+ 3 % au premier semestre : la pharma sort haut la main de la crise et prépare l’avenir
« Le marché de la pharma en France a fait + 3 % ou + 4 % au premier semestre, quand c’est plutôt + 0,5 % en moyenne », dit à Consultor Marc-Olivier Bévierre, partner chez Cepton, cabinet de conseil en stratégie spécialiste de l’industrie pharmaceutique.
Une croissance qui n’ira pas sans changement des prestations réalisées par les cabinets actifs dans le secteur. Une croissance à rebours aussi de nombre d’autres pans de l’activité économique qui ont été profondément déstabilisés par la crise du coronavirus.
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Le secteur du médicament semble donc avoir plus que résisté. Quels enseignements tirer de la crise ? Quels enjeux pour le secteur et ses conseils ? Ces questions, comme d’autres, nous les avons posées à Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, l’organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France, et à Marc-Olivier Bévierre. Grand entretien croisé.
Consultor : Quels premiers enseignements tirez-vous de la période que nous venons de traverser pour le secteur pharmaceutique ?
Philippe Lamoureux (P. L.) : La crise du covid a permis de mesurer le degré de dépendances de l’Europe en matière d’approvisionnements en produits de santé, en provenance d’Asie, mais aussi des États-Unis pour l’accès aux médicaments innovants.
Marché mature, avec des systèmes de santé robustes, et des politiques de régulation des dépenses importantes, le marché européen est aujourd’hui pris en étau entre le marché américain, qui représente la moitié du CA mondial, et les pays d’Asie dans lesquels la demande explose.
Quid, plus spécifiquement, de la France ?
P. L. : Nous disposons d’un tissu industriel très complet avec un grand champion mondial, des laboratoires de taille intermédiaire, un tissu de façonnage, des équipes de recherche performantes, des biotechs… Nous sommes également très actifs sur les médicaments de pointe, sur les sciences du vivant, les thérapies cellulaires.
Marc-Olivier Bévierre (M.-O. B.) : La première chose qu’on peut dire est que la santé était déjà un sujet porteur, elle a été encore plus propulsée aux avant-postes, au centre des préoccupations. Il y avait eu dans les mois précédant la crise du coronavirus, la crise des urgences françaises qui avait révélé le déficit d'investissement fait à l'hôpital depuis de nombreuses années. Il est nécessaire de mieux rémunérer les médecins, les infirmières et les aides-soignants. En cela, le Segur de la Santé va dans le bon sens, les montants dégagés sont très significatifs au-delà des positions adoptées par les uns et les autres dans la négociation. Le second gros sujet est la réorganisation de l’hôpital où davantage de flexibilité est nécessaire, dans un environnement qui souffre souvent d’un management archaïque.
Un secteur dans lequel, depuis vingt ans, de très nombreuses missions de conseil ont été réalisées (relire notre article) pour justement aller chercher d’autres modèles d’organisations : y a-t-il un bilan à en faire ?
M.-O. B. : Cepton ne travaille pas avec les hôpitaux, mais nous observons indirectement ce qu’il se passe au sein de l’hôpital. Clairement, des améliorations ont été faites, mais les progrès à réaliser encore sont énormes. Prenez le vaccin contre l’hépatite C produit par Gilead : son prix élevé a été très critiqué, mais il a permis d'éradiquer la maladie en France et le calcul promu par le labo était « regardez notre vaccin est cher, mais il coûtera moins que de conserver des lits ouverts ». Ce qui aurait dû logiquement arriver est la fermeture de l’immense majorité des lits d’hôpitaux qui servaient à accueillir des malades de l’hépatite C. Or aucun lit n’a été supprimé. On n’arrive pas à faire les économies souhaitables à l’hôpital. La réorganisation doit être un sujet – devrait même être érigée en contrepartie – en parallèle de la revalorisation.
Comment l’industrie pharmaceutique française ressort-elle de la crise ?
M.-O. B. : Dans le secteur privé, la crise n’aura pas eu d’impact. Elle aura même eu parfois un impact positif. Cela s’explique par le fait que les gens continuent à se soigner. Certes, des consultations ont été annulées et des médicaments n’ont pas été prescrits, mais sur un certain nombre de médicaments, les consommations ont bondi : + 30 % pour les médicaments à base de paracétamol sur les premiers mois de l’année. D’autres ont dû baisser, mais globalement le marché de la pharma en France a fait + 3 % ou + 4 % au premier semestre, quand c’est plutôt + 0,5 % en moyenne.
Avec la crise, la profonde dépendance européenne à l’international en matière d’approvisionnement a été plus flagrante que jamais. La relocalisation est-elle réellement dans le domaine du possible ?
