Jean-Christophe Mieszala, directeur général de McKinsey France, répond à Consultor.fr
Le bureau parisien de McKinsey vient tout juste de fêter ses 50 ans. Consultor.fr a profité de cette occasion pour rencontrer son directeur général, Jean-Christophe Mieszala, et évoquer sa vision d'un métier qu'il pratique depuis plus de 20 ans.
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Rendez-vous est donné dans le gigantesque bâtiment style Art déco des Champs-Elysées que McKinsey envisage de quitter prochainement. On nous avait prévenu qu'il n'aimait pas beaucoup communiquer. On imaginait alors un homme de l'ombre, un personnage taciturne à qui il faudra tirer les vers du nez.
Le tout premier contact renforce cette crainte. Jean-Christophe Mieszala se présente dans la posture austère du consultant, costume sombre et cheveux bien rangés en une raie disciplinée. Mais l'impression est vite balayée par son sourire franc et ses premiers gestes. Il sert le café, en propose à ses invités et s'inquiète plusieurs fois de leur refus. Il est le premier à poser les questions. Jean-Christophe Mieszala est curieux de ses interlocuteurs, prend le temps de savoir à qui il a affaire. Ça aussi, on nous l'avait dit. Pendant l'heure et demie que va durer l'entretien, il ne regardera pas une seule fois sa montre.
Le bureau parisien a fêté récemment ses 50 ans. En un demi-siècle, l'économie s'est transformée. Les cabinets aussi. En quoi consiste ce changement ?
Le bureau parisien a été l'un des premiers bureaux à ouvrir en dehors des États-Unis [NDLR : quatre ans après celui de Londres]. Il était au départ porté par la vogue du « modèle américain ». Au fil des décennies et de nos discussions avec les décideurs, nous avons développé une approche spécifique, plus adaptée aux caractéristiques de l'économie européenne et en particulier au marché français. Depuis cinq ans, les entreprises sont entrées dans une nouvelle phase d'accélération de leur internationalisation. Il ne s'agit plus seulement pour elles de vendre les produits depuis le pays d'origine, mais de s'implanter et de fonctionner de manière globale.
Les cabinets ont dû adapter leur offre. En ce sens, notre réseau mondial constitue un atout décisif.
L'autre changement profond concerne notre métier, avec une forte diversification de nos activités de conseil. Désormais, notre cœur de métier historique, la stratégie « pure » et l'organisation, représente seulement 30 % de notre activité au niveau mondial, alors que d'autres activités comme les opérations font désormais partie de notre ADN. Notre culture n'en a pas pour autant été diluée.
Aujourd'hui, nous disposons d'experts mondiaux dans de très nombreux domaines. Cette évolution ne s'est pas faite toute seule. Le défi était de basculer d'un modèle généraliste vers un modèle que nous qualifions de « multispécialiste » en faisant cohabiter des profils complémentaires, des mentalités différentes, avec des objectifs et des aspirations qui ne sont pas toujours les mêmes. Enfin, il a fallu développer une vingtaine de tracks tout en conservant un seul P&L, un partnership. Tout au long de cette transformation, nous avons été très vigilants à garder notre ADN. McKinsey a une culture très forte. C'est un atout majeur, et parfois aussi un challenge, comme lorsqu'il faut intégrer de nouveaux profils. Nous nous interrogeons sans cesse sur les aspects de notre culture qui doivent être conservés et ceux qui doivent changer. L'évolution est constante et nous continuons en permanence à innover à travers des expérimentations.
Quelles sont ces activités que McKinsey teste ?
Depuis plusieurs années, nous avons développé l'activité RTS, une entité spécialisée sur le marché du retournement. C'est un tout autre métier. Nous déployons chez un client des dizaines de partners et de consultants, qui occupent des fonctions exécutives à temps plein, de CFO ou autre. Nos équipes prennent alors des décisions opérationnelles. Les consultants ne sont plus simplement des conseillers, ils engagent directement les entreprises, ce qui pose des questions complexes, de responsabilité juridique notamment. C'est une approche complètement différente. Pour nous lancer il y a quatre ou cinq ans, nous avons recruté des spécialistes du sujet et avons au fil du temps développé notre propre approche du métier. Nous avons d'abord pris pour référence les acteurs majeurs de ce secteur. Finalement, nous avons choisi de créer notre méthode.
