Le M. Banques Monde du BCG trace sa route
C’est un historique du BCG qui vient de quitter le cabinet. Lionel Aré, 59 ans dont 33 au BCG, ex-n° 1 Banques Monde du cabinet, s’est lancé un nouveau défi pro, à titre individuel cette fois. Être coach de dirigeants, de grandes entreprises qu’il connait si bien, mais aussi d’ETI et de start-ups. C’est une figure emblématique du conseil, mais un homme tout en humilité et simplicité, qui a accepté de partager à Consultor les grandes lignes d’un parcours de consultant hors normes.
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« On attribue souvent à Tolstoï la phrase suivante : “Tout le monde pense à changer le monde, mais personne ne pense à se changer lui-même.” Sans aucun doute, le monde a un besoin urgent de changement en 2024, mais j’essaierai aussi de changer moi-même », a partagé Lionel Aré lorsqu’il a annoncé, à la surprise générale, son départ du Boston Consulting Group en ce début d’année.
Retour sur les bancs de l’école
Au BCG depuis 1991, partner depuis 1999, senior partner depuis 2005, ancien leader monde des practices Institutions financières, Digital et Analytics, puis de l’équipe offre du BCG, ex-interlocuteur n° 1 des banques aux quatre coins de la planète… N’en jetez plus…
Ce consultant-pilier de la firme BCG aurait aisément pu « attendre » la retraite au sein de l’un des plus grands cabinets de conseil au monde dans lequel il s’était fait une place de choix ; la limite d’âge des partners n’étant pas de mise au BCG. Le senior partner a pourtant quitté le MBB en ce début d’année après 33 ans de carrière « par choix, pour évoluer vers autre chose, le coaching par envie d’explorer une autre facette de ce que l’on peut apporter aux gens avec qui l’on travaille ».
Le senior partner depuis presque 20 ans est ainsi retourné sur les bancs de l’école, à HEC, pour y suivre une formation continue d’un an, « Executive certificate professionnal coaching ». Car ce qui l’intéresse, c’est de « rester à l’écoute des clients pour les aider sur ce qui les amène dans un monde de plus en plus complexe et de contraintes, mais dans lequel nous rencontrons des gens à fort potentiel ». En tant que futur coach, Lionel Aré se voit comme un « entraîneur de performance personnelle durable » pour des dirigeants qu’il qualifie « d’athlètes intellectuels », souvent en manque de préparation, d’entraînement et de soutien nécessaires.
La physique quantique pour première passion
Mais ce fils et petit-fils de cheminots n’avait pourtant pas un chemin tout tracé dans les hautes sphères des directions générales et des plus grands cabinets de conseil en stratégie internationaux. Et d’ailleurs, le lycéen de Cergy-Pontoise était au départ plutôt destiné à la science avec un grand S.
Lionel Aré effectue sa prépa au lycée Saint-Louis, « pas forcément l’élite des lycées, plutôt un bon lycée public, ouvert plus largement que d’autres établissements, ce qui ne m’a pas empêché d’entrer major à Ulm » et s’ouvre les portes des grandes écoles ès sciences, reçu à Normale Sup et à Polytechnique, préférant l’ENS, « par goût pour la physique ». Mais aussi le Collège des Ingénieurs, « qui offre aux ingénieurs durant un an (pour lui en 1988, ndlr) une formation en alternance sur tous les sujets business ». C’est sur les bancs de la rue d’Ulm entre 1985 et 1989 que l’étudiant physicien effectue un premier stage au BCG, « une rencontre due au hasard, j’y ai croisé des équipes du BCG lors de cours de stratégie, et au moment où je devais faire un stage en entreprise ».
DEA en physique quantique en poche (son mémoire portait sur les travaux d’Alain Aspect, co-lauréat du prix Nobel de physique quantique en 2022), Lionel Aré poursuit avec une thèse sur ce sujet récent (né au XXe siècle), disruptif, qui fascine la communauté scientifique. Et ce, sous l’égide de l’un des grands physiciens français, Serge Haroche, colauréat du prix Nobel de physique en 2012 avec l’américain David Wineland pour leurs méthodes expérimentales novatrices. Une thèse consacrée aux matériaux semi-conducteurs, dont « on croyait énormément en leur potentiel quantique », et notamment l’arséniure de gallium.