P. L. : Tout l’enjeu est désormais d’arriver à relocaliser une partie de la production, sans nier l’intérêt de la mondialisation… Car, c’est bien grâce à elle que nous n’avons pas subi de ruptures d’approvisionnement. Nous avons connu de fortes tensions certes, mais pas de ruptures. La pandémie étant séquentielle, son impact s’est fait sentir à des moments différents à travers la planète. Et, grâce à la mobilisation de l’ensemble de la chaîne mondiale du médicament, le secteur a su répondre à l’afflux de la demande liée au covid. La mondialisation du secteur est aujourd’hui une réalité. On ne reviendra pas en arrière, ce serait d’ailleurs une erreur selon moi. La force de notre secteur, c’est bien cette capacité à travailler à l’échelle mondiale, en matière de production comme de R&D, avec des équipes de recherche légères, multicentriques, implantées un peu partout dans le monde, et des data qui tournent 24 heures/24.
Où la France doit-elle alors se réformer en matière de santé ?
P. L. : Si la France veut mener à bien une politique de reconquête industrielle, il va lui falloir lutter contre les maux structurels et habituels de la politique du médicament dans notre pays. À savoir : notre niveau de régulation particulièrement lourd, avec une législation complexe et instable.
L’absence de croissance du marché nous pénalise également très fortement.
Entre 2009 et 2019, le marché français du médicament a ainsi été totalement flat, avec 1 milliard de baisses de prix chaque année. Et, sur la même période, les dépenses globales de santé sont passées de 15 % à 12 %. Dans ces conditions, vous ne pouvez pas afficher d’ambition industrielle très élevée…
Ajoutez à cela la fiscalité spécifique du secteur, plus lourde que chez nos voisins européens, et des délais d’accès au marché excessivement long, plus de 500 jours en France contre 130 jours en Allemagne…
Résultat : il y a tout juste dix ans, la France était encore le premier producteur de médicaments européens, puis progressivement est passée au 4e rang... Dans le même temps, l’Italie est passée du 6e au 2e rang. Aujourd’hui, la compétition est forte entre pays européens alors qu’il existe un certain nombre de problématiques qui ne peuvent plus être traitées dans le seul cadre national. Je pense notamment à la question de la rupture d’approvisionnement. Dans les années qui viennent, il faudra donc sans doute imaginer une collaboration et une coordination à l’échelle du continent pour répondre aux grands enjeux transnationaux.
Va-t-on parvenir à une ébauche d’Europe de la santé avec une compétition aussi forte entre pays européens ?
M.-O. B. : Je ne suis pas dans les arcanes des négociations à Bruxelles. Si l’Italie offre des alternatives à meilleur coût pour certains médicaments, ils ne seront probablement pas relocalisés en France. L’autre facteur qui joue énormément est le niveau des remboursements. Il y a eu une pression phénoménale par le passé, qui a conduit aux délocalisations que l'on connaît aujourd'hui. Avec la crise, on se rend compte que cette pression est dangereuse. Certes, il y a aura de la concurrence entre pays européens, mais la relocalisation va avoir lieu.
En combien de temps ?
M.-O. B. : Ce sera long, probablement dans les trois à cinq ans qui viennent. Elle passera aussi par un meilleur prix de remboursement. Les autorités devront accepter de donner une prime de remboursement aux médicaments fabriqués en Europe.
P. L. : En France, on est aujourd’hui à un moment charnière. Et, tout va dépendre des décisions que va prendre le gouvernement dans la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Les récentes annonces du président de la République, Emmanuel Macron, et du ministre de la Santé, Olivier Verran, sont des signaux encourageants. (NDLR À l’issue d’une visite du site de Sanofi de Marcy-l’Étoile près de Lyon, le 16 juin 2020, le président de la République a annoncé vouloir débloquer 200 millions d’euros pour financer des centres de recherche et de production dans la santé et développer d’ici à l’été un mécanisme pour « corriger les vulnérabilités » françaises dans ce domaine. Le groupe pharmaceutique Sanofi a, quant à lui, annoncé qu'il allait investir 610 millions d’euros dans la recherche et la production de vaccins en France avec la création à Neuville-sur-Saône, en région lyonnaise d’un nouveau site de production.)
La France a-t-elle tout de même des atouts ?
P. L. : Bien sûr ! Nous possédons déjà les outils de dialogue entre les autorités et les industriels. Ils existent et fonctionnent correctement. Si nous souhaitons mettre en place une réelle stratégie industrielle du médicament, nous arriverons à nous parler. Je peux d’ailleurs vous dire que, au Leem, nous avons quelques idées sur le sujet. Et que nous les mettrons sur la table le moment venu.
Par ailleurs, l’écart de compétitivité entre Asie et Europe est beaucoup moins défavorable que dans d’autres domaines industriels.
L’Inde et la Chine sont réputées pour leur production low cost. Or, dans le secteur du médicament, la concurrence du low cost, ça n’existe pas. Les standards sont mondiaux. Nous sommes une économie de l’intelligence, hautement qualifiée, nous travaillons sur des productions high-tech. La mise en place d’un médicament nécessite deux fois plus de temps que celle d’un nouvel avion.
