Comme un boomerang : des consultants adeptes du déjà vu ?
Depuis 2022, le phénomène des salariés « boomerang » est largement relayé dans les médias en contrepoint de celui du big quit. Certains experts RH en font un nouveau levier de gestion des talents. Valable dans le conseil en stratégie ?
Ils sont 3 à avoir opéré ce type de mouv’ dans des contextes différents : Jean-Thomas Ledoré, partner de Strategy&, Guillaume Poutrel, principal chez Arthur D. Little, ainsi qu’un consultant souhaitant rester discret, boomerang au sein d’une « boutique ». Partages d’expériences, avec l’éclairage des cabinets Arthur D. Little et PwC/Strategy& en contrepoint.
The big question : pourquoi part-on ?
Dans le conseil en strat, les réponses se démarquent de celles du monde de l’entreprise en général. En effet, les désirs d’évolution – périmètres de responsabilités, expositions sectorielles, zones géographiques, salaires – y sont exacerbés.
C’est d’ailleurs ce qui a poussé Jean-Thomas Ledoré à quitter PwC qu’il avait intégré en sortie d’école. Parti chez EY au bout de 5 ans – il a rapidement été qualifié de « profil fast-track à haut potentiel », devenu manager en moins de 3 ans puis senior manager chez EY –, il souhaite alors se frotter à d’autres sujets et d’autres partners, malgré toute l’admiration qu’il porte à l’associé avec lequel il travaillait principalement chez PwC, qui a été son mentor. 2 ans après son arrivée chez EY, il rejoint son client d’alors, « le groupe Cémoi, leader du chocolat sous marques distributeurs », et entre au comex à 29 ans en tant que directeur de la Stratégie et du M&A.
L’appel de l’étranger a motivé le départ de Guillaume Poutrel. « Des envies et des opportunités d’ailleurs ont convergé ». Il est alors senior manager et quitte – temporairement – le conseil en strat, saisissant l’occasion de travailler sur de nouveaux sujets, « très sustainability », pour la métropole de Vancouver. On est en 2018, ce type de thématiques est encore rare.
Pour notre 3e témoin, principal au sein d’un cabinet spécialiste de la transformation après avoir passé 4 ans au sein d’une « boutique » - en 2e saison - et 7 ans quand il y a démarré sa carrière, la sortie fait suite à la proposition d’un cabinet de chasse. « Les 2 dernières années, je me consacrais presque exclusivement aux services financiers. On m’a proposé de rejoindre un cabinet spécialisé sur ces sujets. Savoir que je serai entouré de partners évoluant dans ce secteur m’a convaincu. C’était aussi l’occasion de me tester, ailleurs. »
Et pourquoi ces mouv’ retours ?
Les rencontres y sont pour beaucoup. Durant ses années Cémoi, Jean-Thomas Ledoré a beaucoup sollicité les consultants, « notamment PwC dans le cadre du rachat de Cémoi par le groupe belge Sweets Products ». 2 ans plus tard, c’est au détour d’un verre que son ancien conseil – sur la partie transactions, taxes et juridique de la fusion – lui apprend les velléités de renforcement de Strategy& sur le Consumer et le Retail. « L’adrénaline du conseil me manquait, la stimulation intellectuelle propre à ce métier, reconnaît celui qui y est devenu partner. Je suis donc entré en discussion. Par ailleurs, j’apprécie beaucoup l’une des spécificités de PwC, à savoir le fait de fonctionner en collectif sur les grands programmes de transformation, de la structuration stratégique de ces programmes à leur implémentation opérationnelle. À titre d’exemple, mon compte de cœur historique est aujourd’hui copiloté par une compétence de conseil en stratégie – moi-même – et par une compétence de structuration et de déploiement de transformation issue de PwC Consulting, Arnaud Ferlin, un associé très reconnu sur ces sujets. »
Les motivations diffèrent chez Guillaume Poutrel, son horizon ayant été dès le début « à moyen terme ». La crise Covid accélère son retour en France. Souhaitant refaire du conseil – « pour le format, l’impact, l’environnement » –, il vise des sujets plus proches de sa sensibilité. Les contacts entretenus avec ADL depuis son départ font le reste.
