L'annus horribilis de McKinsey : quels impacts ?
Soupçons de corruption en Afrique du Sud, contrats commerciaux auprès de régimes politiques autoritaires, conflits d'intérêts dans le retournement... Que l'année 2018 fut longue pour McKinsey et ponctuée par un nombre inédit de scandales.
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Une actualité très chargée que McKinsey reproche régulièrement à Consultor de suivre en France. Cette actualité pose tout de même plusieurs questions : est-ce que pareille somme de polémiques peut avoir un impact sur la marque ? Sur ses recrutements ? Sur sa clientèle ? Consultor a posé la question à plusieurs anciens consultants de la firme et aux étudiants qui se destinent à y travailler.
La plupart des étudiants interrogés par Consultor ne savent rien des différentes affaires qui ont attaqué la réputation de McKinsey en 2018. Ainsi à HEC : « Je n'étais pas au courant », avoue Jérémie*, étudiant en deuxième année qui envisage de rechercher des stages dans le secteur du conseil en stratégie.
Des futurs candidats sensibles à l'éthique mais étonnamment peu informés
Tout juste à Polytechnique un étudiant de Duo Conseil, une association commune de l'X et de HEC, où sont notamment regroupés nombre des étudiants qui se destinent au secteur du conseil en stratégie, a-t-il entendu parler du scandale sud-africain de corruption auquel McKinsey a été associé.
« C'est condamnable, mais je pars du principe que c'est seulement le bureau sud-africain qui est en cause, pas l'ensemble du réseau McKinsey », explique Édouard*, étudiant en troisième année à Polytechnique qui recherche actuellement un stage de six mois. Ses premières candidatures sont parties dans sept cabinets de la place : s'il devait obtenir une réponse positive partout, McKinsey garderait sa préférence.
Un défaut d'information qui peut paraître surprenant pour des étudiants censés choisir l'organisation la plus prometteuse au moment de commencer leur carrière. Surtout quand on connaît la manière avec laquelle Monitor, par exemple, fut blacklisté par une série de révélations concernant un plan de modernisation des forces de sécurité libyennes, une campagne de relations presse destinée à redorer l’image du colonel Kadhafi et des actions de lobbying menées aux États-Unis afin d’établir des contacts directs entre l’un des fils du dictateur et la Maison-Blanche.
« À la sortie de Sciences Po, quand on se destine au conseil en stratégie, on vise McKinsey, le Boston Consulting Group, Bain et Roland Berger en priorité, dit à Consultor Élodie*, une étudiante en master qui envisage de rejoindre une de ces sociétés. Mais, au sein de l'école, on a très peu de moyens d'établir des différences entre ces quelques cabinets hormis les rencontres sur le campus. » Un déficit d'informations que Consultor tache modestement de combler.
Et, comme dit notre source à Polytechnique, « si McKinsey nous fait une offre, on la prend ». Car dans les faits, « les échanges informels dans les écoles prévalent largement sur les quelques articles même négatifs qui peuvent paraître dans la presse », témoigne anonymement un ancien de la firme à Paris.
Surexposition médiatique à risque
Les tips informels plus forts que les articles de presse ? Cela est probablement d'autant plus vrai dans le cas de McKinsey car les articles consacrés au cabinet de conseil américain sont beaucoup plus nombreux que ceux qui s'intéressent à ses concurrents. McKinsey est par exemple deux ou trois fois plus recherché que ses confrères dans les requêtes Google.
De même, une rapide requête dans les archives du site du New York Times fait ressortir 398 000 résultats pour McKinsey, 1 100 pour le Boston Consulting Group et 81 pour Bain and Company. « Évidemment que les étudiants sont influencés par les mille nouvelles qu'ils lisent dans tous les sens. Pourtant, je ne crois pas que ces informations soient de nature à remettre en cause cent ans d'histoire irréprochable », dit un autre ancien associé senior de McKinsey à Paris.
Ce qui est vrai. Car si l'exposition médiatique devait influer sur les recrutements, McKinsey serait sans doute le premier cabinet à connaître une pénurie de recrues. Or, en France tout du moins, le cabinet reste un solide leader tant en termes d'attractivité que de notoriété — quoique derrière le BCG — dans le dernier classement Consultor.
Ce qui ne veut pas dire que la médiatisation négative est sans effet. Coca-Cola a pris ses distances avec McKinsey en Afrique du Sud où le cabinet a remboursé ses honoraires et a publiquement présenté ses excuses. Des contorsions qui jurent beaucoup avec l'excellence associée à la marque McKinsey. Quand bien même le cabinet s'est évertué à démontrer pour chacun des scandales auxquels il a pu être associé qu'ils reposaient sur des articles « biaisées et à charge », comme a indiqué à Consultor l'ancien associé senior de McKinsey Paris.
C'est fondamentalement différent de la condamnation de l'ancien managing partner Rajat Gupta en 2012 : il s'agissait alors d'un fait isolé quand les affaires en cascade de 2018 ont obligé le cabinet à des justifications en série. Sur la page des communiqués de presse du cabinet, les deux dernières parutions sont des réponses du cabinet aux derniers articles du New York Times.
Des effets sur le long terme sur la marque employeur ?
Seule concession de notre source : les effets incertains à long terme que ces scandales à répétition pourront avoir sur la marque employeur de McKinsey. Car les générations X, Y et Z font de l'éthique et de la quête de sens une valeur cardinale de leur parcours professionnel. « Notre génération est beaucoup plus sensible aux sujets éthiques, environnementaux et de responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) que les diplômés des générations précédentes. Si nous avons des informations mettant en cause l'éthique de certains cabinets de conseil en stratégie, je ne pense pas que l'impact sera nul », dit Jérémie* à HEC.
Au moins une conséquence s'impose. Il est fort probable que le cabinet, déjà connu pour une discrétion monacale, muscle encore ses règles de communication. « Cette médiatisation à tout-va a rendu le cabinet extrêmement prudent. Les règles internes sont draconiennes », commente l'ancien associé senior de McKinsey à Paris.
Et le cabinet pourrait aussi opter pour une prudence redoublée dans les modalités de sélection et de conduite des missions. Sauf à considérer les missions à risques réputationnels forts comme une manière de valoriser la marque et des relais de chiffre d'affaires impératifs. Ce que pourrait laisser entendre la présence de McKinsey au côté du Boston Consulting Group lors de la 2e édition du « Davos du désert ».
Et ce que défend en partie l'ancien associé de McKinsey à Paris : « Les affaires aux quatre coins du monde à très haut niveau renforcent la crédibilité du cabinet en tant qu'acteur de premier plan. C'est ce que vous cherchez quand vous y entrez : gagner dix ans dans votre progression de carrière. Après, vous aimez ce métier ou pas. C'est un autre sujet. »
Benjamin Polle pour Consultor.fr
Crédit photo : Photographie by Stuart Isett/Fortune prise le 24 septembre 2018 2.0 Generic (CC BY-NC-ND 2.0)
*Le nom a été changé.
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