Enfin, s’agissant des médicaments génériques, aux volumes très importants, leur coût unitaire est très faible, donc les coûts logistiques sont considérables, ce qui annule l’avantage compétitif que peuvent avoir les pays d’Asie. Par ailleurs, l’élévation des normes environnementales a tendance à réduire l’écart de coûts avec l’Asie. Bref, si je devais résumer la problématique française, je dirais qu’il faut désormais arriver à transformer nos atouts en avantages compétitifs. La bonne nouvelle, c’est que la partie peut se jouer, si nous en avons vraiment la volonté !
Et concrètement, avec quels leviers ? Et, quel niveau d’activité anticiper ?
P. L. : Il va d’abord falloir au secteur pharma et à ses conseils optimiser les capacités de production existantes. Inutile en effet de réindustrialiser. Puisque, en France, nous avons su conserver notre outil de production. Les chiffres du secteur sont parlants, et à peu près stables, avec environ 100 000 salariés, dont 45 000 sur les seuls sites de production.
Ce qui doit évoluer, c’est bien la valeur ajoutée des médicaments produits. Nous fabriquons aujourd’hui beaucoup moins de médicaments princeps (de spécialité de référence, non générique, NDLR) brevetés. Notre production concerne plutôt des médicaments matures à la moyenne d’âge élevée, 25 ans environ, ainsi que des vaccins. Une production qui est menacée par les pays émergents. Je pense par exemple au Maroc qui développe sa propre industrie pharmaceutique et vient nous concurrencer sur nos marchés traditionnels d’exportation comme dans la sphère subsaharienne.
Il va donc nous falloir à la fois optimiser notre appareil productif pour répondre à cette nouvelle concurrence, tout en réussissant à attirer la production de nouveaux médicaments. Des médicaments stratégiques, ceux n’ayant pas d’alternative thérapeutique… Il ne faut certainement pas tout produire en Europe et encore moins en France, mais se concentrer sur les 1 000 à 1 500 médicaments indispensables. Je pense par exemple à certains anticancéreux.
Nous devons aussi faciliter l’éclosion de nouvelles entités sur le territoire. Les médicaments du futur ne seront pas nécessairement issus de la chimie, mais seront souvent des médicaments biologiques. En termes d’emplois, ce n’est certainement pas un gisement tel qu’il pourra remplacer la chimie traditionnelle, mais il permettra de développer un écosystème favorable. C’est le mot clé : « écosystème ». Nous avons en effet besoin de disposer sur notre territoire de l’ensemble des activés – chimie, principes actifs… – favorables au développement de l’écosystème pharmaceutique de demain. C’est vraiment un des grands enjeux.
Il est vraisemblable enfin que les industriels cherchent à l’avenir à diversifier leurs sources d’approvisionnement, et à développer une approche de type back up, notamment s’agissant de la production et des matières premières. Ce sera également un des grands enjeux pour la France d’être considérée comme l’un des sites de back up potentiels dans le monde.
Et du côté des laboratoires pharmaceutiques, à quels changements faut-il s’attendre ? Avec quelles incidences pour les consultants en stratégie qui les accompagnent ?
M.-O. B. : Les sujets du moment sont au nombre de trois. Premièrement, le changement structurel de modèle promotionnel des médicaments. Les délégués médicaux n’ont pas vu les médecins depuis quatre ou cinq mois. Cette rupture accélère une tendance qui était déjà à l’œuvre sur la fin des visites commerciales en présentiel. Les questions qu'ils nous posent sont désormais : comment peuvent-ils toucher les médecins sans leur rendre visite ? Quel est le bon panachage à trouver entre une part de visites présentielles, le téléphone, les visioconférences ou des plateformes ?
Deuxièmement, une autre tendance est en marche depuis quelque temps : la pharma se dit qu’elle ne doit plus seulement vendre des médicaments, mais proposer des solutions complètes pour aider les médecins à traiter leurs patients. Qu’elle doit faire ce bond du produit à la solution. À l’instar de ce que Bridgestone ou Michelin ont fait dans l’aéronautique. Ils n’ont plus dit aux compagnies aériennes « on vous vend des pneus », mais « on vous vend des atterrissages incluant tout le service de contrôle de la qualité des pneus au fur et à mesure et les transports des pneus jusqu’aux avions ». C’est ce bond-là que la pharma doit faire désormais.
Le troisième sujet sur lequel nous serons prochainement sollicités parce que les clients nous en parlent déjà est, logiquement, celui de la relocalisation des médicaments. Ce sera un des sujets de la rentrée.
Tous ces sujets font que la période est propice pour faire du conseil dans le domaine de la santé, parce que c’est un moment de transformation, de développement des outils de communication digitale avec les praticiens et d’essor de ce qu'on appelle la health tech. Nous ne sommes qu'au début du digital dans la pharma. Et les budgets sont là : les investissements effectués dans la santé sont colossaux et il n’y a pas de raison qu’ils baissent. Tout le monde continuera à vouloir être de mieux en mieux soigné. Le secteur est porteur, encore faut-il en maîtriser la technicité. Sans quoi, on ne peut pas y arriver.
Propos recueillis par Étienne Thierry-Aymé et Benjamin Polle
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