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Directrice de la stratégie d’Engie, mode d’emploi

Être à la tête de la direction de la stratégie d’un colosse comme le groupe leader de la commercialisation de gaz (transport, distribution, stockage, terminaux) et d’électricité en France et à l’international, qui cumule quelque 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires et un effectif de 170 000 personnes… en quoi cela consiste-t-il concrètement ?

Consultor a posé la question à Anne-Laure de Chammard qui à sa sortie de Polytechnique et de Harvard a passé deux années au BCG avant de mener une carrière entre haute fonction publique et secteur privé. Son parcours lui a récemment valu les honneurs du classement des 100 leaders économiques de demain.

Delphine Sabattier
09 Jui. 2020 à 11:20
Directrice de la stratégie d’Engie, mode d’emploi

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Anne-Laure de Chammard démarre sa carrière comme consultante au Boston Consulting Group aux États-Unis au bureau historique de Boston de 2008 à 2010. Elle avait préalablement fait deux stages au sein du cabinet : l'un au sortir de l’X dont elle fut diplômée en 2005, l'autre pendant ses études à la Harvard Kennedy School. Au BCG, elle travaille notamment à la réorganisation de la direction de la R&D d’un géant de la pharma, à la réforme stratégique du ministère de l’Énergie français ou à l’éradication du paludisme pour une ONG internationale. Mais sa vocation est ailleurs, elle veut servir l’État. « J’ai adoré le conseil, vraiment ça a été difficile de le quitter quand je suis rentrée en France. Mais étant ingénieure du Corps des Ponts, si je renonçais, à ce moment-là à réintégrer la fonction publique française, cela aurait été définitif », se souvient-elle. Anne-Laure de Chammard prend alors le chemin du ministère du Développement durable et de l’Énergie en 2010 où elle va diriger l’attribution et le suivi de grands projets d’infrastructures en partenariat public-privé (autoroutes, lignes à grande vitesse...). Quatre ans passent, et une autre opportunité se présente : « J’avais soif d’opérationnel », admet-elle. Elle laisse alors s’exprimer pleinement son goût pour l’implémentation et la prise de décision chez Bureau Veritas, qui la mènera jusqu’à la présidence de Bureau Veritas Construction en 2016. C’est forte de ces expériences dans le public, le privé et le conseil, en France et à l’international, qu’elle arrive chez Engie au poste de directrice de la stratégie le 1er octobre 2019.

Pour ses premiers pas dans une entreprise du CAC 40, Anne-Laure de Chammard a choisi la direction de la stratégie : « C’est une bonne façon d'avoir une vision à 360° du groupe et des grands enjeux stratégiques d’Engie », nous dit-elle. Mais peu après sa prise de fonction, le 1er octobre 2019, le contexte va rapidement être bouleversé. En moins de six mois, deux grosses secousses se succèdent : le limogeage de la directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher, par le conseil d’administration, et une pandémie qui va paralyser le monde. On a connu des entrées en matière moins brutales.

Les dossiers chauds du moment

Alors, forcément, parmi les dossiers brûlants à traiter celui de la crise du covid-19 s’est imposé en priorité ces dernières semaines : « Nous avons dû construire en urgence des scénarios pour les différents pays dans lesquels nous sommes présents, secteur par secteur. Nous avons pris en compte la façon dont la pandémie est gérée par les États, étudié les impacts sur nos activités, et testé notre résilience. Nous avons également bâti des plans de relance pour l’après-crise. Notre rôle actuellement est d'identifier les grandes opportunités de reprise. »

Autres fers au feu : la transition énergétique et le focus stratégique du groupe. « Nous avons réduit notre empreinte carbone de 50 % ces trois dernières années, et nous entendons bien continuer en poursuivant nos investissements dans les énergies renouvelables, les gaz verts et l’efficacité énergétique. Nous étudions différentes trajectoires industrielles et nous projetons à différentes échéances :  en visant d’être neutre en carbone en 2050, qu’est-ce que cela veut dire concrètement aujourd’hui, dans dix ans… ? C’est une réflexion à forts enjeux, car nous ne pouvons pas faire les choses à moitié : pour aider nos clients à se décarboner, nous devons continuer à nous décarboner nous-mêmes, et le faire de façon concrète. »