Durant son absence, le contact avec la « boutique » ne s’est pas étiolé non plus du côté de notre 3e témoin, « au niveau perso comme pro ». Au sein du cabinet spécialiste des services financiers, malgré des projets stimulants « de fusion d’établissements bancaires menés avec des associés », celui qui est alors senior manager se retrouve moins dans d’autres. Des échanges avec les partners de la « boutique », au moment du lancement de son plan stratégique, lui donnent l’opportunité de regagner le cabinet pour contribuer au développement du secteur Services financiers. Et s’il vient de le quitter une seconde fois, c’est parce qu’il a fondé une famille et vit désormais dans le sud-ouest, d’où un besoin de « full remote ».
Avant le come-back : des questions clés ?
Comme le souligne Guillaume Poutrel d’ADL, tout retour suscite une réflexion sur le « nouveau cycle » qui va s’ouvrir. Attention à ne pas (trop) l’idéaliser… Il ne faut pas minimiser les efforts de réadaptation à opérer. La condition sine qua non étant que cette nouvelle expérience soit porteuse de valeur ajoutée pour le consultant. Dans son cas, « la promesse d’ADL avait bien changé entre 2018 et 2022, le cabinet ayant quasiment triplé de taille et comportant de nouvelles têtes, de nouveaux secteurs – un nouveau souffle ».
Côté RH, la phase d’onboarding ou « ré-onboarding » ne doit pas être négligée. Car, si la prise de marques et l’intégration se trouvent facilitées, on ne rentre pas dans son ancien cabinet comme dans des chaussons. Dans l’intervalle, chaque partie a changé. « Le consultant boomerang doit être bien informé des évolutions ayant eu lieu en son absence », confirme ADL par la voix de son managing partner France, Matteo Ainardi.
Pour Guillaume Poutrel par exemple, la senior team – d’ADL, toujours – n’était plus la même. Pas de rupture dans les méthodes, « mais elles sont en voie de renforcement en raison de la croissance des effectifs ». Du point de vue individuel, « il faut prévoir une révision de sa boussole pro/perso. Et discuter en amont d’une période de remise en jambes ». Le 3e témoin renchérit : « Il est important de rencontrer les consultants et senior consultants qui représentent 30 à 40 % des effectifs, car ils ne nous connaissent pas. ».
Quand le « fit » va, tout va !
Pour Matteo Ainardi, ce « fit déjà établi » constitue un avantage majeur, car le consultant « connaît la culture du cabinet, et nous le connaissons bien également. De plus, les consultants boomerang apportent un regard neuf qui s’intègre naturellement avec l’expertise et la stabilité de ceux qui ont poursuivi leur évolution en notre sein. C’est donc un enrichissement mutuel qui contribue tout autant à notre performance qu’à notre dynamique ».
Jean-Thomas Ledoré partage cet avis. « Pour le cabinet, le fait de disposer de profils passés par des comex en corporate, mixés à des profils pure strat/cabinet, apporte, me semble-t-il, une vraie plus-value. »
Un phénomène prégnant dans le conseil en strat ?
Certains cabinets sont capables de mesurer ce type de mouvements. Ainsi, au bureau parisien d’Arthur D. Little, 20 % des partners et principals ont eu une première expérience interne avant de s’affranchir… et de revenir. À l’échelle du bureau parisien, cela équivaut à 5 % des effectifs environ.
Selon nos autres interlocuteurs toutefois, aucun suivi systématique n’est mis en œuvre par les cabinets. En 2022, chez Oliver Wyman, la tendance était au retour « d’un ou deux managers par an » – à mettre en perspective du turn-over des quelque 230 consultants et 44 partners du cabinet à cette période et, malgré une « approche du welcome back, très positive et proactive », selon Hugues Havrin, partner en charge du recrutement du cabinet pour la France. En 2022 toujours, du côté de Bain, le partner Emmanuel Coque évoquait « quelques dizaines [de consultants boomerang] depuis la création du bureau parisien en 1985 ». Ce qui n’empêche pas les cabinets de soigner leurs réseaux d’alumnis. « Once a Bainie, always a Bainie ! »
à lire aussi
Recrues, ambassadeurs, clients : les cabinets font tout pour maintenir un lien fort avec leurs alumni, un pari gagnant.