Le bureau français a de son côté développé une nouvelle marque, Orphoz. On sait peu de choses de cette entité. Quel est son rôle ?
Orphoz regroupe une trentaine de personnes qui accompagnent dans la durée les entreprises, en dehors de la direction générale, en aidant les équipes dans la mise en œuvre et la préparation au changement. Le besoin initial est venu de certains de nos clients qui avaient créé ce type de structures d'accompagnement en interne. Mais ces structures n'avaient pas la taille critique pour offrir à leurs collaborateurs l'ouverture nécessaire sur l'extérieur ou des perspectives d'évolution professionnelle. Nous avons alors lancé Orphoz, dans un premier temps dans une logique de test, afin de répondre à ces besoins. Le bureau français a été pionnier sur ce point en Europe. Actuellement, notre bureau allemand s'en inspire et développe sa propre entité avec la force de frappe qui est la sienne. Cette activité s'est également développée à l'échelle mondiale sous l'appellation McKinsey Implementation.
Avec la multiplication des entités et des activités, est-ce que McKinsey ne risque pas de diluer sa propre marque ?
Je ne le pense pas, simplement parce que nous ne nous définissons plus par rapport à notre activité de départ, le conseil en stratégie, mais par rapport à nos valeurs et notre approche. Toutes ces branches sont animées par un même objectif, l'excellence. McKinsey se voit, se pense et se vit comme une entité globale depuis toujours. C'est le concept de « One Firm ». Là où nous changeons en profondeur, c'est dans la réflexion qui concerne la carrière de nos consultants. Au-delà de développer l'expertise, qui est l'un des sujets de cette réflexion, nous cherchons à donner plus de souplesse dans les parcours. Nous sommes attentifs aux contraintes ou aux envies personnelles de nos consultants, à leur besoin de réaliser pour un temps un projet personnel. Nous devons faire évoluer le modèle de performance qui veut que chacun travaille sans relâche.
Nous gardons le principe du « up or out », mais nous avons également pour objectif de garder les gens performants. Nous leur donnons la possibilité d'effectuer un break lorsqu'ils en ressentent le besoin ou l'envie. À l'heure actuelle, vingt-cinq de nos consultants sont actuellement en break. Ils peuvent revenir à tout moment, c'est nouveau en termes de RH. Ce changement dans les mentalités est pris en compte dans le recrutement. Nous sommes dans une logique de construction de carrière.
Face à une concurrence grandissante et aux frontières plus poreuses entre les business, est-ce que McKinsey envisage d'investir dans d'autres secteurs, par exemple dans l'IT ?
Nous sommes régulièrement approchés par de grandes SSII pour des partenariats, des missions globales. La question d'un rapprochement pourrait se poser en théorie, mais nous tenons à conserver notre indépendance et notre neutralité. Il est difficile à la fois de conseiller sur une stratégie et d'être partie prenante des solutions. Cela peut mener à des conflits d'intérêts assez évidents. Il n'est pas question pour McKinsey de se lancer dans cette voie. En matière de conseil en SI, nous tenons à préserver la singularité de notre approche : une approche de direction générale, avec une vision transversale des problématiques.
Pourtant, la révolution digitale a changé le business. Les créateurs d'applications n'attendent pas pour lancer leur produit, ils les testent directement sur le marché. Est-ce que l'approche à plus long terme du conseil en stratégie n'a pas vécu ?
Effectivement, le rythme du business a changé avec la montée en puissance du digital. Cela n'enlève rien à la pertinence d'une logique d'accompagnement de nos clients sur le long terme, bien au contraire. En revanche, il est vrai que notre manière de mener certaines missions s'est transformée. Avant, pour développer une application, on faisait un cahier des charges que l'on transmettait à une MOA. Aujourd'hui, il faut savoir agir vite, en temps réel. Nous avons donc développé des équipes d'experts informatiques, capables de créer des prototypes en quelques jours [NDLR : McKinsey Digital Labs, lancé officiellement en 2013]. Nous avons 300 spécialistes dans le monde capables de réaliser ces prototypes pour les présenter rapidement au client. Ces nouvelles capacités enrichissent notre approche, mais il n'est pas prévu de passer à l'étape suivante, McKinsey n'ira pas vers l'industrialisation.
Est-ce que certains de ces profils informatiques sont basés en France ?
