Le conseil et la pharma
Le conseil en life sciences exige une vision mondiale des enjeux, notamment dans l’industrie pharmaceutique.
Il faut adapter la stratégie localement tout en intégrant les considérations internationales des laboratoires. Un équilibre que s’attachent à respecter les consultants spécialisés dans ce secteur.
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Chutes des brevets des grands médicaments, gestion d’une mauvaise image associée à des scandales sanitaires, problématique de marketing et de commercialisation, recherche d’un nouveau souffle dans l’innovation, bouleversement du business model classique du secteur…
L’industrie pharmaceutique ne manque pas d’enjeux pour occuper les consultants. Se spécialiser dans la pharma, toutefois, n’est pas à la portée de tous. À l’instar d’autres secteurs à haute expertise, comme l’aérodéfense, l’industrie pharmaceutique a érigé des barrières d’entrée qui limitent le nombre de nouveaux acteurs, mais aussi le nombre de consultants qui possèdent les bonnes compétences.
Du global au local
L’industrie pharmaceutique se caractérise d’abord par une stratégie qui se veut internationale. « La moitié du top dix de l’industrie se trouve aux États-Unis, atteste Patrick Biecheler, Partner en charge de l’industrie pharmaceutique et de la santé chez Roland Berger. Ils pilotent en central des affaires qui concernent et qui s’appliquent dans le monde entier. Pour les consultants, cela suppose une capacité à décliner une réflexion sur de multiples territoires. »
Pour un lancement de médicament dont la réalisation serait confiée à un cabinet, il faut donc jongler entre les exigences purement locales, ou au moins régionales, spécifiques au marché visé et la stratégie du laboratoire qui doit garder une certaine cohérence entre les territoires. Une équation qui se complique avec l’intervention d’acteurs institutionnels comme les pouvoirs publics. Par exemple, les autorités de santé ont leur mot à dire quand il s’agit de fixer le prix d’un nouveau médicament. « Imaginons que nous introduisons sur le marché une nouvelle molécule pour un laboratoire, propose Patrick Biecheler. Nous devons tenir compte de la présence de cette molécule sur le marché américain, anglais ou allemand pour rester dans un couloir de prix cohérent. »
En d’autres termes, pour Patrick Biecheler, une mission en pharma n’est jamais déconnectée du reste du monde. Dans l’industrie pharmaceutique, les stratégies ne répondent pas à une logique purement locale, à l’échelle d’un pays. Il faut fonctionner au moins au niveau « régional » : l’Amérique, l’Asie, l’Europe de l’Ouest, l’Europe de l’Est et la Russie… Autant de marchés qui possèdent leurs propres spécificités au regard des acteurs en présence et des habitudes de consommation. Pourtant, les consultants sont contraints de suivre le même fil rouge, celui que le laboratoire décline sur toute sa zone de commercialisation.
« Pharma for dummies »
La spécificité du secteur pharmaceutique représente un frein conséquent pour les consultants et pour les cabinets. Pour savoir gérer cet équilibre entre global et local, les cabinets se reposent sur des équipes présentes dans plusieurs pays qui doivent posséder les compétences pour comprendre leur propre marché, mais aussi celui de toute la région dans laquelle elles opèrent. En d’autres termes, les consultants allemands ne peuvent pas ignorer le marché espagnol, anglais ou français pour mener à bien les missions de leurs clients.
Le corollaire, c’est un degré d’expertise relativement élevé, affirme Patrick Biecheler : « L’industrie pharmaceutique fait intervenir un régulateur, l’État, qui impose des normes sur l’exercice de la pharmacie, mais aussi des payeurs qui se distinguent des consommateurs, car ce marché ne répond pas simplement à la loi de l’offre et de la demande. Et enfin, elle fonctionne avec des processus scientifiques très compliqués. » L’ensemble de la chaîne de valeur se caractérise par son degré de complexité aussi bien intrinsèque que règlementaire.
Pour les cabinets, il s’avère donc difficile d’affecter des profils généralistes aux missions de pharma. Il faut savoir décoder les acronymes qui pullulent dans le jargon des médecins et des pharmaciens ; il faut saisir les fondamentaux de l’innovation scientifique et la façon dont on peut ensuite la commercialiser… « Au sein de la practice, nous avons mis en place un “starter kit”, une sorte de documentation type “pharma for dummies” à l’attention des jeunes consultants qui ne maîtrisent pas encore les fondamentaux », explique Patrick Biecheler.
Une expertise d’autant plus cruciale à acquérir que l’industrie pharmaceutique touche aussi à la question de la santé publique. Le laboratoire de fractionnement et des biotechnologies qui exploite notamment le plasma sanguin, une matière de première nécessité aux yeux de l’État, notamment en cas de guerre, est classé secret défense. Idem pour les sites qui abritent certains vaccins et les virus qui les accompagnent. La question de la sécurité occupe un rôle central. Logiquement, les prestataires, y compris les cabinets de conseil, sont soumis aux mêmes exigences de confidentialité et aux mêmes règles de déontologie. D’autant plus que plusieurs scandales sanitaires ont abîmé l’image du secteur.
Les scandales sanitaires
Le cataclysme du Médiator n’est que le plus récent exemple d’une tendance qui s’inscrit dans le long terme : l’image de l’industrie pharmaceutique reste l’une des pires du monde économique depuis une trentaine d’années. Une donnée qui affecte l’activité des consultants. D’abord sur le choix de participer ou non à des missions dans la pharma. Ainsi, s’ils n’existent pas d’objecteurs de conscience chez Roland Berger, comme on peut en trouver parfois dans le domaine de la défense, les consultants qui se spécialisent dans l’industrie pharmaceutique se trouvent face à un tiraillement : « Est-ce une industrie sujette aux scandales ou à vocation humaniste ? résume Patrick Biecheler. Tous les consultants de mon équipe ont dû accepter ce paradoxe : d’un côté, les laboratoires sauvent des vies, de l’autre, ils en tirent des profits financiers. »
L’image parfois exécrable des grands laboratoires a également eu une incidence sur les directions générales de ces entreprises qui, par ricochet, concernent les consultants. Avec la chute des grands brevets et l’effondrement des chiffres d’affaires, l’industrie se voit contrainte de bouleverser son business model. Elle se tourne désormais vers un modèle que les Anglo-Saxons appellent « beyond the pill », c’est-à-dire au-delà du médicament et vers la philosophie de la « santé intégrée ». Résultat : les labos ont compris que persister dans le silence ne pouvait que les desservir et qu’il était temps de développer leur communication.
Ce qui se traduit aussi par l’ouverture aux consultants d’une partie de l’activité qui, traditionnellement, leur échappait. « Les deux tiers de nos activités restent dans le domaine des opérations commerciales, analyse Patrick Biecheler. Le dernier tiers tend à se développer. Il s’agit des opérations industrielles. Il y a quelques années, il aurait été impensable de confier à un consultant une mission de R&D, qui appartenait exclusivement aux gens de science. Aujourd’hui, nous intervenons sur des problématiques d’innovation. Des pans entiers de l’activité nous sont désormais ouverts. »
Lisa Melia pour Consultor, portail du conseil en stratégie
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