Et certains cabinets décident de capitaliser sur l’aubaine que ces retours constituent pour la marque employeur. PwC France & Maghreb, par exemple, la maison-mère de Strategy&, a lancé le 16 septembre dernier une campagne de communication multicanal intitulée « PwC fait parler ses ex » – ou, plus exactement, ses (ex) ex.
Son contenu ? Après avoir quitté PwC pour explorer d’autres opportunités ou pour changer de cadre de vie, d’anciens collaborateurs ayant décidé de revenir prennent la parole. Une mise en lumière qui surfe sur le levier de marketing RH de l’employee advocacy, ces salariés qui prennent la parole sur leurs réseaux sociaux professionnels comme personnels pour valoriser leur entreprise.
La démarche de PwC/Strategy& va-t-elle inspirer ses confrères stratèges ? Du côté d’Arthur D. Little, si l’on reconnaît ne pas encore avoir communiqué « de façon systématique sur les consultants boomerang », on considère que ce serait « une excellente idée ». Car ce caractère de « boomerang » témoigne, selon Matteo Ainardi, « de la culture de valorisation des talents du cabinet et de l’attractivité de son environnement de travail ».
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (1)
citer
signaler
Manuel de survie
- 18/11/24
Un nouveau barème de couleurs commence à fleurir sur les CV des consultants McKinsey. À quoi correspond ce système d’unification des « niveaux d’impact » individuels, précisément ?
- 28/10/24
La crise sanitaire l’a montré : c’est possible. Mais est-ce souhaitable ? Dans le conseil en stratégie, le télétravail suscite depuis 4 ans des annonces régulières d’un « retour au bureau », comme dans beaucoup de professions intellectuelles supérieures. La réalité est plus nuancée.
- 02/09/24
Première femme indienne à avoir été élue partner chez McKinsey en 1985, Chandrika Tandon fait résonner sa voix dans de multiples domaines.
- 29/08/24
A 37 ans, Paul Ricard, partner d’Oliver Wyman aux US, vient de se voir confier un challenge d’envergure : prendre la tête de la practice assurance et gestion d'actifs pour l’ensemble de la région Asie-Pacifique à Singapour. Particularité de ce Français né dans l’Aveyron, consultant de la firme depuis 2011 : il a, durant ces 14 années, évolué uniquement hors de France : aux US, dans les bureaux de New-York puis de San Francisco.
- 19/07/24
Plusieurs cabinets de conseil en stratégie accompagnent leurs consultants désireux de suivre des formations certifiantes. Dans quel contexte, et pour quels bénéfices ?
- 16/07/24
Selon les senior partners de Kéa, Arnaud Gangloff et Angelos Souriadakis, le métier de consultant en stratégie a profondément muté ces dernières années.
- 16/02/24
Les coûts et les gains de productivité induits par l’intelligence artificielle vont-ils conduire à une refonte des modèles de tarification des missions de conseil en stratégie et une évolution de la relation aux acheteurs ? Pour certains, que nenni. Pour d’autres, évidemment. Entre deux, plusieurs cabinets s’interrogent.
- 26/01/24
Chacun sa route, chacun son chemin, chacun la mission de conseil qui lui convient ? Si cette envie de satisfaire les consultants dans les attributions de clients et de sujets entre les consultants des cabinets de conseil en stratégie peut paraître tentante, sa mise en œuvre est beaucoup plus nuancée.
- 11/01/24
Pas un jour ne passe sans qu’un nouvel usage, un nouveau partenariat ou une nouvelle promesse n’émerge en ce qui concerne l’intelligence artificielle dans le conseil en stratégie. Comment prévenir les erreurs, garantir la confidentialité des données clients et former adéquatement sans mettre en péril les modèles des cabinets ? Consultor a interrogé différents consultants de la place à ce sujet.