Matériaux de construction : pourquoi les prix montent
Le constat est unanime : l’explosion des prix des matériaux de construction. Pour Franck Bernigaud, à la tête des distributeurs, et les consultants experts de la construction, les causes de la hausse sont identifiables et temporaires. Le retour à la normale est attendu d’ici dix-huit à vingt-quatre mois.
« Je ne crois pas aux pénuries, nous ne sommes pas dans l’empire soviétique des années 1970. Nous avons plus assisté à une sorte d’embouteillage général lié aux retards générés par la covid, et l’arrêt momentané des productions, mais aussi aux particuliers, qui, enfermés chez eux, ont eu l’envie, le temps et l’argent pour rénover leur habitat. Cela va se régler sous dix-huit mois voire vingt-quatre selon les secteurs. »
« La réalité de la covid, c’est que la profession a travaillé durant toute la période, et les chiffres 2020, avec une progression à deux chiffres à certains moments, sont très bons sur tout le secteur de la construction », se félicite Franck Bernigaud, président de la Fédération des distributeurs de matériaux de construction (FDMC), qui représente 1 200 entreprises, 5 500 points de vente, et 19 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Pour ce secteur des matériaux de construction, et à la différence de nombreux autres matériaux importés, les conséquences du covid ont plutôt pointé leur nez – étonnamment à première vue –, lors de la reprise au niveau mondial à partir de septembre 2020.
Secteur de base de la construction
Le marché des matériaux de construction concerne les produits destinés aux travaux de gros œuvre (ciment, béton, sable, briques, panneaux en bois ou en verre…) et de second œuvre (isolants, laine de verre, mortiers, carreaux en terre cuite, plafonds…).
Le gros sujet de la reprise : la pénurie des matériaux qui a entraîné une inflation inédite sur ce secteur, particulièrement pour le bois et les aciers. « Jusqu’à 120 % d’augmentation des prix, par exemple, sur les ossatures de plaques de plâtre qui représentent un gros volume lors de construction », illustre Franck Bernigaud. En cause, deux tendances, française et internationale, qui se sont entrechoquées. Premièrement, une surdemande des États-Unis et de la Chine qui ont aspiré l’essentiel de l’offre. « Les Chinois achètent déjà entre 25 et 30 % du chêne en France. Leur demande a été accentuée et particulièrement sur les conifères. De son côté, Trump avait mis un embargo sur le bois canadien et s’est tourné vers l’Europe. Tout cela a mis une énorme pression sur cette matière première », confirme le président de la FDMC. Deuxièmement, le marché français de la construction (et de la rénovation qui représente 50 % du secteur) était en plein essor pendant la crise sanitaire. « Il y avait beaucoup de demandes en BtoB, mais également en BtoC, qui représentent 30 % des ventes de notre secteur », ajoute Franck Bernigaud.
… qui intéresse les investisseurs
Les associés d’EY-Parthenon voient d’ores et déjà arriver bon nombre de missions pur strat’. « C’est le moment de se projeter, car le marché est ultra-booming. Nous suivons également de nombreux sujets M&A pour les acteurs du secteur et des fonds d’investissement, car la période est excellente pour du build-up et de l’amélioration », atteste Stephan Bindner, le patron EMEIA (Europe, Moyen-Orient, Inde et Afrique) du pôle industrie, construction, mobilité et services. Effectivement, ce secteur a un atout de taille pour les investisseurs : des services et des produits non délocalisables, et des pépites nationales. « Par exemple, l’entrée au capital de NGE, une des majors du BTP, par Montefiore (fonds d’investissement créé par un ancien du BCG, ndlr), Saint-Gobain qui a racheté Chryso, producteur d’adjuvants pour ciments et bétons, ou Lone Star (fonds d’investissement américain, ndlr) qui est entré dans Imerys Toitures. Des deals au-delà du milliard d’euros », contextualise Gianluigi Indino en charge du private equity sur ces secteurs chez EY-Parthenon.
Pas la faute de la covid
Mais selon les consultants experts de ce domaine de la construction, cette période de surchauffe entre septembre 2020 et juin 2021, conjoncturelle, n’est pas directement liée à l’arrêt de l’économie mondiale.
« Je ne crois pas aux pénuries, nous ne sommes pas dans l’empire soviétique des années 1970. Nous avons plus assisté à une sorte d’embouteillage général lié aux retards générés par la covid, et l’arrêt momentané des productions, mais aussi aux particuliers, qui, fermés chez eux, ont eu l’envie, le temps et l’argent pour rénover leur habitat. Cela va se régler sous dix-huit mois voire vingt-quatre selon les secteurs. Personne n’est capable de prédire s’il y aura un rebond de l’inflation au-delà de cette période. Néanmoins, toute l’histoire du capitalisme récent suggère que la situation normale est l’excédent », analyse l’associé François Rousseau, associé en charge du B2B d’OC&C (qui couvre notamment le secteur des matériaux de construction).
« Dans les commodités de construction, il n’y a pas eu de manques structurels, mais des délais allongés à cause de la désorganisation. À une exception près, la filière bois qui a vu la demande exploser, et des prix multipliés par deux, voire quatre. Mais on est en train de revenir à la normale », confirme Stephan Bindner.
