Immobilier : une « poly-crise » vue par les consultants en stratégie
Énergie, environnement, foncier, matériaux, taux : les facteurs expliquant le coup d’arrêt historique de la construction de l’immobilier résidentiel sont pluriels, et ses conséquences multiples. Consultor a interrogé plusieurs partners spécialistes du secteur.
-15 % de mises en chantier, au plus bas niveau depuis 25 ans ; - 45 % de réservations de logements neufs par des particuliers : les chiffres avancés par la Caisse des Dépôts montrent l’ampleur de la crise traversée par le marché de l’immobilier résidentiel neuf. 330 000 mises en chantier pourraient être atteintes fin 2023, contre 376 000 en 2022 (qui reculait déjà de 4 % par rapport à 2021).
« Une baisse historique »
« C’est une baisse historique, elle se confirme de mois en mois », confirme Fedi Soyah, directeur chez EY-Parthenon.
Cette baisse est plurifactorielle, expliquent à Consultor plusieurs actuels et anciens partners spécialistes du secteur.
La construction doit faire face à plusieurs défis, pose d’abord Nicolas Guinebretière. Ancien de McKinsey, où il est passé en début de carrière, il a co-créé au côté d’un ancien manager du cabinet (Jean-Christophe Pierron) et d’un ex de la foncière commerciale Unibail-Rodamco-Westfield (Sylvain Bogeat), une start-up de la construction. Vestack, c’est son nom, a pour principe de tournebouler les méthodes habituelles de la construction : elle s’est spécialisée dans la production de logements modulaires en bois assemblables sur site.
Archaïsme, environnement, économie : les trois défis de la construction neuve
Pour lui, trois défis n’ont pas été relevés par le secteur de la construction immobilière résidentielle et ils expliquent avant toute autre chose le stop historique actuel. « Primo, le secteur est archaïque et fonctionne avec des logiciels anciens. Secundo, il n’a pas fait sa transition environnementale alors qu’il est un des plus gros émetteurs dans le monde. Tertio, d’un point de vue économique, la construction arrive à bout de souffle parce que la croissance des coûts de construction et l’inflation du prix du foncier progressent plus vite que ce que les foyers ne peuvent absorber. »
Au-delà de cette photographie d’ensemble, plusieurs causes clairement identifiées jouent à plein.
Les coûts de construction : un renchérissement « de 14 à 16 % » en trois ans
À commencer par les coûts de construction : « Entre 2023 et 2021, selon les indicateurs regardés, les coûts de constructions ont bondi de 14 à 16 %. C’est une progression équivalente à ce qui a pu être observé entre 2011 et 2020. Cette hausse est la somme des prix des matériaux, l’acier, le verre, le bois, le bitume utilisé dans les membranes d’étanchéité et des prix de l’énergie. Rentrent aussi en ligne de compte la réglementation environnementale RE2020 qui renchérit les coûts de l’isolation, et la responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du bâtiment qui augmente également les prix des matériaux », détaille Fedi Soyah.
Les taux d’emprunt : une hausse « brutale »
Viennent ensuite les taux d’emprunt. Finie la période dorée de 5 années, grosso modo entre 2015 et 2020, où les taux de crédit ont atteint des bas historiques. « Les taux sur les emprunts immobiliers sont passés de 1,5 % à 4 %. Une hausse qui a pour conséquence une baisse de 20 à 25 % du pouvoir d’achat immobilier. Autrement dit, avec la même somme, les ménages peuvent s’acheter x mètres carrés d’immobilier neuf en moins », décortique Nicolas Paillot de Montabert, partner chez Accuracy en charge des sujets immobiliers.
Une hausse « brutale », selon lui, qui a eu pour conséquence que beaucoup de personnes qui auraient pu prétendre à l’accès à l’immobilier neuf sont devenues « infinançables » en quelques mois. « En 30 ou 40 ans, il me semble que c’est une des remontées de taux les plus brutales qu’il y ait eu », appuie-t-il.
Fin des dispositifs incitatifs : un coup de massue pour un secteur « sous perfusion »
Autre facteur : les mécanismes incitatifs tels que les dispositifs Robien, Borloo, Besson, Pinel ou Duflot qui, lorsqu’on regarde leurs impacts respectifs dans le temps, sont des accélérateurs significatifs de l’investissement dans l’immobilier neuf. « Le marché de la construction neuve est sous perfusion depuis des années » estime Stephan Bindner, le patron d’EY-Parthenon en France et un des partners référents du pôle advanced manufacturing mobility.
