Enseignement supérieur : b.a.-ba. d’un marché de conseil méconnu
Les cabinets spécialisés dans le conseil en stratégie auprès des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) se comptent sur les doigts d’une main. Le marché est pourtant porteur et dynamique. Les cabinets interviennent majoritairement auprès de clients du secteur privé : ils conseillent notamment des fonds et groupes d’écoles dans leur stratégie de M&A.
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Le panorama des cabinets intervenant auprès des acteurs de l’ESR associe des cabinets très divers allant d’EY Parthenon à Mawenzi Partners jusqu’à des acteurs spécialisés – les plus rares – tel que Headway Advisory.
Première raison de leur diversité : le marché grandit régulièrement.
« Le marché de l’enseignement privé, qui représente 4,5 milliards d’euros pour 550 000 étudiants (sur un total de 2,7 millions étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur en France en 2019-2020, ndlr), est en fort développement », souligne Guillaume Tellier, directeur chez Mawenzi Partners.
« Il croît en moyenne de 6 à 8 % par an depuis une décennie. La crise sanitaire a entraîné une baisse de plus de 2 % des arrivées d’étudiants étrangers, mais sa croissance globale régulière, intimement liée à la hausse en valeur des droits d’inscription, compense largement cette érosion conjoncturelle. À terme, une croissance d’environ 4 % par an est projetée. Une vingtaine de locomotives comme Galileo (groupe valorisé à 2,3 milliards d’euros en 2020 (comptant par exemple les Cours Florent, l’Atelier de Sèvres, l’école Penninghen) et INSEEC U (groupe d’écoles de commerce post-bac et autres valorisé à un milliard d’euros en 2019) sont suivis d’une kyrielle d’établissements de plus petite taille. Un seul groupe important est encore indépendant : Ionis Education Group (EPITA, Epitech...). »
Pour décrocher des marchés de conseil dans l’enseignement privé, des « beauty contest » de quelques cabinets
Comment les consultants décrochent-ils leurs contrats dans ce secteur ? « Beaucoup de missions se font de gré à gré en ce qui concerne les écoles privées. Cela se traduit souvent par un beauty contest où trois à quatre cabinets vont être mis en concurrence par le client », résume Julia Amsellem, associée chez EY-Parthenon, branche de conseil en stratégie et direction générale d’EY.
EY-Parthenon a notamment accompagné Ardian en 2020 dans l’acquisition d’une participation majoritaire dans AD Education, plateforme européenne d’éducation dans le domaine des arts, du design, du digital et de l’audiovisuel – qui est notamment propriétaire de l’école de design de Condé. EY-Parthenon a également conseillé Skill & You, acteur du e-learning, lors sa dernière levée de fonds.
Dans l’enseignement supérieur public, des appels d’offres témoignent des besoins de conseil
Si les écoles de commerce et d’ingénieurs privées sont assez discrètes, les établissements publics, soumis au Code des marchés publics, en disent un peu plus sur les besoins au travers de leurs appels d’offres.
On apprend ainsi que la direction générale de l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (UPEC) cherche un cabinet de consulting pour affiner sa stratégie dans le cadre de ses candidatures à appels à projets, en particulier autour du 4e programme d’investissements d’avenir (annoncé en janvier 2021 par le Premier ministre Jean Castex, il est doté de 20 milliards d’euros sur cinq ans).
On apprend aussi que l’Institut polytechnique de Grenoble cherche des conseils en accompagnement au changement ou bien encore que l’université de Rennes 1 est prête à engager des experts pour l’éclairer dans l’élaboration de ses projets stratégiques (programme Investissements d’avenir, appels à projets ministériels, partenariats stratégiques, collaborations organiques ou contractuelles, etc.).
Deux écoles de commerce, Kedge et l’ESC Pau, ont également récemment publié un appel d’offre pour un accompagnement stratégique.
Dans l’ESR, des enjeux financiers et humains très lourds, des modèles tourneboulés
Les enjeux sont souvent de taille pour ces mastodontes de l’enseignement, qu’ils soient privés ou publics. Le plan stratégique 2020-2025 de l’EDHEC, qui possède des campus à Lille, Nice, Paris, Londres et Singapour, prévoit ainsi 230 millions d’euros d’investissements.
Autre exemple : le campus de Cergy Paris Université qui représente environ 1 000 enseignants, 700 administratifs (BIATSS) et 25 000 étudiants répartis sur douze sites. Son budget de fonctionnement 2020 est de 186 millions d’euros.
« En l’espace d’une décennie, les établissements d’enseignement supérieur ont subi un bouleversement de leurs repères lié à plusieurs phénomènes : la digitalisation a favorisé le développement des cours à distance ; leur business model a évolué de même que la structure de la concurrence. Il y a encore dix ans, c’était assez simple de créer une école, de recruter des enseignants, de mettre en place un programme et de remplir des classes après un processus sélectif. Maintenant, un établissement se doit de proposer un programme grande école (PGE), mais aussi un cursus post-bac de trois à cinq ans, des cursus spécialisés post-expérience et de la formation continue. Les exigences de la recherche ont également fortement impacté les modèles organisationnels et économiques », explique Sébastien Vivier-Lirimont, managing partner du cabinet HEADway Advisory, dédié au conseil en stratégie des acteurs de l’ESR.
