Soif de formations certifiantes dans le conseil en stratégie
Plusieurs cabinets de conseil en stratégie accompagnent leurs consultants désireux de suivre des formations certifiantes. Dans quel contexte, et pour quels bénéfices ?
Selon l’étude de marché 2023-24 de Syntec Conseil, « la dimension formatrice du conseil » est saluée par les nouvelles recrues, que ce soit grâce à la « diversité des missions » (souvent dès le début du parcours dans un cabinet) ou aux « actions de formation » mises en œuvre, sans parler des « systèmes de mentorat ».
Au-delà du développement des compétences « on the job » mis en avant par les consultants comme les cabinets, quelle est la nature des actions de formation déployées par ces derniers ? Que visent-ils en facilitant certaines formations certifiantes en particulier — en dehors des MBA, bien connus et le plus souvent réservés aux « meilleurs » consultants, en France du moins ?
Se former quand le temps est une denrée rare
L’un des atouts des formations certifiantes tient dans la possibilité de les réaliser en plusieurs fois. Besoins plus urgents que d’autres ou temps qui manque, un ou deux blocs de compétences peuvent être suivis de façon indépendante, et les autres ultérieurement. Une fois tous les blocs validés, la certification globale est obtenue.
Sur le temps à consacrer à la formation, Pauline Bracq, People Development Manager chez Roland Berger, évoque « un combat de tous les instants ». Cela fait partie « du travail délicat des RH qui doivent s’assurer que chaque formation proposée est “complète” tout en démontrant une forte empathie envers des populations de consultants ayant des emplois du temps chargés ».
De son côté, Pietro Turati, partner chez Eleven qui pilote le choix et le déploiement des formations au sein du cabinet (via une équipe dédiée de 4 personnes), met en exergue la possibilité pour les consultants de suivre une formation certifiante « en full time, si le consultant est on the beach », ou de façon plus diluée « s’il est en cours de mission ». Le partner indique également que la nécessité des temps de formation est souvent « partagée aux clients », lesquels bénéficieront de ces apprentissages in fine.
La formation envisagée comme « partie intégrante » de l’activité professionnelle
C’est la conviction du cabinet Eleven, qui a développé des parcours de formation spécifiques au fil des passages de grades. « Plusieurs journées sont ainsi consacrées à la gestion des conflits, la gestion du temps, la gestion de projet — des formations soft skills réalisées par des intervenants externes, explique Pietro Turati. Nous prenons soin également de permettre à nos consultants de se certifier sur certaines technologies — Azure, AWS, GCP… En effet, savoir travailler dans ces contextes ne suffit pas, le fait de disposer de la certification constitue un plus. »
Chez Eleven, la formation comporte un autre volet, celui de l’élaboration de cours délivrés en interne ainsi qu’en business schools et écoles d’ingénieurs (Master Data Science for Business proposé par X-HEC, double diplôme ESSEC-Centrale Paris Data Science and Business Analytics, Ponts ParisTech, ENSAE). « Durant 15 heures, nous enseignons les » basiques » de la stratégie — qu’est-ce que la stratégie de croissance ? Une due diligence ? La stratégie d’innovation ? La stratégie data ? — ou l’apprentissage des meilleures pratiques pour réaliser des projets data impactant via des hackathons ».
Autre cabinet partageant cette conviction de la formation « inscrite » dans l’activité pro : Bain et son bureau parisien. En 2022, le cabinet s’est associé à HEC pour élaborer un programme de cours approfondi destiné à l’ensemble de ses troupes, consultants comme partners. Donnant lieu à une certification, cette formation sur mesure intitulée « ESG : Énergie et Climat » représente 40 heures de training pour chaque participant. Ada Di Marzo, associée et directrice générale de Bain France, en a commenté le lancement ainsi : « L’urgence climatique est devenue une priorité stratégique pour nos clients […]. Nous devons tous […] savoir décoder l’impact et les actions nécessaires qui vont permettre à nos clients de progresser ». Dès lors, une telle montée en compétences relève d’un enjeu « métier » manifeste.
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Le cabinet Bain & Company Paris l’avait promis en octobre dernier pour 2022 (ici). C’est chose faite. D’ici la fin de l’année, les consultants du bureau parisien seront « labellisés ESG ».
Chez Roland Berger, « les grades junior bénéficient de formations davantage axées sur la maîtrise des compétences techniques du consultant – Excel, PowerPoint, DD, maîtrise des entretiens experts et cold call, animation workshop, etc. - et sur la communication orale, explique Pauline Bracq. À partir du grade senior, les offres de formation portent sur le management, le feedback et le leadership, autant de compétences à développer quand on commence à encadrer des équipes ». Les senior consultants se voient aussi proposer des parcours de coaching spécifiques, « sur la connaissance de soi au grade 1 et sur l’assertivité au grade 2 ». Quant aux principals et partners, ils sont accompagnés par un coach plusieurs journées par mois.
