Le sport, une industrie à part entière pour le conseil en stratégie ?
Sport business, valeurs, ferveur : les missions dédiées font vibrer les consultants. En 2025, les cabinets de conseil en stratégie vont-ils au-delà d’une approche opportuniste ?

S’il a longtemps été perçu comme une activité de niche dans le monde du conseil, le retentissement d’événements à dimension planétaire et l’interconnexion du sport avec de nombreuses industries en font un segment que la plupart des cabinets interrogent désormais.
Pour Consultor, l’ancien pilote du sport business chez EY-Parthenon, Benjamin Abitbol, ainsi que les partners Jonathan Le Henry, patron de Strategy& au Maghreb, et Jean-Marc Liduena, à la tête de Circle Strategy, décryptent les ressorts de son développement, sans oublier Renaud Carnec, ex-consultant chez Roland Berger et cheville ouvrière avec son équipe de la candidature du Maroc pour la Coupe du Monde de foot 2026.
Mille bonnes raisons d’investir dans le sport pour le conseil en strat »
La principale relève, logiquement, de la dimension business. La contribution du secteur sportif a été évaluée pour 2022 à 2,6 % du PIB par BPCE L’Observatoire, soit 68 milliards d’euros.
Or, au sein de cet écosystème naviguent « beaucoup de clients potentiels du conseil, selon Jean-Marc Liduena, des médias aux fonds d’investissement en passant par certains méga acteurs du secteur sportif professionnel ou les détenteurs d’infrastructures, entre autres ».
Jonathan Le Henry corrobore. « On est sur un secteur qui évolue à vitesse “grand V” porté à la fois par des investissements financiers, et un fort apport en technologie et innovation qui transforme la façon dont le sport se pratique et comment il est consommé par les fans ». Le leader de Strategy& au Maghreb souligne que certaines zones géographiques, faiblement exposées par le passé, sont désormais sous les projecteurs, ce qui se traduit « par l’émergence de nouvelles filières à fort potentiel ».
Autre aspect avec l’évolution des modes de vie. Le sport est « un formidable outil de santé publique qui intéresse de grands acteurs des secteurs Food et Beverage, d’où des opportunités pour le conseil en stratégie », complète le patron de Circle Strategy.
Et c’est un segment où la concurrence reste limitée. Si des agences de marketing et d’événementiel se sont spécialisées, elles n’entrent en concurrence que sur un « petit pan » de l’activité des cabinets de conseil en stratégie selon Benjamin Abitbol. Parmi ceux-ci, ils sont peu nombreux à s’être positionnés spécifiquement sur le sport, malgré l’exemple de Nova Consulting, qui en a fait l’un de ses domaines depuis sa création.
En interne, ces missions suscitent par ailleurs un véritable engouement : « Tous les consultants du bureau souhaitent se positionner ! » L’ensemble de nos interlocuteurs s’accordent sur ce point.
Quelques warnings
Malgré le quart de point de PIB supplémentaire généré par les JO de Paris 2024 au troisième trimestre 2024 selon la Banque de France, sur l’ensemble de l’année 2024, les répercussions pour le marché du sport ne sont pas à la hauteur des espérances de certains acteurs. Ainsi, des détaillants d’articles de sport en France – près de 30 % des revenus de la filière selon l’étude BPCE L’Observatoire – qui ont connu une croissance de 1,2 % seulement.
L’effet JO serait « minime » aussi dans le conseil en strat », globalement. Désormais consultant indépendant et Board Advisor de l’équipe cycliste Unibet Tietema Rockets, Benjamin Abitbol n’a mené « aucun projet lié aux Jeux olympiques ni même adjacent », et n’en a aucun en vue. « Quand un club de Ligue 1 m’appelle parce qu’il envisage d’acheter un club à l’étranger pour créer une holding européenne de clubs de foot, ça n’a aucun lien. »
Plus généralement, le segment du sport est fait « de petites missions qui alternent avec de plus grosses, voire de très grosses, puis d’autres plus modestes, etc. Il ne rivalise pas – encore ? – avec des territoires comme les télécoms, les médias ou la technologie », selon l’ancien d’EY-Parthenon toujours.
Une activité insuffisante pour monter une practice à l’échelle hexagonale ?
Pour Benjamin Abitbol, qui a quitté EY-Parthenon en mai 2024 (détaché comme DGA de l’équipe cycliste AG2R-Citroën dès juillet 2022), « si le nombre de missions dédiées au sport a augmenté durant quelques années », c’est parce qu’il s’est montré « volontariste, voire jusqu’au-boutiste. Au-delà de la détermination nécessaire, il faut être prêt à ralentir sa carrière [pilote de ce segment, il était “seulement” directeur », ndlr] pour pouvoir développer quelque chose de nouveau, mais de plus risqué ».
