Stratégie au royaume du caddie
Ancienne du Boston Consulting Group, Maud Funaro s’est mise au service depuis quatre ans du « colosse coopératif » E. Leclerc pour lequel elle assure la direction de la stratégie, de la transformation et de l’innovation. Un défi de taille très stimulant pour cette multi-diplômée de 40 ans qui aime les secteurs en pleine transformation.
Insuffler de l’innovation, du numérique et de l’agilité auprès d’un group de près de 133 000 collaborateurs et de 48 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019 dont les magasins physiques sont le fer de lance, voilà le défi du quotidien de Maud Funaro.
À 40 ans, elle est depuis bientôt cinq ans la directrice de la stratégie, de la transformation et de l’innovation du groupe E.Leclerc. Un rôle d’autant plus important aujourd’hui alors que la crise du Covid-19 et les deux confinements ont permis à de nouveaux clients de prendre le pli de faire leurs courses en ligne.
Débuts dans le public, un travail « solitaire et académique »
Au départ pourtant, cette parisienne d’adoption née à Montréal ne se destinait pas à intégrer ce leader de la grande distribution…. Jeune, elle rêvait d’être égyptologue ! Plus tard, son idée évolue et elle enchaîne les études dans de prestigieuses institutions : HEC, Sciences Po, London School of Economics suivis d’un PhD à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales.
Pendant ce doctorat, elle choisit le public et intègre la direction du trésor au ministère de l’Économie et des Finances où elle est adjointe au chef du pôle d’analyse économique du secteur financier pendant deux ans. Elle y fait de la recherche en économie industrielle notamment et rejoint ensuite en tant que rapporteur permanente l’Autorité de la Concurrence à l’appel de celle qu’elle considère comme une mentor, Anne Perrot, alors vice-présidente de l’institution. Des expériences très enrichissantes intellectuellement parlant mais relativement solitaires et académiques.
Finalement en 2010, elle rejoint le privé, le monde du conseil…et le Boston Consulting Group (BCG). « Le conseil en stratégie m’apparaissait être une bonne manière de concilier ce que j’aimais vraiment à savoir la grande diversité de secteurs et un très gros challenge sur la montée rapide en compétences de sujets complexes » raconte-t-elle.
L’acculturation par rapport à sa vie professionnelle d’avant et son âge – elle vient d’avoir 30 ans à l’époque – nécessite toutefois de l’adaptation, notamment au regard du large contingent de diplômés récents. « La transition n’est pas simple, car à l’époque c’était des modèles construits pour accueillir des jeunes sortis d’école dans le prolongement de leur formation » poursuit-elle en rappelant à quel point « les codes sont très différents ».
L’adaptation passe aussi par la forme comme elle le voit lors de l’un de ses premiers projets où elle doit préparer des slides et comprend rapidement que les siens ne correspondent pas aux attentes. Il faut adopter la rigueur maison, une logique bien particulière et une slide à un PDG est bien différent de la rédaction d’une note à un ministre par exemple.
Le conseil où la montée en compétence (très) rapide
Maud Funaro prend goût rapidement à ce nouveau monde et travaille dans la practice Consumer, retail et luxe avec majoritairement des clients de tailles intermédiaire et très impliqués dans la collaboration avec le BCG. Elle retient rétrospectivement de cette expérience intense des points très positifs au premier rang desquels « la manière dont on peut monter en compétence hyper rapidement sur des sujets très complexes grâce à l’écosystème ». Maud Funaro apprécie également la possibilité de « construire une stratégie, des recommandations factualisées assez vite en rassemblant des faits ou des datas un peu hétérogènes ».
Après quatre ans et demi au sein du cabinet américain, elle ressent l’envie de passer à autre chose, de sortir de sa « zone de confort » et se lance finalement dans l’aventure entrepreneuriale. À la suite de la liquidation judiciaire de Lejaby, qui avait fait les gros titres de la presse lors de la campagne présidentielle de 2012, une nouvelle marque – nommée Madame Aime – voit le jour. Elle est portée par la société de Bourg-en-Bresse 7 Fashion et comprend une partie de l’équipe de Monette, un actif issu des Lejaby historique.
Le concept est celui d’une lingerie féminine haut de gamme et Made in France. Fort de son passé en cabinet et de son expertise sur le milieu du luxe et au retail, Maud Funaro en devient la DG. Elle doit alors réfléchir au positionnement de la marque, au pricing, à l’optimisation des stocks, à la stratégie. Un chantier vaste. Elle y passera deux ans avant de quitter cette PME pour rejoindre au printemps 2016 le géant E. Leclerc présent dans le non-alimentaire comme dans l’alimentaire mais aussi l’électricité, le voyage, la téléphonie…
Chez E. Leclerc, un travail d’influenceur et de stratège auprès d’un réseau d’indépendants
Au sein de E.Leclerc qui a la particularité d’être un groupement d’indépendants – près de 600 propriétaires-exploitants en France et à l’international – elle intègre une sorte d’entité « régalienne » où elle est accompagnée d’une petite équipe. L’objectif est d’apporter de l’agilité, de voir les nouvelles tendances, de réfléchir en mode start-up et de collaborer avec de jeunes pousses. En somme « d’insuffler » de l’innovation. Elle vient avec ses réflexes de consultante, use des présentations PowerPoint. La tâche n’est toutefois pas toujours aisée pour « évangéliser » les pratiques des adhérents et de faire évoluer les mentalités.
Maud Funaro vient mettre un peu d’horizontalité, installe le réseau social d’entreprise Workplace de Facebook en betatesting pour instaurer une meilleure communication. Peu après son arrivée, l’un de ses premiers chantiers est de lancer une offre de livraison à domicile à Paris alors que E. Leclerc n’a pas vraiment de présence physique dans la capitale. Ce sera « Leclerc chez Moi », un nouveau service bâti en 18 mois seulement. Un lancement en mars 2018 dont elle est très fière.
Covid-19 : une accélération des tendances
L’année 2020 et la pandémie de Covid-19 ont eu des conséquences importantes sur la consommation. « La crise est un accélérateur de tendances. Les deux tendances qui sont le plus accélérées : le digital au sens e-commerce et le local » juge-t-elle. Et quid de son avenir ? « À court terme, mon souhait est de continuer dans des projets de transformation digitale ou ailleurs, dans des environnements corporate en pleine transformation où les business changent », confie-t-elle.
Et à plus long terme, où se verrait bien celle qui affectionne la peinture et la sculpture dans sa vie privée ? Elle évoque la direction d’une marque ou d’un business. On lui demande un brin provocateur si elle pourrait pourrait prendre un jour la place occupée par le très médiatique patron Michel Edouard Leclerc, 69 ans en mai prochain, et fils du fondateur. La dirigeante botte en touche. On restera sur notre faim…
Pierre-Anthony Canovas
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