Le BCG, « la loi du hasard »
Une thèse interrompue pour effectuer un service militaire qui l’en éloignera définitivement, mais le verra ensuite entrer au BCG Paris en 1991 comme consultant junior, alors une plutôt modeste équipe de quelques dizaines de personnes dont 5 partners ; devenu depuis le premier bureau du MBB après celui de Boston, plus de 1200 consultants aujourd’hui dont quelque 80 associés. « J’avais rejoint le BCG pour 6 mois, et j’ai prolongé pour aller plus vite dans le monde de l’entreprise. Le cabinet travaillait dans ces années-là pour tous les grands clients de l’ensemble des secteurs en France – le BCG étant historiquement né dans le monde industriel –, à l’exception des services financiers, une practice qui s’est créée à Paris à la fin des années 1980. Et j’ai rejoint alors très rapidement cette activité nouvelle. » Un consultant qui se qualifie encore aujourd’hui de « besogneux de l’équation » qui s’est d’abord plongé dans le secteur de la high tech, intéressé avant tout dans ce métier par « un peu de logique pour résoudre les gros problèmes mathématiques », passant « presque sans transition d’une modélisation de la physique quantique à une modélisation des risques bancaires ». Un secteur bancaire dans lequel le consultant s’est spécialisé à partir de 1995. Et ce qui l’a poussé à y rester plus de 30 ans, c’est la transformation de fond de ce secteur à réinventer, notamment via la digitalisation.
Un Français au sommet du BCG
Le physicien, as des théories quantiques, n’a pas perdu de temps comme consultant. Lionel Aré a eu pour le moins un parcours pour le moins fast track, « même à cette époque », comme il le concède. Moins de 8 ans après son arrivée au BCG, l’associate est promu partner début 1999, puis senior partner et managing partner en 2005. Le « palmarès » de Lionel Aré ne s’arrête pas là : il a été leader monde de la practice Institutions financières (de 2011 à 2017), et à ce titre l’interlocuteur n° 1 monde des banques, des practices Digital et Analytics et durabilité dans les Institutions financières (de 2017 à 2022), et était jusqu’à son départ le leader global de l’équipe offre du BCG depuis 2022.
Être un Frenchie pour accéder aux hautes gouvernances de ce cabinet d’origine américaine a-t-il été un handicap ? Aucunement d’après Lionel Aré au vu de la logique de méritocratie du cabinet qui reconnait cependant que « cela dépend des époques », mais il a eu la chance de connaitre « des moments où il y avait beaucoup de Français ». Et de rappeler que le bureau français du BCG est un bureau « important », Paris ayant toujours été une plaque tournante d’activités auprès de grands clients, avec « une position de marché en France très solide pour le BCG, une marque reconnue ».