Malgré toute l’énergie déployée, son ambition – constituer une équipe dédiée – ne s’est pas concrétisée. Une « équipe paneuropéenne » a toutefois failli voir le jour juste avant son départ, Benjamin Abitbol ayant eu un rôle de représentation de ce segment en Europe notamment. La taille du marché européen se prête sans doute mieux à cette structuration.
À l’inverse, d’autres cabinets font le choix de positionner une équipe sur le sujet. C’est le cas de Circle Strategy depuis février 2024, via « 6 consultants, dont un principal ». Ou de PwC/Strategy&, qui dispose d’une verticale dédiée. « Nous croyons fortement dans la nécessité d’avoir une expertise consacrée au sport. Pour autant, et par construction, les besoins du secteur sont pluridisciplinaires et la capacité de mettre autour de la table : stratèges, experts, conseils financiers, consultants en management ou encore avocats, est selon nous la condition du succès pour ces projets », précise Jonathan Le Henry.
Certaines missions hors norme
Ce fut le cas de celle menée par Renaud Carnec, alors consultant au bureau de Casablanca de Roland Berger (désormais à la tête de la stratégie et de l’innovation de GetLink).
« En décembre 2017, j’ai été embarqué dans l’élaboration du dossier de candidature du Maroc pour l’organisation de la Coupe du Monde de foot 2026. » Une mission de 6 mois, avec une phase de préparation – « quadrillage des attendus du dossier, préparation des données macro, aide pour structurer le comité de candidature ». Au-delà de l’équipe dédiée, un manager et trois consultants, « d’autres consultants de Roland Berger sont intervenus pour réaliser des études, par exemple sur l’avantage du Maroc pour les droits TV en raison du fuseau horaire ».
Renaud Carnec a intégré le comité d’organisation, dans un rôle de gestion de projet et de direction de cabinet. La rédaction de contrats et leur signature – par les villes-hôtes, les gestionnaires de stades, etc. – ont constitué une part importante de la mission, tout comme la cartographie de l’offre hôtelière. En juin 2018, la présentation finale de la candidature a eu lieu à Moscou. Bien que le Maroc n’ait pas décroché cette édition, il coorganisera la Coupe du Monde 2030 avec l’Espagne et le Portugal.
Le manager engagé sur cette mission, qui évolue toujours au sein de Roland Berger, a ensuite « enchaîné avec un projet pour le Stade de France ». Un autre consultant, Ghali Mechat, contribue actuellement au pilotage de l’organisation de la Coupe du Monde 2030 au Maroc. Au sein des cabinets comme en dehors – quand les consultants voguent vers d’autres horizons –, un engagement sur ce type de missions permet de rebondir.
Autre contexte, mais registre exceptionnel toujours pour ce géant de l’audit et du conseil missionné pour l’organisation du plus grand événement sportif planétaire – 5 ans d’implication, 450 missions, 500 collaborateurs et associés engagés – et une com’ verrouillée. Certaines missions sport comportent des obligations drastiques.
Le sport, trop imbriqué dans d’autres industries pour se développer de façon autonome ?
Généralement adossé aux TMT en raison de ses forts enjeux médiatiques et de sponsoring (ou liés aux paris sportifs, dans une moindre mesure), ce segment interagit bien sûr avec le secteur sportif professionnel lui-même, mais aussi avec les décideurs publics ou, comme déjà évoqué, les infrastructures, ou encore la grande conso (fabricants d’articles de sport), la distribution (grandes enseignes généralistes ou spécialisées, e-commerce) – et le private equity.
C’est là l’une des grandes tendances du marché : la prise de participations dans des clubs de foot notamment, français ou autres, ou dans des ligues, par des holdings du type City Football Group qui détient Manchester City, des fonds, des investisseurs individuels ou des entreprises. « Certains fonds d’investissement y voient une occasion de se diversifier en développant une nouvelle verticale ; d’autres investisseurs ont fait le pari de construire des fonds dédiés au sport autour de plusieurs thématiques clés : la technologie dans le sport, l’expérience client, les clubs et les grandes compétitions », partage Jonathan Le Henry.
Cette polymorphie complexifie l’appréhension du segment. Sachant que, pour de nombreux cabinets, il n’est pas question de faire savoir au marché que l’on dispose d’une équipe dédiée si l’on n’a pas une offre structurée à proposer, des références, un « pipe » d’activités régulier.
Dans cette perspective, Benjamin Abitbol estime à regret que le sport ne peut être considéré à date « comme une industrie à part entière » pour le conseil en stratégie, du moins dans les expériences qu’il a pu avoir.
