300 clients, 700 copils, 5 déménagements : 30 ans de consulting
Quarante-quatre ans de carrière, trente-cinq de conseil en stratégie, dont vingt-cinq passés sous le label Kearney dont il est devenu un associé énergie et pricing : Laurent Dumarest a vu s’enchaîner les révolutions technologiques et s’est frotté aux clients et aux projets les plus inattendus. Jeune retraité, il n’en a pourtant pas fini avec le conseil, au contraire.
À 65 ans, le consultant Laurent Dumarest n’a pas pris sa retraite de Kearney (relire ici) pour s’adonner uniquement à ses loisirs préférés : la pêche en haute mer, le ski, la voile, la chasse sous-marine, ou encore le rock.
Un mois seulement après son départ du cabinet, il vient de créer sa propre société de conseil, Dumarest Stratégies, une entreprise individuelle, et continue à développer la start-up dont il est cofondateur, WhiteHeron Software, une solution tech « qui aide les entreprises à développer un prix optimal B2B ».
Le pricing, encore et toujours ! Un des dadas développés au cours de sa carrière de consultant. De son parcours chez Kearney, Laurent Dumarest a fait quelques comptes : il a travaillé pour plus de 300 clients, a participé à plus de 700 copils, déménagé cinq fois, et a connu plus de 1 000 consultants.
Révolutions technologiques, métier immuable
Dumarest Stratégies sera donc le nouveau et énième challenge pour cet expert. Il en a vu d’autres en quatre décennies de carrière. Un de ses défis de tout temps fut de toujours s’adapter aux nouvelles technos, d’une révolution à l’autre.
Depuis « les machines à écrire IBM à mémoire et avec une petite boule !, les petits Macintosh d’Apple avec la première souris en 1984, les transparents en plastique sur lesquels on écrivait au marqueur de couleur indélébile qu’on posait sur l’écran du rétroprojecteur, les fax… » Plus récemment, ce fut la montée en puissance du big data et de l’IA, ou la généralisation de la vidéoconférence depuis 2020.
« Nous allons beaucoup plus vite, nous avons accès à de plus en plus de données facilement et partout. L’automatisation permet plus de profondeur et de richesse. Encore faut-il savoir décoder ces masses d’infos et de données. »
De même de la visio, dont il pense qu’elle a clairement ses limites. Comme lors de l’une de ses dernières missions : un projet européen sur six mois, et quinze consultants, sans se rendre une seule fois chez le client : « Je n’aurais pas parié là-dessus il y a seulement trois ans, et j’espère que cela ne va pas devenir la norme. Le contact direct avec le client me paraît incontournable et essentiel ! »
Si les modalités d’exercice du métier et les technologies ont tellement changé, c’est peu de le dire, ses valeurs restent pourtant intangibles à ses yeux. « Nous travaillons toujours au service des clients, même si cela peut déplaire à certains. C’est le cœur de notre métier. Et il y a une certaine noblesse à aider les entreprises à progresser en étant l’aiguillon des DG. Avec une énorme exigence sur la qualité de notre travail. »
Médecin oui, mais des entreprises !
Cet originaire de l’Ain, du Haut-Bugey précisément, à quelque 90 km de Lyon, aurait plutôt dû s’orienter vers la filière médicale – tout dans sa famille l’y appelait.
Son arrière-grand-père, le docteur Jules-François Dumarest, médecin de campagne à Hauteville à la fin du XIXe siècle, a eu la conviction que ce plateau à 910 m d’altitude réunissait les conditions climatiques nécessaires pour soigner les maladies pulmonaires, et en particulier la tuberculose. Les médecins lyonnais y envoient alors leurs malades.
C’est son grand-père Frédéric qui lancera véritablement la station d’Hauteville avec la création de l’un des premiers sanatoriums d’altitude en France en 1900, et qui en fera un centre de référence internationale dans la lutte contre la tuberculose. Puis son père Jean organisera dans les années 1970 la reconversion totale des sanatoriums en centres de soins plus généralistes après l’avènement des antibiotiques.
« Un de mes frères est médecin, ma sœur est chef du pôle pharmacie des Hospices Civils de Lyon. Mais moi, je n’avais pas la vocation. J’avais beaucoup d’admiration pour mon père, mais je le voyais bosser comme un fou. Et j’avais envie d’un métier avec un côté entrepreneur. Mais finalement, les consultants, nous sommes quelque part les médecins de l’entreprise et nous travaillons presque autant ! »
Diplômé de l’ESCP en 1977, Laurent Dumarest poursuit donc son envie business. Il débute dans un petit cabinet d’audit et commissariat aux comptes, devenu BDA, puis Deloitte, où il obtient son diplôme d’expert-comptable en 1984, avant de rejoindre les fondateurs d’Eurosept Associés, cabinet de conseil en management. « J’avais 29 ans et l’audit ne m’intéressait pas à terme. »
Après dix années chez Eurosept, dont il devient associé puis DG, le cabinet rejoint fin 1994 le pôle conseil d’Electronic Data Systems alors en constitution. En 1995, le groupe américain rachète Kearney et les équipes d’Eurosept sont intégrées dans celles de Kearney, où il est élu partner.
