l’aéronautique & la défense avec Airbus, Safran, Thales (et MBDA, filiale commune d’Airbus, BAE Systems et Leonardo) ou les TMT - Bouygues Telecom, Dassault Systèmes, Orange sans oublier, sur la dimension médias, Vivendi.

McKinsey conseille par ailleurs chaque acteur - unique au sein du CAC 40 - des secteurs tourisme & loisirs (Accor), immobilier (Unibail Rodamco Westfield), et distribution avec Carrefour. Dans ce secteur d’ailleurs, hors groupes cotés, Casino a été client en France, ainsi qu’au Brésil, où le groupe a généré 1 à 5 % des revenus du cabinet. Ses difficultés dans l’Hexagone ont occasionné de nombreuses missions de conseil en stratégie, au-delà du seul McKinsey.

Quid des services financiers ? AXA, BNP Paribas et Crédit Agricole répondent à l’appel tout comme, dans la santé/pharma, Sanofi et EssilorLuxottica, et dans les services, Capgemini et Publicis Group.

Quant aux acteurs français du luxe, seul Kering remonte dans ces déclarations. LVMH, Hermès et Pernod-Ricard n’y figurent donc pas – contrairement à leurs concurrents Richemont, Bacardi ou Ferrari…

Parmi les autres absents de cette base de données, dans l’automobile, on remarque Stellantis – Renault et Michelin cochant, pour leur part, la case « client ». Toutefois, Fiat y figure bien, en amont du rapprochement avec PSA.

STMicroelectronics pour l’industrie, Teleperformance dans les services, Eurofins Scientific côté pharma et, dans les services financiers, Société Générale ainsi qu’Edenred, complètent le panorama des « absents », dans les déclarations que nous avons pu consulter.

Impossible néanmoins d’affirmer que les entreprises ne figurant pas dans cette base n’ont pas fait appel à McKinsey. Par ailleurs, selon le géant du conseil US, la notion de « client » dans ces documents doit être entendue au sens large : il s’agirait d’organisations « auprès desquelles le cabinet a sollicité des contrats ou d’organisations-cadres ayant des liens avec les clients » de McKinsey.

Un scope qui s’étend des plus grands aux plus petits

Si l’on en croit ces déclarations d’intérêt, la clientèle du cabinet comporte aussi des PME et startups.

Hy24 en fait partie, 45 experts industriels et professionnels de la gestion d’actifs dédiés à l’hydrogène, tout comme Ornikar, dédié à l’apprentissage en ligne de la conduite, ainsi qu’une startup de la healthtech, Remedee Labs. Cette dernière a obtenu en 2022 de la Food & Drug Administration (FDA) le statut de « dispositif innovant » pour sa solution de prise en charge des patients souffrant de fibromyalgie.

Et du côté des 50 plus grandes entreprises mondiales…

… le tableau de chasse est bien rempli : 37 d’entre elles ont été conseillées par McKinsey durant les périodes observées. Quelques noms connus manquent à l’appel : Netflix, Nvidia ou Adobe, ainsi que les géants français du luxe LVMH et Hermès.

Sur ce scope mondial, parmi les aficionados de la « machine de guerre » stratégique McKinsey, on retrouve, dans des secteurs variés : The Coca-Cola Company, Nestlé, Samsung Electronics et Chevron (1 à 3 % des revenus de McKinsey US entre janvier 2021 et août 2022) – ainsi que leurs filiales. Walmart, Johnson & Johnson, Industrial and Commercial Bank of China et PepsiCo ou encore Microsoft, sont également consommateurs du conseil calibré par la Firme.

Et c’est le cas d’autres mastodontes mondiaux, au-delà de ces 50 « top entreprises » : Walt Disney notamment ou Boeing Company (1 à 3 % des revenus de McKinsey US entre janvier 2021 et août 2022).

Un donneur d’ordres inattendu : Elon Musk

Tesla a fait partie des entreprises accompagnées par McKinsey. À l’international, le cabinet conseille des marques telles que Volkswagen, Hyundai, Ford et Mercedes-Benz, entre autres. Rien d’étonnant donc a priori.

Pourtant, en mai 2018, Elon Musk s’était emporté contre les consultants – et des employés de Tesla jugés « oisifs » –, qualifiant les premiers de « sangsues ». Dans les déclarations d’intérêt, le constructeur de voitures électriques apparaît néanmoins à deux reprises. Faut-il y voir l’impact – modérateur – du français Jérôme Guillen, nommé président de la division Automobile de Tesla par Elon Musk en septembre 2018 ? Ce dernier avait passé 3 ans chez McKinsey de 1999 à 2002.

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