« Faire le minimum pour ne pas se faire virer »
On le croirait totalement impossible dans le conseil en stratégie, et pourtant : le « quiet quitting », cette mode de « la démission silencieuse » venue tout droit des États-Unis, s’incarne ici et là. Des formes de retrait que les cabinets tentent d’adresser par divers leviers.
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19 h 30. Ciao bonsoir. C’est le nouveau mantra d’un consultant en strat’ de la place : tous les soirs, à heure fixe, il plie bagage et rentre chez lui – les jours où il est au bureau. QUOI QU’IL ARRIVE.
Son témoignage ne dit pas s’il a le temps de s’acquitter de toutes les tâches qui lui sont confiées, s’il continue à répondre au téléphone ensuite, à quelle heure il arrive le matin, et si sa hiérarchie goûte sa philosophie du moment.
Son témoignage est, du moins, symptomatique d’un mouvement de fond très intangible.
Ce mouvement, appelé « quiet quitting » ou démission silencieuse, a depuis quelques semaines son quart d’heure de gloire, depuis qu’un TikTokeur américain en a fait la profession de foi dans une vidéo de 17 secondes. La règle du jeu donnée aux salariés des quatre coins du monde est simple : un droit à la paresse pour tous !
Pour pallier toutes les formes d’« out » (brown out, bore out, burn out), et quand on ne souhaite pas changer de poste, où le problème serait peut-être le même, la ligne est claire : en faire le moins possible pour que le travail prenne moins de place dans la vie.
C’est là une autre forme de mutation du travail post-covid au côté de la grande démission, mais bien moins chiffrée.
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L’impressionnante vague de démissions outre-Atlantique n’a pas (encore) atteint les rivages des cabinets de conseil français. Du moins, pas dans les proportions qu’ont pu connaître les entreprises américaines, avec 38 millions de personnes démissionnaires, dont 40 % sans perspective de trouver un autre emploi derrière.
Certes, en septembre, l’institut de sondage Gallup avançait que 50 % des salariés à temps plein ou temps partiel de plus de 18 ans aux États-Unis seraient des démissionnaires silencieux. Avec à chacun sa tactique pour en faire le moins possible : « grève du zèle » (ne faire que ce qui est prescrit et respecter scrupuleusement les règles) ; « freinage » (limitation volontaire de la production) ; « retrait » (faible implication au profit de la sphère privée).
Des trucs totalement contre-intuitifs dans le conseil en stratégie – secteur aux carrières parmi les plus élitistes dans le privé, où les gros horaires ne sont pas rares.
D’ailleurs, en première intention, certains ne connaissent même pas la formule dans les cabinets interrogés par Consultor.
Dur dur de se planquer
D’autres y voient un non-sujet. « Il n’y a rien de nouveau ! Que des gens se mettent en retrait de leur travail, cela existe depuis que le travail existe. On en fait des tombereaux parce que ça marche bien dans la presse », martèle Alban Neveux, le CEO d’Advention.
Pour la plupart, cela est juste impossible, et à l’opposé de la culture d’excellence et d’exigence promue dans les cabinets. « Le conseil en stratégie reste un métier d’engagement très fort. Ceux qui se sentent moins engagés s’en vont d’eux-mêmes », rappelle Henri-Pierre Vacher, partner chez Oliver Wyman.
Dans ce contexte de staffings très serrés, soit chez les clients, soit sur des sujets internes, dur dur de se planquer. « On peut jouer sur des projets qui se terminent en milieu de semaine, mais c’est hyper résiduel. En 25 ans de métier, j’ai dû le voir une ou deux fois », projette un autre partner anonymement.
Les raisons du désamour
Il n’y a donc pas légion de témoins pour crier haut et fort qu’ils n’en foutent pas une ramée. Pourtant, pour les sources anonymes que nous avons interrogées, plusieurs raisons pourraient pousser à un désinvestissement redoublé dans le secteur. Des sources abondent pour en étayer certaines.
« 2020 et 2021 ont été des années incroyables dans le conseil en strat’, dont les profits n’ont pas vraiment été repartagés. Des gens ont eu les boules. Puis, un salaire mirobolant pour 80 à 100 heures de boulot par semaine au prix de l’immobilier parisien, c’est aussi avantageux qu’un 9 h/17 h au SMIC en province. Il n’y a plus vraiment d’intérêt à travailler autant », tance une de nos sources, un consultant en strat’ tout juste sorti d’un MBB.
