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Pénurie de médicalements : le miroir aux alouettes de la relocalisation

 

L’épineux – et récurrent – dossier de la relocalisation des médicaments en France est revenu brutalement sur le devant de la scène à l’occasion de la crise sanitaire.

Barbara Merle
05 Jan. 2021 à 15:18
Pénurie de médicalements : le miroir aux alouettes de la relocalisation

 

S’en est suivie une succession d’annonces. Dernière en date, le 16 novembre, le gouvernement livrait le nom des labos lauréats du premier appel à projets sur ce dossier. Les cabinets de conseil en strat’ continuent de plancher sur cette relocalisation et tentent de répondre aux difficiles questions suivantes : quel médicament relocalise-t-on ? A l'échelle française ? Européenne ?

Pendant la crise sanitaire du printemps, les compteurs s’étaient affolés. Avec des ventes de Doliprane multipliées par cinq, Sanofi, numéro un sur ce créneau, avait fait grimper de 30 à 50 % sa production européenne. UPSA, producteur de Dafalgan et d’Efferalgan, avait fait tourner ses lignes du Lot-et-Garonne en 3x8 pour doubler sa production, jusqu’à deux millions de boîtes/jour. Pourtant, la France et l’Europe s’étaient rapidement retrouvées face à une grave pénurie de masques, de gants, de tests… et de médicaments. Diagnostic critique : la très grande majorité de nos médicaments est produite à l’autre bout du monde.

La France en perte de vitesse en termes de production

Premier pays européen producteur de médicaments entre 1995 et 2008, la France est désormais le quatrième. La dernière usine française fabriquant de la poudre de paracétamol a fermé en 2008. Upsa s’approvisionne à 85 % aux États-Unis, 15 % en Chine, Sanofi fait, lui, ses achats en Chine, en Inde, et aux États-Unis.

Globalement, 35 % des matières premières utilisées dans la fabrication des médicaments en France proviennent de trois pays, l’Inde, la Chine et les États-Unis, indique un rapport du pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques de 2017. 

Et ce qui vaut pour la France vaut pour les autres pays de l’Union européenne : entre 60 et 80 % des principes actifs utilisés en Europe sont aujourd’hui fabriqués hors de l’Union, essentiellement en Chine et en Inde.

Une dépendance accentuée au fil du temps

« Les problèmes d’approvisionnement de médicaments en Europe ne datent pas du covid, mais ils ont été exacerbés par la crise. En 1980, 20 % des principes actifs (active pharmaceutical ingredient ou API, ndlr) utilisés en Europe provenaient de Chine ou d’Inde ; en 2008, le ratio était monté à 75 %, et en 2020, à 80 %. La grande majorité des sites de production de ces API, à savoir 6 000, se trouvent dans ces pays. Si l’on regarde du côté des ruptures d’approvisionnement en France signalées en termes de médicaments d’intérêts thérapeutiques majeurs, les MITM, les chiffres sont parlants : 209 en 2012, 917 en 2018. Il faut parler de souveraineté des principes actifs », étaye Francis Turina-Malard, partner chez Cepton, cabinet de conseil en stratégie spécialisé dans la santé.

Une souveraineté mise à mal que des raisons de coûts de production expliquent, mais pas seulement, comme le confirme Benoît Gougeon, senior partner chez Kearney, responsable de la practice des opérations stratégiques pour la France.

« En Europe et en France, nous avons des critères environnementaux beaucoup plus drastiques. Par ailleurs, les laboratoires français, à l’exception de Sanofi, n’ont pas la surface financière pour développer en solo. Le sujet de la coordination de l’investissement pour la construction de capacités de production est majeur. »

Un sujet dont le cabinet s’est saisi : il a présenté en septembre dernier un rapport sur le sujet, « 12 recommandations pour redynamiser la politique du médicament en France dans l’ère post-covid-19 », commandé par le Leem, l’organisation professionnelle des entreprises françaises du médicament.

La volonté politique

Dès lors, la relocalisation des molécules est redevenue l’une des priorités parmi les nombreux sujets posés par la crise du covid-19, avec de nombreuses annonces-chocs pour organiser un « rapatriement » des outils de production.

En juin, le Président Macron avait annoncé le lancement d’une « initiative de relocalisation de certaines productions critiques avec une première enveloppe de 200 millions d'euros pour financer des infrastructures de production pharmaceutique comme de recherche et développement ».

Des travaux étaient alors engagés avec Seqens, UPSA et Sanofi pour que, d’ici trois ans, l’ensemble de la chaîne de production du paracétamol (le médicament le plus vendu en France) soit contrôlée sur le territoire national.