Les associés de Circle Strategy et Strategy& sont d’un autre avis. Jean-Marc Liduena évoque en effet « la dimension marketing du sport, point d’entrée de Circle Strategy pour le développer comme une nouvelle industrie, dans une approche pragmatique ». Le cabinet a réalisé plusieurs études, « celle sur l’impact économique de Kylian M’Bappé sur le Paris–Saint-Germain et les conséquences de son départ ayant été reprise par la presse dans toute l’Europe et jusqu’au Canada. L’étude a été vue par nos clients, par les candidats et par l’ensemble du marché ».
à lire aussi

C’est une étude publiée il y a quelques jours seulement et qui fait déjà grand bruit sur la Toile. Le cabinet Circle Strategy a réalisé une étude sur l’impact économique de Kylian Mbappé sur le Paris-Saint-Germain et les conséquences désastreuses d’un départ annoncé.
La seconde étude de Circle Strategy, sur l’impact économique des JO pour les entreprises sponsors, a généré « de multiples touchpoints avec lesdites entreprises ». Voire davantage puisque l’une d’elles, dans le secteur de l’optique, est désormais accompagnée par le cabinet. Jean-Marc Liduena confie par ailleurs qu’une troisième étude sortira début mars autour de la Formule 1.
Chez Strategy&, Jonathan Le Henry explique que le cabinet « organise le sport comme une véritable industrie pour répondre à de nouveaux besoins qui requièrent de nouvelles expertises. L’actualité du Royaume du Maroc en matière de sport est un exemple extraordinaire. L’organisation de la coupe du Monde de Football en 2030, en partenariat avec l’Espagne et le Portugal, créée pour le Maroc un lot d’opportunités de grande ampleur. L’émergence d’une “économie du sport” pourrait avoir un impact considérable en matière d’investissements et de création d’emplois ».
Au-delà de cette seule région, nos interlocuteurs s’accordent sur la « multiplicité des terrains de jeu dans le sport », lesquels devraient le rendre incontournable pour les prochaines années.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaire (0)
Soyez le premier à réagir à cette information
tech - télécom - médias
- 07/03/25
L’ancien engagement manager de McKinsey, Cédric Meston, co-fondateur de la marque végane HappyVore (avec Guillaume Dubois, chez McKinsey entre 2016 et 2019), se lance dans une nouvelle aventure entrepreneuriale. Il accompagne des projets de reprises de start-ups et PME afin « de sauver les actifs et les emplois et de donner une seconde vie aux beaux projets en difficulté », comme il le partage à Consultor.
- 13/02/25
Ils étaient collègues chez Oliver Wyman et sont devenus amis, associés dans l’entrepreneuriat. Maxime Eduardo et Antoine Servant, cofondateurs de la plateforme Naboo, spécialiste de l’organisation d’événements professionnels, ont levé 20 millions d’euros.
- 10/02/25
Selon le quotidien italien La Stampa, le groupe de Xavier Niel a missionné le Boston Consulting Group pour analyser l’opportunité stratégique d’un rachat.
- 21/01/25
Xiaohongshu : la plateforme chinoise, mélange de TikTok, Pinterest et Instagram, bat tous les records de téléchargement gratuit aux États-Unis. Son cofondateur est un ancien de Bain & Co.
- 19/12/24
D’après un fichier confidentiel du groupe informatique en proie à de graves difficultés financières, McKinsey lui a fourni 45 millions d’euros de conseil en 2022, 57 millions en 2023 – et 14 millions en 2024.
- 19/12/24
Chuck Whitten est un partner « boomerang » de Bain où il avait passé 22 ans. Au sein du cabinet il avait, notamment, conseillé Dell durant plus de 10 ans, avant de rejoindre l’entreprise.
- 03/12/24
Il est un alumni du conseil en stratégie qui fait parler de lui ces dernières semaines… Et qui aurait sans nul doute préféré rester discret pour l’occasion. Alban du Rostu, 34 ans, consultant chez McKinsey entre 2018 et 2021, puis DG du Fonds du Bien Commun (FBC), créé par l’homme d’affaires milliardaire Pierre-Édouard Stérin, catholique conservateur proche de l’extrême droite, avait été nommé le 25 novembre dernier directeur de la stratégie et du développement du groupe Bayard par son président, François Morinière…
- 21/11/24
Thibault Delon, près de 4 ans passés au bureau parisien de L.E.K., vient d’être nommé Chief of staff de Maxime Saada, CEO de Canal+ et président du directoire.
- 14/11/24
Désignée comme l’une des 50 Women in Tech allemandes en 2021, Mariam Kaynia, plus de 8 ans passés chez McKinsey, devient Chief Data and Information Officer du groupe français de télécoms par satellite.