Explosion des rémunérations dans le conseil en stratégie
+8 à +20 % des salaires fixes et variables, maximisation des bonus, ouverture générale du capital à tous les grades… Pour relever les défis de la croissance, de la rétention, de la perte de sens, les cabinets font tourner la planche à billets. Non sans risque.
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Prenez une industrie du consulting qui, courant 2021, tablait sur une croissance de +11 % par rapport à 2020 et de +3 % en 2019 (chiffres Syntec Conseil qui couvrent plusieurs des cabinets du guide de Consultor.fr), prenez les tonnes de missions que les cabinets de conseil en stratégie doivent staffer et ajoutez des recrutements à couteaux tirés. Mélangez bien !
Et dégustez une très forte attractivité dans le conseil en stratégie dont la traduction concrète et immédiate est la pression à la hausse sur les salaires des consultants. Dans les couloirs des bureaux parisiens de plusieurs gros cabinets parmi les mieux cotés, le sujet est très récurrent.
Ainsi d’un partner d'un des trois MBB (McKinsey, Boston Consulting Group, Bain) qui a requis l’anonymat et qui évoque les très nombreuses sollicitations reçues par les consultants de la part de la concurrence. Il parle par exemple « des offres de package à 90 000 euros par an » ou encore « des offres de voiture de fonction à deux ans d’expérience pour des consultants à Paris ».
Et quand ce ne sont pas les cabinets concurrents qui recrutent, ce sont des start-up cumulant des levées de fonds colossales, en capacité de surenchérir sur les prétentions salariales des consultants en stratégie. « Je constate que les consultants seniors et les managers sont très convoités par les start-up », confirme ce même partner.
Un manager dans un des cabinets du top 3 entend par exemple rejoindre une start-up ou une scale-up à des conditions très avantageuses. « J'ai déjà été approché par des entreprises de la tech. Quand j'évoque un salaire supérieur à 100 000 euros, cela ne les freine pas du tout. Il suffit de voir les montants qu'elles lèvent », pointait le futur ex-consultant dans les colonnes du Figaro le 24 janvier 2022.
À la connaissance d’un des consultants interrogés par Consultor dans les MBB, « tous les cabinets parlent d’augment’ de salaire ». McKinsey, Bain, Monitor…
Sur le sujet,"radio moquette" diffuse à fond. Ainsi sur certains forums où les consultants partagent les politiques salariales de leur cabinet. On y apprend que, chez Bain, 15 % de rémunération fixe supplémentaire a été octroyée aux consultants débutants (59 000 € + 7 000 € de bonus aux résultats), +20 % à deux ans d’expérience, au grade de senior associate (79 000 € + 16 000 € de bonus aux résultats), et même +25 % pour les consultants avec 3 ans d’expérience (111 000 € de fixe et 19 000 € de bonus aux résultats). D’autres échos glanés par Consultor font état chez Monitor d’un fixe au grade de senior consultant qui aurait été bonifié de 5 000 à 10 000 € alors qu’il était déjà à 65 000 €.
Des salaires à la hausse partout
Des rumeurs très fondées à entendre les cabinets directement interrogés par Consultor qui, évidemment, ne se précipitent pas pour donner leurs chiffres. Car, signe révélateur de la très forte compétition ambiante, « les grilles de rémunérations sont devenues encore plus confidentielles que par le passé » comme le dit Thomas Chèvre chez Strategia.
Quelques chiffres témoignent pourtant du bond de rémunération à l’œuvre dans l’industrie à l’heure actuelle. Chez Corporate Value Associates, depuis début janvier 2022, « le package d’entrée a progressé de +13 % pour se situer à 65 000-70 000 €. Nous sommes en train de revaloriser également tout le milieu de la grille parce que nous nous sommes rendus compte d’un décalage par rapport aux MBB auxquels nous nous imposons de coller », témoigne Olivier Vitoux, partner de CVA à Paris.
Un benchmark salarial qui, surtout pour les grades juniors, se fait très facilement. « Pour les grades d’entrée, avoir l’information n’est vraiment pas compliqué. Le déclencheur chez CVA ce fut de voir que des offres d’embauche à des candidats en sortie d’école ne suffisaient plus et que certains nous disaient je préfère aller chez X ou Y, j’y ai eu une offre à tant. Pour les grades un peu plus seniors, les consultants peuvent poser la question dans leur réseau et en recoupant quatre ou cinq points, on peut avoir des idées grossières mais justes de ce qui se fait à la concurrence », explique Olivier Vitoux.
Benchmark artisanal chez CVA, de plus grande échelle chez EY-Parthenon. Le bureau parisien de conseil en stratégie du Big Four s’est adjoint les services de Vencon Research, l’entreprise allemande spécialiste des benchmarks des packages salariaux des cabinets de conseil en IT, management et stratégie.
En France, une cinquantaine de cabinets de conseil participent à ces benchmarks de Vencon, a indiqué le fondateur de Vencon Erwin Harbauer, un ancien du BCG, d’OC&C et de Roland Berger.
« Nous nous sommes comparés à sept cabinets de conseil en stratégie internationaux présents en France. Cette base anonymisée de 1 000 lignes de rémunérations nettes, fixes et variables incluses, nous a fait réaliser que nous devions ajuster un certain nombre de grades où nous pouvions sembler moins-disants que les autres », témoigne Bruno Bousquié, senior partner chez EY-Parthenon.