D’autres voient dans une forme d’holacratie grandissante un tue-l’amour pour les adeptes de la compét’ professionnelle et des carriéristes qui ne sont pas rares dans les cabinets de conseil en stratégie.
Perception d’autant plus rageante qu’elle se conjugue avec des partners connus pour feinter une charge de travail importante, tout en allant plusieurs fois par semaine au tennis. Ainsi, cet associé, objet d’une rumeur de couloir tenace selon laquelle il n’aurait pas d’ordinateur. « Certains sont connus pour ça : relire deux ou trois docs en passant, puis pouf, évanouis dans la nature », raille notre ancien consultant ex-MBB.
Dernier ressort de la démission silencieuse : la perte d’attractivité. « Dans les années 1990, quand j’ai commencé, la strat’ faisait rêver. Ce n’est plus autant le cas, et les packages salariaux ne sont pas nécessairement les plus attractifs », considère un partner qui a requis l’anonymat.
Résultat des courses, le rapport de force serait plus à l’avantage des jeunes consultants – hormis les tout juniors qui vivent une lune de miel quelques mois ou quelques années. Il y aurait plus de mou pour en garder sous la pédale.
« Les appels pour venir à 2 h du matin, ce n’est plus possible. Les consultants de plus d’un an d’expérience peuvent, dans une certaine mesure, faire leur loi », appuie une de nos sources.
Tout est dans la juste mesure. Le 9 h/17 h dans le conseil en stratégie, ce n’est évidemment pas possible. Mais « le minimum pour ne pas se faire virer », comme dit un des consultants que nous avons interrogés, c’est possible. « Le quiet quitting est le phénomène salarial normal pour des gens qui considèrent que le but du travail est de maximiser leur rémunération horaire », appuie encore notre source.
Un signal faible
Cette démission silencieuse reste, si elle existe, un phénomène infinitésimal – plutôt perçu côté partnerships comme le signal faible d’ajustements possibles.
« On doit remettre du management et des leaders. La motivation des consultants n’est pas qu’une dérivée de la rémunération, même si nous sommes dans un secteur qui paie parmi les mieux. Le management doit être exemplaire, et il ne l’est pas toujours. Il y a encore trop de cas de partners rentiers, qui ne défendent pas leurs équipes, qu’on ne voit qu’en phase commerciale, puis plus une seule seconde une fois la mission démarrée », veut croire un partner qui a requis l’anonymat.
C’est l’exact contre-pied qu’Henri-Pierre Vacher appelle à prendre chez Oliver Wyman surtout en sortie de covid où la charge de travail a souvent été très intense : « Des partners plus engagés, un ratio de consultants par partner faible », dit-il.
Autre levier contre le désinvestissement : la multiplication des moments de team building collectifs. Ainsi, Oliver Wyman a-t-il emmené ses 2 000 collaborateurs européens quatre jours à Disneyland en septembre. « Les gens se rendent comptent qu’ils font partie d’un tout, c’est motivant », croit-il.
Une motivation assez vitale pour des cabinets dont le niveau d’activité reste élevé et le besoin en cerveaux important. À ce titre, côté Bain, Olivier Marchal, chairman en France, considère que les cas exceptionnels de démotivation de consultants doivent être adressés. « Nous pouvons utiliser des leviers de coaching par exemple. Tout ce qu’on peut faire pour remotiver doit être fait. Appelons cela du ‘quiet remotivating’ ou du ‘quiet retaining’ », s’amuse-t-il. Le départ doit être la dernière et la plus mauvaise des options.
Le cabinet a également décidé de former l’ensemble de ses consultants aux grands enjeux de l’énergie et du climat – autre manière de mobilier une jeune génération très en attente sur le changement climatique.
Tous ne sont pas aussi ronds. Ainsi, un partner, qui prend la parole anonymement, avoue se montrer plus strict sur les dates auxquelles les livrables doivent lui être rendus depuis que le télétravail a été généralisé. « Je me moque que les consultants aillent faire une heure de nage en journée. En revanche, on met un peu la pression pour les rendus ». Un message clair à celles et ceux qui seraient tentés de bayer aux corneilles.
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commentaires (1)
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Manuel de survie
- 28/10/24
La crise sanitaire l’a montré : c’est possible. Mais est-ce souhaitable ? Dans le conseil en stratégie, le télétravail suscite depuis 4 ans des annonces régulières d’un « retour au bureau », comme dans beaucoup de professions intellectuelles supérieures. La réalité est plus nuancée.
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