« Doubler le nombre de partners consulting en quatre ans » (Sami Rahal, CEO Deloitte France)
Fini l’épisode des départs d’associés de Deloitte Consulting. « Un épiphénomène » pour le CEO de Deloitte France qui deux ans après sa prise de fonction a répondu aux questions de Consultor.
La tendance de longue traîne reste inchangée : les ex-géants de l’audit sont désormais majoritairement des géants du conseil.
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Parce que le conseil croît plus vite et parce que la réforme européenne entrée en vigueur en 2016 oblige à se défaire de mandats d’audit historiques. Autant de raisons qui expliquent la baisse graduelle de l’audit – 30 % des activités de Deloitte France – et l’augmentation du conseil.
Le divorce post-Enron-Andersen, qui avait vu les géants de l’audit sortir du conseil (cession d’EY Conseil à Cap Gemini, de KPMG Consulting UK et Pays-Bas à Atos, de PwC à IBM, et séparation en France seulement de Deloitte Consulting de Deloitte Touche Tohmatsu, ndlr), est définitivement clos pour Sami Rahal.
La preuve la plus éclatante de ce retour en force serait l’acquisition de Booz par PwC et celle de Monitor par Deloitte. Le divorce est clos, mais la reconstruction d’actifs dans le conseil est encore en cours. En France, dit Sami Rahal, Deloitte n’a pas encore atteint la part de marché souhaitée et inaugure cette année un plan d’acquisitions de quatre ans.
« Des financements internationaux très significatifs, jamais vus sur la place française », annonce Sami Rahal dans une interview à Consultor. Objectif : doubler le nombre de partners de Deloitte Consulting pour atteindre 150 associés en 2023.
Consultor : Que pèse le conseil pour Deloitte en France en 2019 ?
Sami Rahal (S. R.) : Deloitte Consulting stricto sensu représente 237 millions d’euros de chiffre d’affaires comptabilisés. Si vous y ajoutez le risk advisory, comme le font nombre de nos confrères, ce sont 100 millions d’euros supplémentaires. De même pour certaines activités de financial advisory dont le chiffre d’affaires s’élève à 100 millions d’euros et qui peuvent être rattachées à des services de conseil. Au global, au sens large, nous estimons que nos activités de conseil en France comptent pour 400 millions d’euros. C’est un chiffre d’affaires comparable ou supérieur à ceux de nos concurrents.
Depuis 2016, vous êtes astreints aux règles de la directive européenne de Michel Barnier censée assurer une déconcentration du marché de l’audit, une rotation des mandats de commissaires aux comptes et proscrire certains cumuls audit-conseil. Qu’a-t-elle concrètement changé pour vous ?
S. R. : Nous n’en connaissons pas encore tous les effets. Nous avons certes déjà connu des situations de rotation obligatoires. Par exemple, pour éviter des cas de sortie simultanée des deux commissaires aux comptes, et favoriser une rotation progressive des mandats, certains clients cotés anticipent et choisissent lequel des deux commissaires aux comptes sortira le premier. Ainsi, notre mandat d’audit de Vinci a été renouvelé alors que notre confrère est parti. Mais nous sortirons ailleurs. Nous ne sommes qu’au début d’une vague de rotations qui va s’étaler jusqu’en 2024. Pour la Société Générale, ce sera en 2023, et d’autres avant. Cela dit, nous nous estimons moins exposés en France à la rotation que nos concurrents.
Combien de mandats devrez-vous in fine céder ?
S. R. : Quelques mandats. Il faut savoir que Deloitte en France a gagné de nombreux mandats assez récemment. Il y a un peu plus de dix ans dans l’Hexagone, Deloitte était le plus petit des Big Four, il est aujourd’hui le plus important (EY à 1,092 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2018, KPMG à 1,074 milliard d’euros en 2018, PwC à 945 millions d’euros en 2018, ndlr). Prenons le secteur de la banque.
Deloitte consulting est-il attractif pour un potentiel partner alors que le gros du marché français lui serait fermé du fait des nombreux mandats d’audit que vous y détenez (BNP, Société Générale, Natixis, BPCE…) ?
S. R. : Un rappel de contexte est important. Deloitte dans le monde est déjà un cabinet de conseil qui fait aussi de l’audit. En France, dans la banque, nos mandats d’audit n’épuisent pas le marché bancaire adressable en conseil. Il existe de grandes banques de deuxième rang dont nous ne sommes pas les commissaires aux comptes. Là comme ailleurs, nous recrutons sans peine des consultants.
Dans ce contexte, la perte de mandats d’audit est-elle anecdotique ?
S. R. : Nous sommes très attachés au modèle pluridisciplinaire. L’audit est dans l’ADN de Deloitte et nous souhaitons qu’il reste un métier important. C’est un marché mature avec des taux de croissance et des opportunités stables. Dans un monde qui se transforme, son poids relatif a baissé compte tenu de la croissance à deux chiffres de nos activités d’advisory. Il n’en demeure pas moins que nous voulons y conserver des positions importantes.
Comment expliquer alors que le poids de l’audit a diminué dans le temps au profit du conseil ?
S. R. : Première raison : des rythmes de croissance très différents. Ils sont à deux chiffres dans le conseil, de 5 % dans l’audit. Deuxième raison : une contrainte réglementaire qui nous force à quitter des mandats d’audit puis à les convertir dans le conseil.
Savez-vous ce que l’audit représentera à moyen terme ?
S. R. : Non, on ne sait pas précisément. Il sera sans doute proche de 20 % de notre chiffre d'affaires. Nous savons en revanche que nous visons un portefeuille par industrie équilibré sur le plan mondial.