Résultat des courses, la rémunération à l’embauche chez EY-Parthenon des associate consultants, en sortie d’école, après revalorisation, est de 65 000 € (bruts annuels y compris prime de performance individuelle et collective, et intéressement et participation).
Même son de cloche chez Simon Kucher & Partners où le fixe à l’entrée a été relevé de 46 000 € à 50 000 €, et les grades suivants ont été augmentés dans la même proportion (environ 10 %) – des augmentations auxquelles s’ajoute une part variable (et une participation d'environ un mois de salaire). Et une nouvelle couche de rémunération a été ajoutée a fortiori. Cet employee bonus program est une frange de rémunération supplémentaire indexée à la croissance du cabinet et qui évolue dans le temps pour favoriser les consultants qui s’investissent dans la durée.
Chez Circle, Augustin van Rijckevorsel, le CEO du cabinet, a pour sa part « réaugmenté les fixes de tous les juniors du cabinet car la part variable était importante et le fixe était un peu plus bas que le marché », explique-t-il à Consultor.
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Le secteur du conseil en stratégie d'entreprises brille par les niveaux de rémunération offerts à ses consultants (voir notre précédente étude en 2011).
Comptez au bas mot le double de la médiane française à bac +5 (30 k€ brut) en début de carrière et une progression astronomique qui pourrait vous faire atteindre plusieurs centaines de milliers d'euros en seulement quelques années. Les contreparties (horaires, pression, compétitivité, exigence) sont nombreuses, mais la rémunération continue d'expliquer la très forte attractivité du secteur à la sortie des meilleures écoles de commerce et d'ingénieur.
Le milieu de la pyramide, cible de toutes les attentions
À des grades plus seniors, la tendance est encore plus forte, mais les chiffres encore plus rares. « La revalorisation a été plus significative sur les populations les plus expérimentées », avance par exemple Bruno Bousquié qui, pour ces consultants-là, ne donnent pas de chiffre. CVA envisage de faire progresser les rémunérations des consultants du milieu de la grille de 15 à 20 %. Même étiage pour un nouvel entrant de milieu de tableau. Quand pour « les grades les plus à risques », typiquement celui des managers, un partner d’un MBB avance lui, sous couvert d'anonymat, une progression de 25 % de la rémunération.
À tous les niveaux donc, il y a comme un air de feu de Bengale sur les fiches de paie ! Et quand ce n’est pas la paie à proprement parler, d’autres leviers sont actionnés par les cabinets.
Cela peut être « l’école des fans des promotions », comme s’en amuse un partner, sous couvert d’anonymat encore. Ce dernier fait référence aux passages de grade précipités qui peuvent permettre de faire monter en rémunération des personnes qui, en temps normal, n’auraient peut-être pas pu être promues si vite. « Promouvoir quelqu’un qui n’est pas prêt, c’est rendre un mauvais service au consultant et au cabinet de conseil », tempère Augustin van Rijckevorsel, le CEO de Circle. Ce cabinet a, de son côté, préféré cadencer davantage les revues de performance, qui ont désormais lieu tous les six mois au lieu de tous les ans – autant de nouveaux créneaux pour discuter augmentation. Plus original, Circle a cédé aux consultants des bouts de son logo en jetons NFT – ce qui n’a sans doute pas grande valeur, mais sait-on jamais ! D’autres cabinets, qui ne souhaitent pas encore l’annoncer, envisagent aussi d’ouvrir beaucoup plus largement l’actionnariat de leur entreprise.
Un phénomène à la Goldman Sachs ?
Mais attention, avertissent plusieurs partners que nous avons interrogés, à ce que ces augmentations à tous crins disent de la santé du secteur et des effets même involontaires qu’elles pourraient avoir. Pour Olivier Vitoux, chez CVA, « il y a une contradiction entre une économie qui va bien, où la demande de conseil est forte, et une forme de crise chez les plus jeunes et une tendance à l’accélération des départs de certaines personnes rapidement dans leurs parcours. La pression sur les rémunérations s’explique aussi par cet effet ciseau ». Même analyse de Thomas Chèvre chez Strategia : « La rétention des consultants est une priorité pour nous. Davantage de consultants rentrent dans l'industrie du conseil et restent finalement moins de deux ans. Les débuts de carrière de celles et ceux qui ont démarré en période de covid ont été difficiles. »
Gare aussi à ce que le remède des augment’ ne soit pas le poison de demain. David Vidal, managing partner chez SKP, dit redouter un certain phénomène Goldman Sachs – la banque d’affaires avait sensiblement augmenté la rémunération de ses salariés juniors après que ces derniers avaient rendu public un sondage interne mettant en avant une charge de travail infernale (105 heures de travail semaine par exemple – voir leur document). Ce qui n’est pas sans rappeler les rythmes ahurissants du conseil en stratégie post-covid.
Pour le partner de SKP, le secteur doit être vigilant à une certaine « fuite en avant qui pourrait avoir pour conséquence, par exemple, une baisse du nombre de consultants par partner, parce que payés plus chers. La hausse des salaires ne résout pas nécessairement le burn out dont l’occurrence peut augmenter avec des équipes plus courtes ».
Dans l’immédiat, les cabinets continuent d’afficher les signes de très bonne santé et de suractivité : Oliver Wyman a posté début février +19 % d’activité en 2021 par rapport à 2019. Peu probable donc que la rem’ ne continue pas à être un sujet prégnant dans les prochains mois.
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