Métavers dans le luxe : les cabinets ont-ils fait un flop ?
Depuis fin 2021, les cabinets ont publié pléthore de communications sur le métavers et ses potentialités, en particulier dans le secteur du luxe. Mais au-delà des publications, les missions auprès de groupes de luxe sont restées rares.
À l’été 2022, l’idylle entre métavers et cabinets de conseil en stratégie était parfaite. En juin, McKinsey prévoyait ainsi que le métavers avait le potentiel de générer jusqu’à 5 000 milliards de dollars de valeur d’ici 2030, dans son rapport « Value creation in the metaverse », qui faisait la part belle au secteur du luxe. Quant au BCG, dans le cadre d’un rapport commandé par le Comité Colbert, il considérait le Web3, dont le métavers, comme la « nouvelle pierre angulaire de la stratégie holistique des maisons de luxe » vis-à-vis de leurs clients. Derrière les effets d’annonce, quid des missions et quid des usages de métavers par les marques de luxe ?
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C’est un secteur qui fait rêver, à plusieurs titres. En pleine expansion au niveau mondial depuis la fin des années 1990, résilient face aux crises, ce secteur fait aussi « son marché » parmi bon nombre d’anciens consultants qui se plaisent à endosser les habits managériaux de grandes maisons… Et si le luxe a été très fortement impacté lors du premier confinement mondial, ce secteur s’est rapidement remis en selle, d’ores et déjà tourné vers les stratégies de croissance d’après covid.
De fait, les grands groupes de luxe ont souvent communiqué en grande pompe sur leurs partenariats avec tel ou tel métavers. Car il existe non pas un unique métavers, mais plusieurs. Le terme désigne tout espace virtuel où les gens interagissent à travers des avatars. Certains jeux en ligne à succès mondial, comme Fortnite et Roblox, sont désormais considérés comme parmi les principaux métavers existants. Balenciaga a ainsi lancé des accessoires de mode virtuels (également appelés NFTs « wearables ») vendus sur Fortnite, tandis que Gucci a lancé une ville virtuelle au sein de Roblox en mai, ainsi qu’un autre espace dans The Sandbox, une plus petite plateforme de jeux. Et Givenchy et Tommy Hilfiger par exemple se sont également installés sur Roblox.
Beaucoup de discussions, peu de missions
Pourtant, de l’aveu d’associés, rares ont été les missions dédiées spécifiquement au métavers. « Nous n’avons pas de missions avec des maisons de luxe », constate ainsi un associé, qui complète, « en revanche, nous avons beaucoup de discussions avec elles sur ces sujets-là ».
Même son de cloche dans un autre cabinet, où un associé confirme que les sujets métavers interviennent seulement comme des pistes de développement dans le cadre de missions plus généralistes : « Nous n’avons pas de missions à proprement parler sur le métavers avec des maisons de luxe, mais nous abordons ces thématiques dans le cadre plus large de plans stratégiques, ou de perspectives d’innovation de rupture, en étudiant comment le levier métavers ou NFT peut être utilisé. »
Les maisons de luxe restent donc relativement prudentes. Et pour cause : les métavers s’appuient souvent sur des technologies peu matures. Un problème émerge donc : « Il n’y a pas de standard ni de métavers dominant, ni un seul métavers où tout le monde peut se connecter dans le cadre d’une expérience fluide, correspondant aux usages de tout un chacun », relève Benjamin Audon, associate partner chez Circle. C’est justement l’ambition de Mark Zuckerberg avec Meta de créer un tel environnement, à travers son projet de métavers Horizon Worlds. Or, celui-ci est encore très récent : sa première version date de décembre 2021. Et ses performances restent à prouver : fin octobre, la branche de Meta gérant ce projet, Reality Labs, a ainsi annoncé une perte de 3,6 milliards de dollars au troisième trimestre. Peu de marques de luxe s’y sont aventurées pour l’instant.
Déceptions
En outre, certaines initiatives métavers ont parfois suscité des déceptions. C’est par exemple le cas de la Metaverse Fashion Week, un défilé virtuel organisé sur la plateforme Decentraland en mars, et auquel ont participé les marques Dolce & Gabbana, Estée Lauder ou encore Etro. « Il y avait un côté mainstream dans la façon dont l’événement était présenté », juge ainsi un consultant. Un autre renchérit : « Chaque fois que cet événement a été mentionné en ma présence, par des marques ou des agences, le retour était négatif. »
Enfin, des incertitudes sur le futur freinent les explorations. « Il est possible que demain, un nouveau métavers apparaisse et capte rapidement une part significative du marché, à l’instar de ce qu’on a pu voir dans le Web 2.0 lors des débuts d’Instagram et de TikTok », détaille ainsi Benjamin Audon, de Circle. Ce sur quoi abonde David Bourguignon, dirigeant de MAD Insight au sein du cabinet spécialisé sur le luxe MAD Network : « Il est concevable qu’à terme, il reste un métavers dominant par usage, y compris un microvers dédié par marque, mais les critères de ségrégation dépendront du génie marketing et créatif des acteurs en présence. »
Toujours convaincus
La plupart des cabinets continuent toutefois à croire au métavers, et arguent qu’il faut simplement patienter encore un peu. « La technologie n’est pas encore en place pour permettre une expérience immersive 3D de qualité, comme les marques de luxe le souhaitent. Mais cela va se passer dans les cinq prochaines années et les marques doivent s’y préparer dès maintenant », estime ainsi Olivier Abtan, partner chez Publicis Sapient. Quant à McKinsey, son enthousiasme ne faiblit pas. Contacté par Consultor, le cabinet déclare « s’attendre à ce que la valeur économique du métavers augmente de façon exponentielle », et considère que ce sujet « reste stratégique pour les marques de luxe ».
Parmi les cabinets qui avaient fait des déclarations particulièrement optimistes sur les promesses du métavers, certains ont toutefois partiellement fait volte-face, du moins en apparence. Ainsi, Joel Hazan, partner du BCG qui avait conseillé le Comité Colbert, s’est fendu d’une publication sur LinkedIn en novembre sur ce sujet. Il y déclare l’échec d’une version universelle du métavers, ainsi que de métavers jeunes postérieurs aux plateformes de jeux traditionnels. Mais cette soudaine lucidité vient surtout appuyer un nouvel argumentaire de vente autour des jeux en ligne, à l’instar de Roblox, désormais marketés sous le nom de « social gaming ».
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