Des secteurs challengeants
Alors il en a vu des clients, des missions, des problématiques spécifiques de secteur, en France comme à l’étranger, des centaines, voire des milliers durant ces 33 années de carrière. Ces cinq dernières années, c’est la finance durable, incontournable invitée du secteur depuis peu, activité qu’il a montée et structurée au sein des bureaux parisiens, qui a marqué cet insatiable curieux. Une façon pour lui « d’approfondir la compréhension de ces enjeux importants pour nous tous et qui nous amènent forcément à regarder les problématiques environnementales de tous les secteurs, car l’empreinte des banques est celle de leurs clients. »
Mais c’est aussi le secteur transverse du digital que Lionel Aré a aussi pu accompagner dans des transformations passionnantes. « J’ai commencé il y a moins de 10 ans, et nous sommes allés progressivement vers l’IA, une matière qui m’intéresse toujours autant. »
Et ce métier de consultant, en quoi a-t-il changé au fil de ces 30 ans de carrière ? Étonnement en presque rien, selon lui, « et si j’avais dû parier, je me serais sans doute trompé », même si le niveau de professionnalisation dans un secteur, une matière et des outils, a lui augmenté de façon exponentielle. Car, en réalité, « les fondamentaux n’ont pas bougé, le mode de pensée, l’attitude. J’ai un problème, j’essaie de le comprendre pour trouver une solution, et je vais la construire d’une façon très spécifique pour un client donné. Entre mon premier projet et le dernier, c’était presque la même chose ». Car les qualités premières du consultant restent les mêmes : écoute, rigueur, capacités analytiques et d’adaptation à de nouveaux environnements, orientation client…
Ce métier, il l’a aimé, énormément, plus de 30 ans à répondre à des sujets aussi divers que passionnants avec une exposition internationale qui lui ont permis de voyager, beaucoup, de découvrir des cultures et d’autres environnements business. « Je n’ai jamais fait les choses à contrecœur, j’ai eu beaucoup de plaisir à chacune des étapes. Le plus dans ce métier, c’est une énorme exigence de rigueur et le devoir permanent d’apporter des solutions, tout cela avec une dimension humaine très forte, des qualités que l’on cultive, qui deviennent des réflexes, et que j’embarque avec moi. » Mais ce nouveau choix professionnel qu’il considère comme un nouveau défi a été longuement mûri.
Un métier de transmission
Qui a été source d’inspiration pour ce consultant devenu au fil du temps cet expert ès banques international, et qui a lui-même sans nul doute inspiré de nombreux jeunes consultants durant ces 30 dernières années ? « René Abate, répond-il du tac au tac, un ancien dirigeant du bureau parisien, avec qui j’ai travaillé directement et qui a énormément compté pour moi. » René Abate, 50 ans de BCG, chairman Europe de 1991 à 1996, est resté depuis senior advisor du cabinet… « Il avait déjà une position très senior lorsque je suis arrivé dans le conseil, avec des valeurs à défendre, de la rigueur, une orientation client, les grands principes du BCG. » Autre mentor, Didier Ribadeau Dumas, en charge de développer la practice Services financiers du BCG Paris. « Je ne connaissais rien à ce secteur lorsque j’ai rejoint cette activité. Celui qui avait déjà eu un beau passé de banquier m’a presque tout appris de ce secteur en pleine mutation, qui faisait déjà face à une nécessaire et profonde transformation. »
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Des conseils aux jeunes consultants ? Trois, fondamentaux pour garder le cap, ses valeurs et l’envie : rester curieux pour « ne jamais considérer des vérités établies comme intouchables et toujours questionner, remettre en question », savoir faire des choix de carrière, qui sont multiples dans un cabinet comme le BCG et « définis ton propre chemin, comme on le dit souvent en interne », et enfin, prendre du plaisir, toujours, et ce, même « si c’est parfois intense »…
La transmission, toujours et encore. Depuis une dizaine d’années, Lionel Aré s’est engagé parallèlement aux côtés des entrepreneurs et associations, comme business angel et membre de conseils d’administration. L’ex-senior partner est en effet membre du CA de la plateforme business Opportunity Network (depuis 2017), de l’association pour accompagner le développement de mini-entreprises, Entreprendre pour apprendre, de la start-up française de capture de carbone, NetZero (fondée par un ancien senior partner du BCG, Axel Reinaud) et depuis quelques mois pour l’innovation studio, Schoolab.
Le champ professionnel qui s’ouvre à lui, le coaching de dirigeants, cet expert du conseil en stratégie l’aborde comme un véritable défi. « Aujourd’hui, je fais les choses différemment, même si elles ne sont pas si éloignées. Mon expérience m’a armé. J’espère pouvoir y arriver. C’est un métier différent, ce n’est pas une évidence. » Lionel Aré ne quitte pourtant pas totalement le BCG ; il reste senior advisor pour ce cabinet qui est et restera le cabinet de sa vie pro.
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