« Le marché est passé en une décennie d’un modèle de purs services à un modèle industriel avec des investissements longs en amont. Le modèle économique est devenu plus intensif en capitaux : il s’agit de créer des campus intelligents avec des infrastructures pédagogiques lourdes (digitalisation, ERP coûteux, systèmes adaptatifs de gestion et de suivi des performances, etc.) », ajoute-t-il.
Les établissements doivent ainsi raisonner capex, systèmes d’information et modèle opérationnel, tandis que le digital prend une place de plus en plus importante dans la gestion des enseignements et dans celle des écoles.
« Les ressources professorales aussi sont devenues critiques. Selon nos calculs, le coût de publication moyen d’un article de recherche dans une revue scientifique de rang 1 est de 250 000 euros dans une école de management. Depuis cinq ans, les questions que nous recevons sont plus fondamentales, plus profondes. Elles concernent l’identité stratégique des établissements, le modèle opérationnel et stratégique en lien avec la révolution de fond causée par le digital, la diversification de l’offre de programmes, le modèle économique et le financement de la recherche. De nouveaux sujets émergent également à la faveur de la crise sanitaire comme la gestion des risques et le pilotage », précise encore Sébastien Vivier-Lirimont.
Mue digitale et consolidation du marché
La transformation digitale est sans doute le sujet qui revient le plus dans les demandes des acteurs de l’ESR. « Ils veulent capitaliser sur les opportunités offertes par le digital : en matière de marketing digital, sur le référencement sur les moteurs de recherche ou la présence sur les réseaux sociaux, en matière de processus de recrutement, sur les forums étudiants ou via des ateliers à distance, en matière d’offre pédagogique, sur les cours en présentiel et distanciel, sur le e-learning. Ce volet numérique nécessite souvent de lourds investissements dans des learning management systems », décrit Julia Amsellem.
Face à une concurrence accrue de la part d’acteurs anglo-saxons, tels que les plateformes d’apprentissage en ligne internationales comme Coursera et edX ou les Gafam (Google propose un bachelor à 300 €/an), les acteurs de l’enseignement privé doivent croître pour survivre. « Il y une course à la taille et aux économies d’échelle qui favorise la consolidation des écoles entre elles ou entre groupes d’écoles déjà constitués afin de créer de nouveaux campus régionaux ou à l’étranger », analyse Guillaume Tellier.
Autres facteurs de changement : une hyperspécialisation galopante (écoles dédiées au management hôtelier, à l’intelligence artificielle, etc.) et une course à la taille. « Aujourd’hui, un étudiant sur cinq est inscrit dans un établissement privé. Il y a cinq ans, c’était un sur six. Dans cinq ans, ce ratio sera sans doute d’un sur quatre. L’État favorise cette privatisation », complète Sébastien Vivier-Lirimont.
Internationalisation et formation professionnelle : deux enjeux de croissance
Autre sujet de consulting récurrent, le volet international a pris une place grandissante au fil des ans. Pour attirer des étudiants étrangers sur son campus, une école doit se poser des questions sur son branding et la commercialisation de son offre à l’international, déterminer quelle diversification de son corps professoral peut être obtenue.
Là encore le recours à des consultants extérieurs peut se faire sentir. « L’internationalisation recouvre plusieurs facettes : cela peut correspondre au besoin d’internationaliser le portefeuille d’écoles d’un groupe en procédant à des acquisitions ciblées ou bien à l’opportunité de recruter plus largement des étudiants à l’étranger pour tirer avantage de la croissance de marchés émergents », indique Julia Amsellem chez EY-Parthenon.
Quoiqu’avec la crise sanitaire tout a changé sur ce point : moins d’étudiants sont venus dans l’Hexagone se former. « Une école a tout intérêt à ne pas trop dépendre de cette manne », prévient Julia Amsellem.
La formation professionnelle peut constituer un bon relais de croissance. « On note une vraie convergence entre enseignement supérieur et formation professionnelle avec des cadres qui cherchent des cursus courts ou des salariés souhaitant progresser dans leur carrière grâce à un 3e cycle par exemple », déclare-t-elle.
L’essor des nouvelles technologies stimule ce besoin. Les écoles doivent y répondre en amendant leur programme (formations certifiantes ou diplômantes, types de diplômes à mettre en place, etc.). Les perspectives de croissance sur ce sujet sont solides, et avec elles des possibles missions de conseil associées, comme l’anticipe Guillaume Tellier : « Cette offre ne représente encore en moyenne que 10 à 20 % du chiffre d’affaires pour une école, mais cela devrait progresser, ne serait-ce que parce que les entreprises ont des poches plus profondes que les étudiants. »
Emmanuelle Serrano pour Consultor.fr
Crédit phtoto : Adobe Stock.
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France
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