L’audit et le conseil vivent une longue histoire de « je t’aime, moi non plus » : après l’effondrement Enron-Arthur Andersen en 2001, les Big Four sont sortis du conseil ; après la crise de 2008 et le rôle d’Ernst & Young auprès de Lehman Brothers, la directive Barnier voulait interdit le mélange des genres. Pourquoi une nouvelle sortie des Big Four du conseil n’est-elle pas écrite d’avance ?
S. R. : Nous ne sommes pas devins. Notre retour dans le conseil date de 2006, soit dix ans environ, ce qui est récent et explique que nous ne soyons pas aujourd’hui en France à la part de marché que nous souhaitons dans le conseil. Nous voulons dans l’Hexagone être le numéro un du conseil, comme nous le sommes dans le reste du monde.
Ce cumul audit-conseil est-il tenable à moyen terme avec les différences de croissance que vous indiquez ? L’un n’est-il pas voué à mourir au profit de l’autre ?
S. R. : Il est essentiel pour éviter le syndrome Arthur Andersen/Accenture d’avoir des niveaux de profitabilité proches entre nos différents métiers.
Les prestations de conseil sont réputées plus rémunératrices que les prestations d’audit. Est-ce infondé ?
S. R. : Les chiffres le démentent.
La revente, bouclée début 2019, du réseau d’experts-comptables In Extenso à ses associés servira-t-elle des acquisitions dans le conseil ?
S. R. : Ce métier avait peu de synergies avec les industries de Deloitte. In Extenso s’adressait pour l’essentiel à des TPE. Nous sommes loin du conseil pratiqué par Deloitte auprès de PME, d’ETI et, de plus en plus, de grands comptes. Sur les 250 millions d’euros de conseil de Deloitte Consulting, la moitié est réalisée auprès de vingt-cinq grands comptes. Indépendamment de la vente d’In Extenso, Deloitte souhaite se développer rapidement dans le conseil par acquisitions et additions de talents. Équipes, partners, cibles avec des facteurs différenciants importants tels que des technologies, des compétences complémentaires, tout ceci nous intéresse. En revanche, racheter des practices de conseil de grande taille ne crée pas de valeur significative.
Est-ce la fin des grandes acquisitions à la Monitor ?
S. R. : Ces entités aussi importantes soient-elles ne nous permettent pas toujours de générer le chiffre d’affaires attendu du fait de notre engagement en tant qu’auditeur auprès de certains de leurs clients.
Est-ce que l’épisode récent de départs d’associés de Deloitte Consulting et de Monitor Deloitte ne signale pas la limite humaine de vos volontés de développement rapide par croissance externe ?
S. R. : Il est compréhensible pour tout le monde de rechercher ailleurs des opportunités professionnelles quand on ne trouve pas en réponse à des ambitions personnelles à l’instant T. Ces départs n’ont pas été mal vécus. C’est plutôt a posteriori que j’ai entendu ou lu des choses qui ne correspondaient pas à la réalité, y compris dans vos colonnes d’ailleurs. Nous ne souhaitons pas réagir, car c’est un phénomène normal dans la vie d’une entreprise qui se développe et évolue. Prenez Monitor Deloitte par exemple : un certain nombre d’associés sont partis en début d’année fiscale 2019 et pourtant nous connaissons une belle croissance du chiffre d’affaires de l’activité stratégie (environ 20 millions d’euros par an, ndlr) sur l’année. Il n'y a rien à ajouter.
Tous les départs d’associés de Deloitte Consulting ont déjà été remplacés ?
S. R. : Totalement. Nous ne rencontrons pas de difficulté pour attirer des talents de haut niveau.
Quelles seront les priorités de votre plan de développement dans le conseil ?
S. R. : La stratégie et la technologie. Nous sommes plus forts qu’Accenture aux États-Unis, ce n’est pas le cas en France. Nous devons renforcer nos équipes de consultants spécialistes de SAP, d’Oracle ou de Salesforce. Nous devons être au même niveau dans le conseil en technologie, à égalité avec Accenture, ainsi que dans le conseil en stratégie, à égalité avec McKinsey et le Boston Consulting Group. Notre singularité sur le marché est de proposer à nos clients une offre globale end-to-end, à forte valeur ajoutée, en les accompagnant dans leur stratégie et sa mise en œuvre. Ce que nous ne voulons pas, ce sont des offres silotées où le conseil en stratégie joue le rôle de l’avant-vente de la technologie. Mille exemples passés montrent que cette logique ne fonctionne pas.
Propos recueillis par Benjamin Polle pour Consultor.fr
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commentaires (1)
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France
- 18/11/24
L’un des ténors du BCG en France, Guillaume Charlin, 54 ans, patron du bureau de Paris entre 2018 et 2022, serait en passe de quitter le cabinet.
- 15/11/24
Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.
- 15/11/24
Le partner Retail/Consumer Goods d’Oliver Wyman, Julien Hereng, 49 ans, a quitté tout récemment la firme pour créer son propre cabinet de conseil en stratégie et transformation, spécialisé dans les secteurs Consumer Goods, Luxe et Retail, comme il le confirme à Consultor.
- 13/11/24
À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa.
- 11/11/24
Si Arnaud Bassoulet, Florent Berthod, Sophie Gebel et Marion Graizon ont toutes et tous rejoint le BCG il y a plus de six ans… parfois plus de dix, Lionel Corre est un nouveau venu ou presque (bientôt trois ans), ancien fonctionnaire venu de la Direction du Trésor.
- 08/11/24
Trois des heureux élus sont en effet issus des effectifs hexagonaux de la Firme : Jean-Marie Becquaert sur les services financiers, Antonin Conrath pour le Consumer, et Stéphane Bouvet, pilote d’Orphoz. Quant à Cassandre Danoux, déjà partner Stratégie & Corporate Finance, elle arrive du bureau de Londres.
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.