Un double objectif de renforcement de l’expertise et de fidélisation des consultants
Avencore, dont l’un des principaux secteurs d’activités est la défense, offre un bon exemple de cette combinaison. Le cabinet encourage en effet la participation de certains de ses consultants au Cycle Jeunes de l’Institut des Hautes Études de Défense nationale (IHEDN).
Cette formation, qui permet de devenir auditeur de l’Institut, est animée par de hauts responsables du milieu militaire, du monde académique et de la société civile. Elle comporte des conférences-débats (éléments d’analyse, de discussion et de compréhension des sujets abordés), auxquelles s’ajoutent des visites de terrain de nature industrielle, technologique ou militaire, et des travaux de comité visant à développer une réflexion collégiale autour d’un sujet d’actualité ou de prospective.
Paul Tufféry, manager chez Avencore diplômé du 139e Cycle Jeunes de l’IHEDN fin octobre 2023, a témoigné sur LinkedIn de « sa fierté [d’être devenu auditeur, ndlr], doublée d’une nécessaire modestie pour relever les défis de l’industrie de défense ». Des enjeux que la formation certifiante qu’il a suivie lui permet de mieux appréhender — « conflits liés à l’environnement et aux ressources, nouvelles menaces cyber, retour des guerres de haute intensité, complexification des systèmes de combat ». De leur « bonne prise en compte [dépend] le leadership de l’industrie de défense française et européenne, ainsi que la défense des citoyens ».
Des dispositifs classiques, du digital learning — et des modules plus innovants
En matière de formation, le secteur du conseil en strat opte pour les valeurs sûres. Ainsi, selon Pauline Bracq, « Roland Berger privilégie le plus souvent les formations en présentiel, que ce soit à Paris ou en Allemagne ». Le cabinet considère en effet les périodes de formation comme « des moments d’enrichissement du savoir, mais aussi de convivialité et de team building ». L’enjeu n’est donc pas uniquement pédagogique. Cela n’empêche pas Roland Berger de proposer des formations e-learning régulièrement en parallèle.
Même goût du présentiel du côté d’Eleven, sans ordinateur ni téléphone durant les temps dédiés, mais avec l’appui du digital learning à d’autres moments et la possibilité d’accéder aux formations en mode ATAWADAC — Any Time, Any Where, Any Device, Any Content. Une souplesse d’accès indispensable pour les consultants rejoignant le cabinet en cours d’année.
Toutefois, dans le cadre des formations tech/data, les MBB et Roland Berger recourent à la formule innovante du « bootcamp ». Ces cabinets sollicitent par exemple le centre de formation aux métiers du numérique Le Wagon For Business (pôle B2B du Wagon, lui destiné aux particuliers). Via des sessions d’une durée de 2-3 jours jusqu’à 9 semaines, les consultants peuvent acquérir des compétences « actionnables rapidement ». Comme l’indique le centre de formation, en 2022, Bain Moyen-Orient a ainsi formé ses nouveaux consultants juniors « au traitement et à l’exploration de grands ensembles de données pour mener des discussions plus pertinentes sur les data avec leurs clients ». Une formation qualifiée par Le Wagon For Business « d’interactive et pratique — à 80 % ».
La mesure du ROI ou ROE et la valorisation de la marque employeur
Les cabinets de conseil accompagnent leurs clients sur la base d’indicateurs. En matière de formation en leur sein, parviennent-ils à déterminer un « Return On Investment » (ROI) ou « Return on Expectations » (ROE) ?
Pour Roland Berger, Pauline Bracq revient sur « le rôle des HRBP (Human Resources Business Partners), qui pilotent les sessions d’évaluation semestrielles afin de noter les axes de développement spécifiques des consultants ». Une fois les formations adéquates choisies et réalisées, ils s’assurent, à la session d’évaluation suivante, « que les consultants concernés ont bien progressé sur l’axe de développement identifié précédemment ». Quant au ROE, appréhendé grâce aux feedbacks écrits sollicités auprès des participants à l’issue de chaque session, il est aussi nourri – positivement – par la prise en compte « des initiatives individuelles porteuses de sens », à condition qu’elles soient en lien « avec la stratégie du développement business de la Core Team des consultants ».
L’opportunité donnée à ces derniers de suivre des formations certifiantes aiguisant leurs compétences et en attestant, sert indéniablement la marque employeur des cabinets. Tout comme le fait que, chez Eleven, « tout le monde assure à tour de rôle le partage de connaissances ou les sessions de formation — quand elles ne sont pas animées par des intervenants externes. Pour chacun, c’est l’occasion de transmettre et aussi d’apprendre », conclut Pietro Turati.
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