Conseils aux fournisseurs alternatifs d'électricité : la créativité à tout watt ?
Les fournisseurs alternatifs d’électricité ont vécu un début de décennie difficile avec l’enchaînement de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine. Comment leur avenir se dessine-t-il ? Des partners d’Oliver Wyman, Kéa et PMP Strategy nous font part de leurs analyses.
Ouvert à la concurrence entre 1999 et 2004 pour les professionnels et en 2007 pour les particuliers, le marché des fournisseurs d’électricité conserve une structure particulière. On distingue encore un fournisseur historique (EDF), seul autorisé à proposer le tarif réglementé aux particuliers et aux petits professionnels, et les fournisseurs dits « alternatifs », qui ne le peuvent pas. Ces derniers, selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE), délivrent aujourd’hui 43 % de l’électricité (en volume) – 27 % sur le marché des particuliers (et des TPE) et plus de 50 % sur celui des professionnels. Le poids des fournisseurs alternatifs est donc loin d’être négligeable, même s’il repose avant tout sur 2 acteurs : Engie (ex-GDF, fournisseur historique de gaz, mais alternatif pour ce qui est de l’électricité) et TotalEnergies. Avec EDF, ces 3 groupes représentent plus de 90 % du marché de l’électricité.
Les épreuves du début des années 2020
Cette position dominante était même montée à 94 % en 2022, au détriment des fournisseurs alternatifs autres qu’Engie et TotalEnergies. Que s’est-il passé ? « La crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont eu un impact important » sur le marché de l’électricité, constate Éric Confais, partner chez Oliver Wyman. La guerre en Ukraine, plus particulièrement, a généré « une augmentation massive du prix du gaz », entraînant celle du prix de l’électricité, de facto lié à celui du gaz en Europe.
Pour les particuliers, l’augmentation contenue du tarif réglementaire et le bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement ont limité les difficultés. Mais pour les professionnels, la situation a été parfois beaucoup plus difficile. Selon Fabrice Catala, directeur général de Kéa, « la crise ukrainienne, avec l’augmentation du prix du gaz, a été fatale à plusieurs fournisseurs, comme Leclerc ou Planète Oui pour des parcs de plus de 100 000 clients, BULB et Barry pour des parcs plus réduits. D’autres ont été vendus (GreenYellow) ou repris (Plüm), obligeant certains industriels à trouver des alternatives sur le marché. Certains acteurs économiques perçoivent désormais les fournisseurs alternatifs comme un choix risqué ». De fait, la part des fournisseurs alternatifs dans la consommation d’électricité des grands sites du secteur dit « non-résidentiel » (qui inclut les grandes entreprises comme les collectivités) s’est tassée entre début 2022 et début 2023, passant de 57 % à 52 %, un niveau qui s’est maintenu depuis.
Sur le marché des particuliers, en revanche, la part de marché des alternatifs a résisté. La crise de confiance est moindre. Pour Philippe Angoustures, partner chez PMP Strategy, « les consommateurs ne projettent pas beaucoup d’affects sur leur fournisseur d’énergie. Ils ne craignent pas de se retrouver sans électricité : en France, Enedis prend le relais si un fournisseur alternatif fait défaut. C’est très différent de ce qui se passe avec les opérateurs télécoms, dont les services sont au cœur de la vie des Français, et où les changements d’accès au service sont immédiatement perceptibles ».
« Nous revenons aujourd’hui à un jeu concurrentiel plus normal, commente Éric Confais. Sur le marché de détail, on trouve aujourd’hui des offres de fournisseurs alternatifs à des tarifs de 10 ou 15 % moins élevés que le tarif réglementé pour un ménage. Or, le prix reste un des principaux déterminants du choix, et il faut une différence de l’ordre de 5 à 10 % pour que les clients soient motivés à changer. Mais d’autres facteurs, notamment la fin de l’ARENH [Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique, ndlr] en 2026, nous font penser qu’une nouvelle période est en train de s’ouvrir ».
Un marché aménagé : l’ARENH et le tarif réglementé
De quoi s’agit-il ? Le marché de la fourniture d’électricité n’est pas un marché comme les autres. Pour le comprendre, il faut revenir un peu en arrière. « Au moment de l’ouverture du marché, commente Fabrice Catala, on a constaté que la position dominante d’EDF sur la production bloquait la concurrence. Les fournisseurs étaient contraints d’acheter de l’énergie et de la revendre avec de très faibles marges. C’est pour cela qu’a été créé le mécanisme de l’ARENH. » Mis en place en 2011, le mécanisme permet aux fournisseurs alternatifs d’accéder à une certaine quantité d’énergie d’origine nucléaire (100 TWh par an, soit à peu près un quart du total) à un coût fixe (42 €/MWh).
Or, explique Marco Ciet, principal chez Oliver Wyman, « en 2026, l’ARENH va prendre fin. Le nouveau mécanisme n’est pas encore fixé. Le tarif pourrait évoluer autour de 70 € le MWH, voire prévoir des composantes variables ; avec un impact sur la volatilité des prix ». Selon Philippe Angoustures, « la CRE estime que le vrai prix du nucléaire historique devrait se situer plutôt autour de 60-62 € ». Or, « l’ARENH affecte environ 1/6e du prix de l’énergie », ce qui est loin d’être négligeable.
