Aéro : filière cherche consolidation
Un an après avoir été mis à l’arrêt aux quatre coins du globe, les avionneurs, Airbus et Boeing en tête, affichent un léger optimisme sur la reprise des cadences de fabrication d’avions.
Pourtant, dans la filière française, tous les fournisseurs ne seront pas logés à la même enseigne. Et la prudence est globalement de mise avec de possibles rapprochements à la clé. Trois consultants spécialistes du secteur nous livrent leur analyse.
Consultor : Un certain regain des livraisons d’appareils se fait sentir : selon une source interne citée Les Échos, Airbus prévoit de livrer 632 appareils en 2021, bien mieux que les 566 de 2020 que l’avionneur européen envisageait seulement d’égaler dans un premier temps. La crise covid a-t-elle finalement été moins aiguë que prévu ?
Sébastien Chaussoy, partner chez Cylad Consulting : Le secteur n’a jamais connu de crise aussi brutale. J’étais convaincu que certains acteurs iraient au tapis, au final très peu sont sortis de piste. En 2021, on devrait revenir au niveau de 2015 ou 2016. Le retour à la normale va être long. Nous étions sur un rythme de 1 600 nouveaux avions par an avant la pandémie et la crise de Boeing en 2018 — 1 240 en 2019 à cause de la crise Boeing. Je serais surpris que nous nous retrouvions à plus de 90 % de ce chiffre en 2025.
Michel Zarka, associé chez Eight Advisory : L’ébauche de reprise est portée par les vols régionaux. La Chine est déjà au-dessus de son trafic de 2019, les États-Unis s’en approchent, l’Europe pas encore. Pour y répondre, la filière aéronautique doit sortir de la cloche sous laquelle elle a été mise lorsque le trafic aérien s’est arrêté. Elle doit se mettre en capacité d’augmenter ses cadences, notamment sur les avions single-aisle (mono couloir, ndlr), la reprise étant plus incertaine et lointaine pour les wide-body (gros-porteur, ndlr), dont la flotte était déjà en sur-capacité avant la crise.
Si on prend la filière dans son ensemble, avionneurs (Airbus, Boeing, Embraer, ATR…), équipementiers (Safran, Liebherr…), motoristes (Safran, GE…), qui s’en sort le mieux ?
Sébastien Chaussoy : Les conséquences de la crise sont très variables selon les acteurs. Il y a une différence entre les Airbus, Thales, Dassault, qui surveillent leur supply chain comme le lait sur le feu, et des acteurs plus petits, des fournisseurs intermédiaires, qui sont dans des situations très variables. Par exemple, le spécialiste des équipements aéronautiques d’emport et d’éjection Rafaut est mieux positionné que d’autres et multiplie les acquisitions.
Michel Zarka : Les fournisseurs de l’aéronautique sont liés à certains programmes de production d’avions et auront les coudées plus ou moins franches selon leur positionnement. Mecachrome, le fabricant de pièces mécaniques aéronautiques, a racheté le sous-traitant Hitim et envisage de consolider le marché de la tôlerie aéronautique. D’autres, plus centrés sur les programmes wide body, ont face à eux une situation beaucoup plus périlleuse : c’est le cas de Figeac Aéro, qui fabrique des pièces usinées pour les grands noms de l’aéronautique, qui a été renfloué en septembre 2021 pour faire face à un mur de dettes. Faire évoluer le positionnement est difficile car les contrats et les investissements associés sont de long terme.
Olivier Saldana, director chez Eight Advisory : Certains fournisseurs ont consenti des investissements colossaux pré covid sur la base de projections de volumes très optimistes. Prenez Latécoère, qui figure parmi plusieurs fournisseurs français à participer au programme Boeing 787 Dreamliner : avec les cadences actuelles revues à la baisse avec cinq appareils par mois en juillet 2021, la pression sur les investissements réalisés est lourde. Tant que le soutien étatique se poursuit, passe encore, mais il faudra être vigilant au bon timing du retrait des amortisseurs publics.
Selon le Gifas, l’organisation professionnelle du secteur, l’emploi dans la filière ne s’est lui contracté que de 4 % et comptait 194 000 salariés fin 2020. N’est-ce pas encourageant sur la capacité de la filière à rebondir ?
