Conseil, start-up, service public : Laurent Michel, l’ex-consultant qui a le changement pour conduite
Il a quitté le conseil depuis dix-sept ans maintenant. Laurent Michel, consultant chez Bossard, puis chez Roland Berger, a surfé depuis au gré des start-up dans le monde du numérique et des nouvelles technologies, sa passion.
Après avoir été entre 2014 et 2020 directeur du programme Économie numérique du Grand Emprunt, le programme de grands travaux lancés par le gouvernement de Nicolas Sarkozy après la crise de 2008, l’ancien manager vient de retrouver en juin le monde des « jeunes pousses » avec Platform.sh, où il est directeur des affaires publiques. Retour sur un parcours « connecté ».
À 49 ans, Laurent Michel vient de redonner un nouveau cap à sa carrière. L’ex-manager de Roland Berger vient de passer six années au sein du Secrétariat général pour l’investissement, avec comme mission l’économie numérique du PIA, Programme d’investissements d’avenir, plus communément appelé « Grand Emprunt », lancé en 2010 après la crise financière.
Son rôle comme directeur du programme numérique était de définir des programmes (objectifs, enveloppe financière, cibles, modalités de soutien…) afin de servir les principaux enjeux du pays : soutien aux start-up innovantes, soutien au développement de technologies numériques (quantique, IA, etc.) et à leur diffusion dans l’économie, transformation numérique de l’État.
Mais l’appel du véritable challenge de la start-up l’a rattrapé. Il retrouve, depuis peu (comme nous l’avons annoncé ici), certains de ses anciens associés au sein de Platform.sh, une solution d’hébergement web dans le cloud qui a été créée en 2015. Il connaît plutôt bien cette start-up. Platform.sh est, en effet, un « pivot » d’une société dont il a été le cofondateur en 2007, af83, et plus particulièrement de sa filiale, Commerce Guys. Un retour aux sources en quelque sorte.
Premier contact avec le conseil au Collège des ingénieurs
Parce qu’il était fan d’informatique enfant et ado, ce fils de médecin, issu d’une longue tradition dans l’hôtellerie du côté maternel, intègre Télécom Paris parce que cette école était axée sur sa passion puis poursuit par un MBA au Collège des ingénieurs.
« Grâce à ce MBA en alternance, j’ai effectué un stage chez Axa. Et j’ai alors eu la possibilité de présenter un mémoire en actuariat et d’obtenir le diplôme de l’Institut des actuaires. » Avec comme sujet de mémoire : Garantie risques de perte de travail dans le cas d'emprunteurs. C’est aussi dans ce Collège qu’il découvre le monde du conseil… Mais quatre ans plus tard, en 1994, diplômes en poche, « curieux de tout, mais sans vouloir trancher, à l’image du parcours du consultant, en fait », Laurent Michel décide d’une autre expérience dans le volontariat à l’international : la Coopération pour le service national en entreprises, le CSNE, où il part pour Hong Kong pendant un an et demi, pour une filiale de Dassault, Dassault automatismes et télécommunications. « J’avais un rôle de support technico-commercial pour la vente de réseaux télécoms sans fil auprès des municipalités, dans tout le sud-est asiatique. Mais cette expérience ne m’a pas fait changer sur mon souhait de faire du conseil ! »
À son retour d’Asie, Bossard
À son retour donc, début 1996, il « tranche » et candidate dans plusieurs cabinets axés orga et management. Et c’est Bossard Consultants qui le séduit le plus, « pour son esprit gaulois, de corps, d’indépendance qui n’est pas aussi vrai dans les autres cabinets de conseil ». Il rejoint ainsi le millier de consultants du cabinet comme consultant junior sur la practice télécoms-médias. Il y restera jusqu’en 2000 avec, entre autres, deux missions phares en strat pure, le lancement du Groupe Cegetel – alors holding de Vivendi dans les télécommunications – et le repositionnement de Carrefour Voyages.
Durant ses années Bossard, il devient senior consultant et responsable du Shop, l’équipe support interne en charge des études stratégiques spécifiques. « Dans le cadre de certaines missions réalisées chez Bossard, il pouvait être utile de disposer d’une analyse de marché ou une étude stratégique ponctuelle. Ces prestations internes étaient confiées à une petite équipe, le Shop. »
En 1999, intervient le rachat de ce cabinet emblématique par Capgemini, « un cabinet américain spécialisé en gros projets de conduite du changement, ce qui ne collait pas trop avec mon profil et mes envies. Comme la plupart des consultants Bossard, je préférais les missions stratégiques, courtes, variées… très différentes du modèle de grosses missions de transformation que proposait – très bien d’ailleurs – Gemini et qui préfigurait la stratégie à venir du nouveau cabinet. »
Le rachat Gemini-Bossard le fait partir chez Roland Berger
Laurent Michel postule alors dans plusieurs cabinets en strat et intègre en 2000 le premier qui lui fait une offre, Roland Berger, toujours dans son secteur de prédilection : télécoms, médias et technologies.