Dans le même temps, le tarif réglementé, qui vise à stabiliser le marché et protéger les particuliers, continue à soulever des questions. « La crise de l’énergie a débuté en septembre 2021 par une très forte croissance des prix du marché de gros tant pour le gaz que pour l’électricité », rappelle Fabrice Catala. « En France, son impact sur la facture des consommateurs a été limité grâce à l’existence d’un tarif réglementé de vente (TRV) qui, à raison, reste très populaire en France et, à partir de ces TRV, à la mise en place d’un dispositif de bouclier tarifaire. La majorité des Français ont connu une évolution assez modérée de leur facture d’énergie et sont restés dans un cadre contractuel protégé (le tarif réglementé de vente) à l’inverse des 10 % de clients industriels qui ont subi directement la hausse des prix. »
Tous en conviennent : à court terme, il y a peu de chances que le tarif réglementé soit remis en cause, pour des raisons évidentes de coût politique. Pour Marco Ciet, il « va rester la référence du marché ». Avec quelles conséquences pour les fournisseurs alternatifs ? Tout dépend de la conjoncture. « Si les prix du marché baissent, cela permet aux alternatifs de se positionner. Mais s’ils augmentent, cela devient vite un problème pour eux. Le mécanisme du tarif réglementé a été construit à une époque où la volatilité des prix de l’électricité était plus faible. De plus, il va devenir difficile à tenir pour EDF, qui a de lourdes charges et des investissements à assumer. »
Plusieurs modèles en présence
De fait, le métier de fournisseur alternatif d’électricité obéit à des contraintes très strictes. « Les fournisseurs alternatifs évoluent dans un espace économique restreint, avec des marges structurellement très faibles, en particulier sur le marché B2C. » Éric Confais confirme : « Le marché repose sur une optimisation des modèles opérationnels, de gros efforts de commercialisation, une gestion complexe des relevés et de la facturation. C’est une machine très réglée, un métier à faibles marges dans lequel il ne faut pas se tromper. »
Dans ce contexte, les associés d’Oliver Wyman décrivent des « archétypes de proposition de valeur » pour les fournisseurs alternatifs. Certains d’entre eux adoptent des « positionnements spécifiques et décalés, comme l’électricité verte produite localement. Le prix plus élevé est compensé par le positionnement éthique ». D’autres « poussent des offres thématiques, comme l’installation de pompes à chaleur en remplacement des chaudières ».
D’autres encore « se positionnent en 100 % digital, avec une gestion dématérialisée et une expérience utilisateur optimisée sur le téléphone portable ». Le nom du britannique Octopus, qui a pris pied sur le marché français en rachetant Plüm en 2022, vient à l’esprit. Plenitude, ex-Eni, a ainsi adopté en 2023 la plateforme de gestion Kraken mise au point par Octopus.
Philippe Angoustures évoque également ces fournisseurs qui arrivent à proposer des services autres que la fourniture d’électricité. Par exemple, « gérer la température du domicile depuis un smartphone. Il est possible d’arriver assez rapidement à 10-15 % d’économies. Ces services existent depuis relativement longtemps, mais, quand les prix étaient bas, l’incitation à les adopter était faible ». Au-delà, signale Marco Ciet d’Oliver Wyman, « les offres digitales pourraient permettre, par exemple, de piloter la recharge électrique de la voiture à distance, d’optimiser les actifs énergétiques du domicile… Mais ça n’est pas encore complètement développé en France. C’est un type d’offre qui va se développer, que ce soit via des acteurs internationaux ou via les investissements des acteurs historiques ».
En définitive, à en croire Fabrice Catala de Kéa, « si on prend une photo du marché en 2024, on constate qu’EDF détient encore 70 % du marché des particuliers et 50 % des industriels. L’acteur historique reste ultra dominant ».
Et demain ? Les analystes s’accordent sur deux points : les prix devraient rester modérés dans les temps qui viennent, en raison d’une demande plus faible qu’anticipée ; et ils devraient augmenter à long terme, avec l’électrification du parc automobile et de l’industrie. Dans l’immédiat, beaucoup dépendront du mécanisme qui sera mis en place pour remplacer l’ARENH et réguler l’accès à l’électricité nucléaire. « EDF pourrait être tentée de rechercher des effets de seuil qui défavorisent les petits acteurs, pour s’orienter vers un marché réduit à 3 acteurs (EDF, Engie, Total). Mais il y a beaucoup d’intérêts contradictoires en jeu », estime Philippe Angoustures. Quant au tarif réglementé, il vient de faire l’objet d’un rapport d’évaluation de l’Autorité de la concurrence qui recommande de préparer sa suppression. Il y est rappelé que la Commission européenne se prononcera à nouveau sur la question avant fin 2025, probablement dans le même sens. Or, une suppression du tarif réglementé aura nécessairement des conséquences sur le marché et les consommateurs.
Autre facteur central, enfin : les décisions qui seront prises – ou non – en matière de fixation des prix de l’énergie. Dans l’état actuel, avec le système du merit order, le prix du gaz continue à jouer un rôle déterminant dans la fixation des prix de l’énergie. « La situation a néanmoins changé, nous sommes moins dépendants du gaz russe, et surtout, nous avons retrouvé des marges de manœuvre sur la production nucléaire française ; les centrales au gaz sont donc moins critiques dans le système. Nous devrions même connaître une baisse des prix », conclut Fabrice Catala.
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energie - environnement
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