Olivier Saldana : Nous n’avons en effet pas assisté à une fuite des cerveaux. Mais soyons lucides : les pertes d’emplois ont été contenues du fait de l’instauration d’un chômage partiel de grande ampleur. Sans filet, la contraction aurait été beaucoup plus brutale. Toutes ces entreprises vont à présent devoir affronter une réalité économique rugueuse. Elles vont devoir remettre sur le métier à tisser des programmes industriels qui n’ont pas été alimentés pendant deux ans. Ce redémarrage passera par des réductions de coûts et une gestion au cordeau des compétences. Car le retard accumulé est certain et les pertes de savoir-faire vont se faire sentir.
Est-ce là les sujets sur lesquels vous êtes actuellement mandatés ?
Sébastien Chaussoy : La restauration de capacités d’investissement, de marges de rentabilité et par rebond l’amélioration de l’efficacité et la reprise de la R&D comptent parmi les sujets de consulting du moment. On intervient par exemple sur des sujets de design to cost. C’est-à-dire qu’on aide nos clients à identifier les leviers disponibles pour réduire les coûts de fabrication de différentes pièces présentes dans les avions.
Y a-t-il des sujets auxquels vous vous attendez dans la filière dans les mois qui viennent ?
Sébastien Chaussoy : Au début de la crise, je me disais qu’il était enfin temps de réaliser le mythe de la consolidation de la filière aéronautique française. J’imagine que plusieurs acteurs de niveaux trois ou quatre (par usage les fournisseurs de la filière aéronautique sont classés par taille, ndlr) devront à présent être consolidés pour constituer des acteurs plus gros, à même de maintenir des places dans la compétition sectorielle mondiale. Parmi ces entreprises, beaucoup sont des sociétés qui existent depuis vingt à trente-cinq ans, dont le fondateur est encore à la tête. Peut-être que les transitions pourraient être des occasions de regroupement.
Michel Zarka : Si des consolidations interviennent, elles devront dépasser les réticences de certains actionnaires familiaux à l’idée de vendre leurs actifs à un moment où la valeur a chuté. Car ceux de ces actifs qui pouvaient apparaître comme des tas d’or avant la crise n’ont plus nécessairement le même éclat. Regardez la vente de l’entreprise aéronautique belge Asco à l’équipementier américain Spirit. Le deal avait été annoncé en 2018 pour 650 millions de dollars avant qu’en septembre il ne soit finalement avorté. Très récemment un groupe suisse, Montana Aerospace, s’est porté acquéreur. Une fois l’effet sédatif des aides passé, et sous réserve de confirmation de la remontée de cadences, on peut imaginer d’autres consolidations en 2022.
La crise de l’aéro a été loin d’être neutre pour nombre de cabinets qui conseillent la stratégie de la filière. Quels ont été les impacts pour vos deux cabinets ?
Michel Zarka : Après un arrêt brutal de plusieurs mois de nos missions de conseil en transformation, nous faisons le constat depuis quatre à six mois d’un fort redémarrage.
Sébastien Chaussoy : Nous avons connu une baisse d'activité pendant la pandémie de -15%. Mais comme notre exercice fiscal est de juillet à juin, nous bouclons l’année en juin 2021 sur une croissance à 25 millions d'euros de chiffre d'affaires consolidé. Nous étions à 19 millions d'euros en juin 2020. L'écart s'explique par notre croissance externe (relire notre article, ndlr) et une croissance organique de deux millions d'euros. Nous avons travaillé la diversification et la crise nous a poussés à accélérer nettement de ce point de vue là. Et aussi parce que nous sommes aussi sollicités quand les choses vont moins bien : nous avons été sollicités sur des sujets de court terme, de gestion de crise, sur les coûts, sur la gestion de la trésorerie. On amenait à nos clients une capacité d’analyse rapide. Et depuis février 2021 environ, nous avons un très fort rebond des missions de conseil dans l’aéronautique. Les décisions de démarrage de missions de conseil sont prises plus rapidement que d’habitude. Là où habituellement nous avons une visibilité de trois mois sur les missions que nous avons à réaliser, nous sommes actuellement staffés à six mois.
Propos recueillis par Benjamin Polle.
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