Qui dit hausses des prix des matériaux ne dit pas nécessairement hausse de la demande de missions de conseil. Du moins, pour OC&C et EY-Parthenon, la demande est restée normale sur la période. Le pôle industrie, construction, mobilité et services pèse 10 % de l’activité d’OC&C à Paris, en grande partie par la construction et ses acteurs des matériaux, aux investisseurs, en passant par la distribution ou l’ingénierie. Chez EY-Parthenon, le pôle advanced manufacturing and mobility représente un tiers de son activité, à lui seul plus de 12 millions d’euros de chiffre d’affaires en France.
Un secteur territorialisé
Alors pourquoi les matériaux de construction semblent-ils avoir échappé à la règle de la pénurie mondiale de matériaux ? Parce que ce sont des produits made in France. « Ce sont des filières locales, voire micro-locales. Car, hormis le bois, les autres produits, comme le ciment, la terre cuite, le parpaing voyagent mal, y compris l’acier (pour des raisons de coût), et sont proposés à moins de 200 km de leurs lieux de production », amende l’associé d’EY-Parthenon, Gianluigi Indino.
« Le bois est une bonne filière, car nous avons la chance d’avoir des forêts, mais nous avons raté le coche en termes d’industries de transformation, alors on l’exporte brut, et on achète le bois industrialisé au mieux en Europe », explicite le patron de la FDMC.
En effet, selon Franck Bernigaud, 80 % des produits se vendent à proximité de leurs sites de fabrication. D’où la multitude du nombre de points de vente, quelque 5 500 représentés par la FDMC, essentiellement des PME sous enseigne de gros négociants et distributeurs, Point P (de Saint-Gobain, n° 1 européen dans la distribution de matériaux), Bigmat, Gedimat, FranceMat, Samse, M Matériaux… À côté de la myriade de ces petites structures locales, les poids lourds français du secteur, Saint-Gobain, donc, mais aussi Lafarge, Eiffage (fabrication de constructions métalliques), Ciments Français, les ciments Vicat, Imerys, leader mondial des spécialités minérales pour l’industrie…
Et un avenir inflationniste
S’il n’y a pas de pénurie à long terme sur ce secteur des matériaux de construction, la crise de la covid et la désorganisation du secteur ont fait flamber les prix à court terme… mais également sur le long terme.
En cause, l’augmentation importante et durable des prix de l’énergie, répercutée sur le prix de ces matériaux. « On annonce entre 6 et 15 % de hausse des différents produits. C’est déraisonnable. On va tuer la poule aux œufs d’or et casser le marché de la construction. Le réveil va être douloureux dès 2022, car nous avons une troisième lame de fond à venir, celle de la mise en place des responsabilités élargies des producteurs dans le bâtiment », s’inquiète le patron de la fédération, Franck Bernigaud.
Si l’envolée des prix a déjà un impact négatif sur l’activité construction, il existe une autre problématique de fond qui met en difficulté ce secteur, la décroissance en France des constructions neuves, qui est passée de 450 000 par an à 300 000 aujourd’hui, selon François Rousseau d’OC&C. « Le monde de la construction neuve en Europe de l’Ouest ne devrait pas bénéficier d’un rebond durable, car il est conditionné à de purs aspects démographiques qui ne sont pas favorables. En revanche, il y a des raisons de penser que les marchés de la rénovation vont continuer de bien se porter », confirme-t-il.
Le défi de la transfo durable et digitale
Pour les cabinets de conseil en stratégie qui accompagnent ce secteur, les enjeux ne se situent donc pas dans la production ou l’approvisionnement, mais dans sa nécessaire transformation « verte » dans des produits moins énergivores et moins polluants. « Pour créer de la croissance dans la durée, seul le sujet de la rénovation énergétique va créer de la demande », assure le partner d’OC&C François Rousseau.
« Cela va enchérir le coût du mètre carré construit, certains matériaux vont perdre des parts de marché, le secteur va connaître des changements majeurs. Le sujet de la durabilité est le sujet à horizon 2025 », annonce Stéphan Bindner d’EY-Parthenon.
Alors pour les cabinets de conseil en stratégie, deux gros sujets arrivent sur la table pour ce secteur. L’alignement des acteurs à la nouvelle réglementation environnementale RE 2020 (passant d’une réglementation thermique à une réglementation environnementale), « avec la définition des feuilles de route stratégiques pour y répondre », comme le souligne Stéphan Bindner, associé d’EY-Parthenon, mais également la digitalisation du secteur.
« Les gros distributeurs et les négoces sont en retard sur le sujet, et ont été pris de cours lors du confinement, incapables de travailler de façon digitalisée, et pas seulement de faire du e-commerce », commente Gianluigi Indino d’EY-Parthenon.
Le secteur des matériaux de construction, au début de la chaîne de la construction, n’a donc pas le choix dans les années futures. Fonctionnant plutôt à l’ancienne, il doit aujourd’hui se réinventer profondément pour faire face à la nouvelle donne. Le chantier est d’ampleur.
Barbara Merle pour Consultor.fr
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