Un appel à manifestation d’intérêt (AMI) avait également été lancé par le gouvernement concernant la production de trente principes actifs, dont le paracétamol. 

Car si « le paracétamol est la molécule la plus répandue », pointe Francis Turina-Malard, elle « reste un sujet comme un autre ».

Le bon périmètre de la relocalisation et son principe en question

Ils sont plusieurs à interroger le bon périmètre d’une action gouvernementale sur la relocalisation de la production de médicaments.

« Le portrait-robot du médicament exposé au risque de rupture est un produit mature, souvent administré à l’hôpital », dit Francis Turina-Malard.

Quand Julien Mallet, vice-président au sein de la practice santé de Kearney, considère qu’« il existe différents leviers en fonction des profils de médicaments » et que « la problématique n’a pas été réfléchie dans son ensemble. Par exemple, une approche de relocalisation en France avec une usine n’est pas forcément la bonne solution. Les dispositifs possibles sont nombreux et doivent être adaptés au profil des médicaments concernés, en suivant deux critères : la criticité médicale et l’ampleur de l’impact dans des situations de tension ».

Plan de relance et lancements de projets

En attendant, les annonces gouvernementales en faveur de la relocalisation se poursuivent. En septembre, le gouvernement a annoncé, dans le cadre du plan de Relance, une enveloppe de quinze milliards d’euros pour les relocalisations et l’innovation, dont « un milliard d’euros d’aides directes construites avec les industriels pour permettre, sur des sujets très précis, d’apporter l’aide de l’État pour relocaliser ». Puis, mi-novembre, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, et Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’Industrie, ont annoncé la liste des trente et un premiers projets de relocalisation, dont une petite dizaine dans le domaine du médicament. 

Ainsi Seqens, numéro un français de la chimie pharmaceutique, l’un des leaders mondiaux de la production de principes actifs, a été choisi pour cinq de ses projets sur le territoire français. Aguettant (labo lyonnais de spécialités pharmaceutiques injectables), M2i Life Sciences (spécialiste du biocontrôle) ou Carelide (fabrication de médicaments et de dispositifs médicaux à usage unique) vont pouvoir également développer leurs solutions « made in France ».

Problème pour l’avenir d’une telle politique de relocalisation : jusqu’où va-t-on dans la définition de molécules critiques ? « Concernent-elles uniquement les molécules qui manquent en temps de crise pour les soins intensifs ou également celles nécessaires aux maladies chroniques ? », questionne l’associé de Kearney Benoît Gougeon.

Une stratégie de relocalisation européenne

D’aucuns pensent que la relocalisation ne peut s’effectuer efficacement qu’à l’échelle européenne. Pour le partner de Cepton, Francis Turina-Malard, le plus intelligent serait de réaliser un diagnostic général de la production européenne avant de faire des choix en termes de production.

« Tout relocaliser s’avère impossible, il serait donc intéressant de prioriser les API en identifiant les API à risques élevés, une combinaison entre importance thérapeutique et risques de rupture. Autre action à mettre en œuvre, cartographier les sites de production des API en Europe et dans le monde et identifier des sites alternatifs en Europe capables de développer de nouvelles capacités de production. Pour l’instant, l’analyse détaillée n’est pas encore réalisée. Pour chaque fournisseur de chaque API, il faudrait avoir une vision claire de l’ensemble des sites et de leurs capacités de production en Europe et dans le monde. »

Cette coopération européenne nécessite aussi une plus grande transparence dans le partage de données entre pays européens, selon Julien Mallet de Kearney. Avec la nécessité d’avoir des usines de production tampons qui ne serviraient qu’en cas de besoin, à l’instar de centrales électriques qui ne fonctionnent qu’en cas de surdemande exceptionnelle, « une façon de partager les coûts et les risques, mais qui nécessite de revoir le financement de ces médicaments ».

Autre piste selon Benoît Gougeon : associer une production de molécules matures, dont la production est maîtrisée depuis plusieurs décennies présentant un retour sur investissements faible, avec des projets à forte innovation afin de construire les compétences et les besoins de demain.

L’Europe est-elle prête ? La covid aura, peut-être, de ce point de vue, été bénéfique, veut croire Julien Mallet : « Lorsque la crise a éclaté, l’Europe avait très peu d’instances de pilotage communes. La prise de conscience n’est intervenue que durant la crise sanitaire où ont été mis en place des dispositifs de gestion de produits avec coordination entre États membres. »

Barbara Merle pour Consultor.fr

Cepton Roland Berger Benoit Gougeon Francis Turina-Malard
Barbara Merle
05 Jan. 2021 à 15:18
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Benoit Gougeon Francis Turina-Malard
2021-11-09 11:44:12
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