Le senior consultant y découvre une équipe plus restreinte, une centaine de consultants alors – 200 aujourd’hui – et une organisation différente. « Au gré du staff, on travaillait avec untel ou untel. J’ai eu de belles opportunités, comme le lancement de nouveaux services financiers, les prêts à la consommation, pour Bouygues Telecom, ou le repositionnement de l’offre de chariots automatisés d’une filiale de Legris Industries. »
Là encore, une évolution au sein du cabinet le pousse à bouger. « Au fur et à mesure, il n’y avait plus trop de partners sur les sujets télécoms, et donc moins de missions. Alors, avec un autre manager de Roland Berger, nous avons eu l’idée de créer Géo12, un service de géolocalisation et de guidage par téléphone avant Google Maps ou le GPS sur téléphone, et que nous avons vendu à deux de nos clients Avis et SFR. » Une aventure qui dure trois ans, avant l’arrivée des mastodontes du secteur.
Les hauts et les bas de la vie d’entrepreneur
Laurent Michel revient alors faire un tour dans le conseil, comme consultant indépendant pendant un an, avant d‘avoir une autre idée créative, concrétisée en 2007 : af83. « SFR lançait Jeunes Talents qui proposait aux jeunes artistes de partager sur mobile un enregistrement de leur œuvre, chanson, film, avec un vote du public. Il a fallu un prestataire pour développer l’idée et on a créé af83, un clin d’œil au vol Air France San Francisco-Paris. Nous avons développé le projet, lever des fonds, mais la solution n’a pas vraiment pris. Nous étions vampirisés par SFR et n’étions pas tous d’accord sur ce que nous voulions faire. »
Une entreprise qui ne se déploie donc pas comme l’ancien manager l’entend. Mais un nouveau rebond, technologique cette fois, lui permet de poursuivre, un temps en tout cas… Le développement des sites web en drupal : système de gestion de contenu web, un CMS open source qui permet de créer et de gérer une grande diversité de sites web. « Pour cela, nous avons créé une filiale de af83, Commerce Guys, avec Frédéric Plais que j’avais rencontré comme consultant alors qu’il était chez SFR. Mais, je n’y croyais que moyennement, et finalement je n’y suis resté qu’un an. »
Au service du Premier ministre
En 2014, après un rapide passage par Headlink Partners, cabinet de conseil en management, l’ancien consultant souhaite revenir à ce qui fait le cœur du conseil, la stratégie. « Je restais à l’écoute des offres, j’avais en tête d’aller vers un gros cabinet du secteur. J’ai vu passer une annonce sur Twitter qu’un poste de DGA dans l’administration était vacant, je me suis dit que c’était plutôt un truc de haut fonctionnaire, mais j’ai répondu quand même. »
Trois entretiens plus tard, dont un avec le commissaire général à l’investissement, Louis Schweitzer, le consultant entre dans les services du Premier ministre. Il prend le poste de directeur du programme économie numérique du Grand Emprunt au sein du Secrétariat général pour l’investissement durant deux mandats. Son ancien cabinet, Roland Berger, cabinet ultra présent sur le secteur public, comme nous le relations récemment ici et ici, a été missionné pour plancher sur plusieurs dossiers, à l’instar de la révolution digitale ou du Grand Emprunt.
L’ex-consultant vient de réaliser un nouveau rebond donc en rejoignant tout récemment Platform.sh, une start-up de près de 200 collaborateurs, créée en 2010, mais qui démarre véritablement après un pivot stratégique en 2015, en tant que directeur des affaires publiques. Assez logique … « Même si j’étais comme un coq en pâte, dans un cadre doré, avec tout le tralala de la République, je sentais que cette fonction n’était pas assez dynamique pour moi. J’avais envie de revenir vibrer dans le monde des start-up. L’un des cofondateurs et CEO de Platform.sh n’est autre que Frédéric Plais. Il m’a fait un signe avant la crise du covid. Frédéric et les deux autres cofondateurs de Platform.sh, Ori Pekelman et Damien Tournoud, faisaient déjà partie de l’aventure Commerce Guys, donc je me retrouve en terrain connu ! » Sa fonction : l’interaction entre la start-up et la sphère publique française et européenne, commercial et lobbying.
Le conseil déconnecté ?
Son expérience du conseil continue à le servir au quotidien, efficacité, curiosité, facilité d’adaptation, structuration, concision, fortes capacités de conviction… Mais il a tenté de gommer certains « travers » dont il s’amuse. « Lors de mon expérience dans les services du Premier ministre, j’ai reçu des consultants. Et lorsque je les entendais parler, entre anglicisme et name droping, je voyais à quel point ça peut parfois discréditer le discours. »
Il ne se voit pas, à ce jour, retourner dans le monde du conseil, à ses yeux, trop daté sur les sujets numériques et trop théorique. « Il y a trop de décalage avec l’entrepreneuriat, un univers très pragmatique, très innovant, très humble. L’intervention classique est inopérante. Pour une transformation des entreprises innovantes et une transformation numérique, l’heure est aux start-up studios, une idée de développer les projets par l’intrapreneuriat. Une démarche très rarement portée par les cabinets de conseil. »
Autre innovation de cette entreprise dédiée à l’hébergement cloud : elle a adopté le full remote en supprimant les bureaux traditionnels : 100 % des collaborateurs sont, depuis sa création il y a cinq ans, bien avant la crise du covid donc, en télétravail. Une évolution difficilement imaginable dans le conseil, même si le secteur a été forcé de s’y mettre durant la crise (relire notre article).
Barbara Merle pour Consultor.fr
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