Par définition, ces profils sont très mobiles, et peuvent s'établir dans le bureau qu'ils souhaitent. Or les meilleurs experts de l'informatique sont plutôt attirés par des environnements comme la Silicon Valley. Pour ces nouveaux profils, nous avons gardé nos exigences : au-delà des compétences informatiques de pointe, nos collaborateurs doivent être capables d'interagir avec les dirigeants « métiers » chez nos clients, d'appréhender tous les enjeux business avec une approche de direction générale. En matière de transformation digitale, les entreprises françaises sont moins avancées qu'ailleurs en Europe, mais une étude récente de McKinsey démontre que les usagers particuliers sont très avancés. Il y a donc un réel potentiel à terme.
Avec toutes ces activités, qui sont vos concurrents ?
Avec les gros acteurs comme les Big Four, nos activités se rapprochent, nous nous frôlons, mais nous restons sur des métiers et des activités différents : nous ne sommes pas plus concurrents que la SNCF et Air France ! Il arrive que l'on se croise, que l'on collabore même sur certaines missions où nos apports sont complémentaires, mais nous ne sommes pas en concurrence directe. Ensuite, la nature de la concurrence dépend de chaque pays. Si vous demandez aux partners britanniques, ils vous parleront beaucoup plus des Big Four que de certains cabinets de conseil en stratégie très présents en France.
Justement, comment McKinsey France se positionne-t-il par rapport aux autres cabinets leaders dans l'Hexagone ?
Je suis très frappé que certains de nos concurrents parlent tant de nous. De notre côté, nous ne nous définissons pas par rapport à nos concurrents ou par rapport à une place dans un classement. Les classements ont quelque chose de très relatif. Qu'est-ce qui fait un leader ? Le nombre de consultants, les résultats ? Si on réfléchit en nombre de consultants, comment les compte-t-on ? Je peux très bien décider d'ajouter aux effectifs du bureau français des équipes d'autres bureaux qui travaillent pour nos clients en France, ou encore prendre en compte certaines fonctions support. Au fond, cette question du nombre de consultants n'a pas grande signification. Cela relève de l'affichage. De toute façon, les Big Four nous dépasseront toujours largement sur ce point, et ça n'a pas d'importance. McKinsey n'a pas besoin de milliers de consultants en France, nous avons notre réseau international.
La différence se fait sur l'encadrement des consultants, le leverage ?
C'est une question primordiale pour McKinsey, sur laquelle nous ne transigerons pas. Notre modèle de fonctionnement exige de ne jamais excéder le ratio d'un partner pour six consultants. Dans la réalité, nous sommes plutôt à un pour cinq. Accroître soudainement les équipes, c'est augmenter le risque opérationnel. Cela pose également le problème du développement des femmes et des hommes au sein de notre cabinet. Nous voulons les accompagner, les faire évoluer à travers un encadrement très présent... c'est ce qui justifie aussi que nous contrôlons avec vigilance notre croissance. Aux États-Unis par exemple, l'activité a repris très vite et nous nous sommes retrouvés en déficit de partners. Cela devient à un moment un problème stratégique. McKinsey a donc dû recruter des partners de manière directe, ce qui ne faisait pas du tout partie de nos pratiques jusqu'alors. Nous avons recruté entre vingt et vingt-cinq partners issus d'autres cabinets de conseil de direction générale, mais sans embauche de masse. Pour ne pas perdre notre culture, nous avons recruté ces partners un par un, en leur appliquant un process individualisé d'intégration.
Vous êtes directeur général depuis 2010. Vous avez encore plusieurs années à travailler, difficile de croire que vous avez déjà là votre bâton de maréchal. Quelle est, à titre personnel, votre prochaine étape ?
La direction générale d'un bureau national, c'est un poste parmi d'autres, que l'on occupe à tour de rôle. Il y en a beaucoup d'autres, parfois moins visibles, mais extrêmement importants. Par exemple, Éric Labaye, mon prédécesseur à la tête du bureau, est aujourd'hui membre du comité de direction mondial de McKinsey et président du McKinsey Global Institute. Pour ma part, je me considère simplement comme un primus inter pares. Je continue à faire ce que j'aime, servir mes clients. Et je continuerai. Le seul de tous les partners dans le monde à ne plus avoir de clients et d'évaluation, c'est le managing director de McKinsey monde. Quant à moi, lorsque je cesserai d'exercer mes responsabilités de directeur général, j'irai où l'on aura besoin de moi.
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