Or, le dispositif Pinel, qui ouvre droit à une réduction d’impôt sur le revenu aux particuliers investissant dans des logements neufs destinés à la location, s’arrêtera au 31 décembre 2024. « La fin du dispositif est de nature à faire significativement baisser le marché », dit Fedi Soyah, qui rappelle le coup d’arrêt porté aux constructions par la loi Duflot.
Autres raisons du coup d’arrêt : encadrement des loyers, un détournement des investisseurs des actifs immobiliers et l’objectif d’arrêt de l’artificialisation des sols
La loi Alur de Cécile Duflot avait également initié l’encadrement des loyers dans les zones immobilières sous tension. Pour Nicolas Paillot de Montabert, ces encadrements limitent le rattrapage que les investisseurs pourraient sinon imputer aux loyers.
L’immobilier neuf résidentiel pâtit de plus d’une remontée des taux monétaires et obligataires – des actifs qui sont à présent jugés plus attractifs que l’immobilier par les investisseurs.
Enfin, dernière raison avancée pour expliquer le marasme des constructions résidentielles neuves, « la réticence déjà ancienne des mairies et des collectivités locales à délivrer des permis de construire », ainsi que l’avance Nicolas Paillot de Montabert chez Accuracy. En effet, l’objectif de la législation française est d’atteindre zéro artificialisation nette d’ici 2050.
« Poly crise »
Mises bout à bout, toutes ces raisons – une « poly crise », comme l’appelle Nicolas Paillot de Montabert – expliquent le grand stop de la construction et de la réservation de logements. Elles ont d’autres conséquences.
Côté promoteurs immobiliers, la rentabilité baisse. « Leur marge nette moyenne est de 10 %. Aujourd’hui, elle tombe à 8 % », avance Nicolas Paillot de Montabert. Qui voit également que « les tensions sont fortes entre les promoteurs et l’État. Les uns expliquent que le marché est en sous-offre structurelle ; l’État, de son côté, veut faire des économies et explique à la filière que beaucoup de cadeaux lui ont déjà été faits ». Pour les promoteurs, « la vente au détail est quasi totalement arrêtée » et se reporte sur des ventes en blocs à des institutionnels tels que la Caisse des dépôts ou des caisses d’assurance.
Côté cabinets de conseil en stratégie, les sujets sur lesquels les clients les sollicitent ont beaucoup évolué ces derniers mois.
Côté constructeurs, plusieurs transformations pourraient s’imposer. « La construction, ce n’est qu’une toute petite partie du résidentiel neuf. Le total des constructions neuves mises en chantier chaque année ne représente que 1 % du stock de logements. Un stock qui, lui, ne baisse pas et représente des filières d’activité très dynamiques, dans la rénovation, dans l’installation de panneaux photovoltaïques, de pompes à chaleurs, dans la construction de nouvelles infrastructures, telles que des bornes de rechargements de voitures électriques », détaille Guillaume Bouvard, un autre des partners d’EY-Parthenon spécialiste du secteur.
Autre infléchissement possible, un aggiornamento des méthodes de construction du secteur. C’est le crédo de Vestack, la start-up portée notamment par des anciens de McKinsey, qui depuis sa création en 2019 a levé 3 millions d’euros en 2020 et 10 millions d’euros en 2022.
Chantres d’un modèle de constructions neuves en usine qui serait moins polluant et plus rapide, Vestack et ses concurrents restent « une goutte d’eau dans l’océan », comme le dit à Consultor Nicolas Guinebretière. De l’usine de Vestack à Fontainebleau, qui emploie 60 à 70 personnes, sortent chaque année 150 logements…
Au mieux, en 2028, un retour au niveau de 2013
À court terme, Fedi Soyah, chez EY-Parthenon, s’attend à « une inflexion à partir de 2024 et un rebond en 2025 ». Et, au mieux, en 2028, « un retour à des niveaux équivalents à 2013. Sans dispositif étatique de soutien au logement neuf, on ne factorise rien de similaire aux années de stabilisation 2013-2015, et encore moins aux années haussières 2015-2019 », dit-il. Pas demain la joie, donc.
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