« Au départ, venant d’un petit cabinet, je dois reconnaître qu’on nous a regardés d’une façon un peu condescendante. Cependant, les anciens d’Eurosept ont eu un très beau parcours chez Kearney : Éric Gervet, ex-patron du bureau de Paris, est aujourd’hui à San Francisco en charge de l’innovation pour la firme, Xavier Mesnard a été responsable de la practice mondiale strategic operations, Laurent Chevreux est le leader de la practice supply chain en Europe. »
Rachat de Kearney et spécialisation énergie et pricing
En janvier 2006, Laurent Dumarest n’hésite pas à participer avec 154 autres « angels » au rachat de Kearney à EDS pour en refaire un partnership.
Il spécialise en énergie (électricité, énergies renouvelables), industries de process (chimie, verre, acier et aluminium, construction, distribution professionnelle), mais également dans le pricing, dont il est devenu l’un des experts mondiaux. Le début d’une collaboration de vingt-cinq années, sans jamais avoir eu l‘envie de le quitter, même si les opportunités n’ont, bien sûr, pas manqué.
« Aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs ? Ça ne m’a pas tenté. J’ai eu la chance d’avoir toujours eu des choses très intéressantes à y faire. J’aurais eu le sentiment de trahir. Si je quittais Kearney, ce n’était en tout cas pas pour aller vers un autre cabinet pour y faire le même métier. »
Parcours chez Kearney
1995 : Arrivée avec les équipes d’Eurosept au bureau Kearney de Paris. Élection partner.
2001-2004 : Leader de la practice utilities Europe
2002 : Nomination managing partner Kearney France
2005 : Promotion senior partner
2006 : Rachat de Kearney à EDS
2006-2010 : Managing partner du bureau de Bruxelles
2012-2013 : Coordinateur marketing EMEA
2010-2021 : Senior partner au bureau de Paris
Des missions vertes et pas mûres
S’il estime à 300 le total des missions de conseil qu’il a vendues ou auxquelles il a contribué, dur, dur de se souvenir de chacune d’elles. Il y a bien pourtant quelques dossiers. Ils concernent avant tout l’accompagnement des dirigeants dans les grands projets de transformation, ainsi que les missions de pricing.
« Le pricing a un impact important et rapide sur la rentabilité de l’entreprise sans gros investissements et sans traumatisme… » Très impliqué dans les énergies durables, le consultant a travaillé sur un sujet qui l’a particulièrement marqué durant son parcours, « gagné de haute lutte ! » en 2007 alors qu’il était au bureau de Bruxelles : la définition d’une roadmap stratégique pour l’association européenne de l’industrie photovoltaïque EPIA, devenue SolarPower Europe.
Laurent Dumarest intervient alors à la demande d’Anton Milner, alors président de SolarPower Europe qui fut également le CEO de Q Cells, une société de fabrication de cellules photovoltaïques et un ancien du conseil en strat’ (passé par McKinsey en Allemagne).
« Nous avons publié le premier rapport en 2007 dans lequel nous concluions que le photovoltaïque serait compétitif en Europe en 2020. Nous avons préconisé d’investir, défini les moyens et les recommandations. J’avais interrogé de nombreuses entreprises du secteur de l’énergie qui m’avaient alors traité de fantaisiste… Je pensais vraiment qu’une industrie européenne du secteur devait se déployer. On m’a rétorqué qu’en France, on avait le nucléaire et donc pas besoin de solaire. Depuis, le solaire est devenu la source de production d’énergie à la plus forte croissance dans le monde, mais en Europe, il n’y a plus aucune production, ce sont les Chinois et les Coréens qui ont pris l’ensemble du marché… Il ne faut pas avoir raison trop tôt ! »
Laurent Dumarest se rappelle aussi quelques autres missions singulières. « Un truc marrant ! Une due diligence pour une entreprise de biotech qui a mis au point un dispositif pour transformer les déchets de sardines d’une pêcherie mauritanienne afin de produire des oméga 3 et du collagène. »
Autre sujet « durable » original pour un leader mondial de la route : la substitution d’un solvant toxique nécessaire à la production du bitume par une molécule extraite de carapaces de crevettes… « On n’imagine pas qu’on va tomber sur ce genre de solutions lorsque l’on débute les recherches. C’est incroyable de pouvoir travailler sur des innovations aussi surprenantes ! »
Consultant, accélérateur de carrière
Après ses trente-cinq ans de conseil, et après avoir vu passer pas moins d’un millier de consultants, Laurent Dumarest en est certain : le conseil est un véritable accélérateur de carrière, « un incomparable creuset de formation aux techniques analytiques, de problem solving, de communication écrite et orale, de synthèse ». Passer quatre à cinq ans dans un cabinet est un gage de réussite dans l’entreprise.
« Durant ces quelques années, le consultant va aborder entre quinze et vingt missions, une palette d’expériences, de diversité de sujets, de cultures d’entreprises et de tailles d’industries… De ce que j’ai vu, un ex-consultant est une fusée, il peut très vite prendre des responsabilités jusqu’aux plus élevées dans l‘entreprise… Même s’il n’a jamais pris de décisions durant son parcours de consultant, il a acquis tout un ensemble de choses qui vont lui permettre d’en prendre et des bonnes ! »
Pour le tout récent retraité de Kearney, les liens sont loin d’être rompus avec son cabinet. À son départ, Laurent Dumarest a en effet signé un contrat de senior advisor. « C’est un rôle d’appui sur les sujets énergies, grandes industries de process et les sujets topline, notamment le pricing. » En attendant, il fait sienne cette citation qu’il aime de John Lennon : « La vie est ce qui vous arrive pendant que vous êtes occupé à faire d'autres projets. »
Barbara Merle pour Consultor.fr
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