Quant au focus stratégique, Anne-Laure de Chammard indique qu'Engie travaille « sur l’implantation géographique de l’entreprise et sur le portefeuille des activités, pour voir comment les recentrer, simplifier notre organisation et clarifier nos options stratégiques, afin d’accroître notre impact et notre lisibilité ».

La direction de la stratégie chez Engie : un département couteau suisse

Au quotidien, Anne-Laure de Chammard s’empare des grands projets pour guider les orientations du groupe. Les domaines sont variés : nucléaire, énergies renouvelables, solutions énergétiques pour les clients, infrastructures de gaz et d’électricité, synergies entre les différentes branches du groupe.

« Engie couvre beaucoup de secteurs et l’éventail des métiers dans le groupe est très large. Cela peut être parfois complexe à appréhender pour le marché », acquiesce la directrice de la stratégie. Les interventions de son département vont de l’accompagnement sur les grandes orientations et acquisitions stratégiques à l’étude d’options industrielles, en passant par l’analyse concurrentielle ou encore les études macroéconomiques à plus ou moins long terme : « Nous suivons les tendances des marchés et de l’énergie. Sur un sujet comme les gaz verts par exemple, nous analysons le mix énergétique optimal de l’Europe pour atteindre la neutralité carbone, et étudions les modalités d’investissement et d’industrialisation rapides sur ces sujets. »

Au comité exécutif, pourtant, Anne-Laure de Chammard ne siège pas directement. Sa direction est rattachée à Shankar Krishnamoorthy, directeur général adjoint en charge de la stratégie et de l’innovation, du développement industriel, de la recherche et technologie et des achats.

Elle conçoit son métier comme une aide à la prise de décisions, au service, entre autres, du comité exécutif, de la direction générale et du conseil d’administration, mais également comme un moyen d’aider à décliner la stratégie du groupe au sein des entités opérationnelles : « Nous réalisons un travail important pour créer le bon alignement, embarquer l’ensemble des parties prenantes et avancer de manière agile dans la transformation du groupe. Nous devons être sûrs d’arriver à des décisions qui font sens et qui rencontrent l’adhésion nécessaire pour être implémentées. » Chaque année, le groupe organise ainsi un exercice stratégique avec les responsables de chaque branche d’activités.

Plus généralement, la plupart des décisions stratégiques doivent faire consensus pour avoir une chance d’être validées en comex. Alors, il faut multiplier les réunions, les ateliers participatifs, utiliser l’intelligence collective, aligner les acteurs,… Avoir été consultante avant, ça aide, reconnaît celle qui a démarré sa carrière au BCG à Boston même.

Mais parfois il faut aller vite, même dans la situation actuelle chez Engie, avec une direction générale intérimaire, depuis le départ d'Isabelle Kocher. « Nous travaillons sur les grandes orientations stratégiques à venir, mais il y a également des sujets sur lesquels les décisions sont évidentes, on sait qu’il faut les enclencher rapidement », nous dit Anne-Laure de Chammard.

La nomination pourrait prendre un peu de temps, d’après les informations publiées par l’agence Agefi-Dow Jones le 14 mai : « Compte tenu de l’impact de la crise sanitaire sur le processus en cours (de recherche par Engie d’un nouveau directeur général, NDLR), il est probable qu’il aboutisse à l’arrivée d’un dirigeant en fin d’année », a déclaré Françoise Malrieu, la présidente du comité des nominations. Surtout que le contexte de la crise est tendu : Reuters indiquait le 13 mai 2020 qu'Engie pourrait se retirer de vingt-cinq pays d'ici 2021.

Quand et comment Engie travaille avec des consultants en stratégie

Sur ses dossiers, la directrice de la stratégie limite les recours aux cabinets externes : « Nous faisons appel à eux quand nous avons besoin de benchmarks. Les grands cabinets apportent une richesse de données ou de comparables que nous ne possédons pas forcément toujours en interne. Leur contribution est notamment importante pour avoir une vision sur ce qui se fait dans d’autres secteurs que le nôtre. »

Anne-Laure de Chammard connaît bien leur fonctionnement, ce qui rend la collaboration plus simple et efficace, selon elle : « Il faut notamment être extrêmement présent, car les orientations doivent aller très vite. On ne peut pas suivre de loin la mission d’un cabinet. » Aussi, lorsque la direction générale l’interroge sur un sujet pour lequel sa direction décide de travailler avec des consultants externes, Anne-Laure de Chammard n’hésite pas à les faire échanger en direct avec les décideurs : « Cela peut apporter un impact non négligeable aux messages que l’on souhaite faire passer. »

Engie acheteur de conseil

Chez l'énergéticien, foule de consultants en stratégie interviennent à différents niveaux et sur différents sujets. Les exemples récents de leurs multiples interventions abondent : McKinsey sur le dossier Endel, l’ancien ministre Éric Besson dont les honoraires ont défrayé la chronique, Mars & Co qui, aux dires de Gérard Mestrallet, l’ancien PDG de Suez est la boutique de conseil en stratégie historique du groupe... Les MBB sont de toute façon des interlocuteurs réguliers, disait aussi Gérard Mestrallet lorsque nous l'avions interviewé en novembre 2017.

Des stratèges appréciés en interne

Parmi la vingtaine de collaborateurs que compte la direction de la stratégie d’Engie, il y a des économistes, des financiers, qui ont entre cinq et trente ans d’expérience chez Engie, ainsi que des anciens consultants.

« Dans l’équipe, nous cherchons des profils de très bon niveau, analytiques et ayant une expérience opérationnelle. Dans l’idéal, nous souhaitons qu’ils connaissent bien nos métiers. Je suis cependant également très ouverte à des candidats qui viendraient de cabinets de conseil en stratégie. Cela apporte une agilité complémentaire », sourit Anne-Laure de Chammard qui garde un excellent souvenir de son passé de consultante. 

« Le conseil en stratégie permet de grandir de manière accélérée. On y apprend l’art de la synthèse, comment expliquer de manière simple des sujets très complexes. C’est un métier avec une courbe d’apprentissage toujours très exigeante, qui pousse sans arrêt à sortir de sa zone de confort, à réfléchir “outside the box”, à anticiper le coup d’après. En général, les consultants ne se contentent pas de bien faire, ils se demandent toujours comment aller au-delà et ce qu’ils pourraient faire mieux, comment se dépasser. »

La nouvelle patronne de la stratégie d’Engie atteste personnellement de la manière dont sont perçus les consultants au sein du groupe : « Ce sont des gens qui possèdent une réelle agilité, une grande force de travail, une rigueur intellectuelle importante, un vrai sens de l’écoute et beaucoup d’humilité. »

Notre interlocutrice serait-elle tentée par un retour dans un cabinet ? Rien n’est jamais exclu, répond-elle, mais « j’ai aussi un goût prononcé pour l’opérationnel, l’implémentation, la prise de décision et les résultats ! ».

Quand Anne-Laure de Chammard est entrée chez Engie, elle a quitté une direction générale opérationnelle. Pour la suite, elle se dit ouverte sur le sujet : « Ces allers-retours entre la stratégie et l’opérationnel sont une véritable source d’enrichissement, et j'espère continuer à le faire dans les années qui viennent. » Décider de ne pas choisir, un luxe dont elle s’est visiblement donné les moyens.

Par Delphine Sabattier, pour Consultor.fr

Boston Consulting Group Mars & Co McKinsey
Delphine Sabattier
09 Jui. 2020 à 11:20
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2021-08-22 21:47:52
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