Londres, Paris, Djakarta, Singapour : la recette d'une carrière à l'international
Jean-Pierre Felenbok a ouvert les cinquième et cinquantième bureaux de Bain & Company dans le monde, à Paris puis à Djakarta.
Le directeur général depuis quelques mois de la région Asie du Sud-Est a réalisé toute sa carrière chez le géant du conseil américain. En trente-huit ans de maison, il a fait de l’international le moteur de sa carrière de consultant en stratégie.
Jean-Pierre Felenbok ne doute pas qu'il terminera sa carrière là où il l'a commencée : chez Bain. Quatre décennies au compteur n’ont pas étanché son appétit de projets nouveaux à concrétiser.
Ascension rapide
Après un master spécialisé à l'École des Ponts (1978), un master of science civil engineering au MIT (1980), et un MBA à la Harvard Business School (1981), où il découvre le monde du conseil, il entre en 1981 comme consultant chez Bain, assez naturellement.
« Je ne souhaitais pas me contraindre à l’aspect très technique de mon métier d’ingénieur, je préférais le management. C’était encore une jeune firme en plein développement, créée huit ans auparavant, qui offrait de nombreuses opportunités tant pour les analystes que pour les consultants. J’ai tout de suite adhéré à sa culture interne de pragmatisme et de travail collaboratif. »
Et ce jeune diplômé qui avait envie d’un retour aux sources européennes a saisi l’opportunité d’intégrer le bureau de Londres. Sa vocation d’alors : servir le marché britannique et préparer l’ouverture de nouveaux bureaux en Europe, avec pour moitié des collaborateurs issus d’autres pays européens dédiés aux clients non britanniques.
Deux ans et demi seulement après son arrivée dans le groupe, Jean-Pierre Felenbok est promu manager, puis il participe à la création du bureau parisien en 1986 – le cinquième bureau de Bain dans le monde.
Une obsession de l'international longue à concrétiser
Nommé partner dès 1987 – six ans après son embauche –, il sera ensuite directeur EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique) de la practice industrie jusqu’en 2012. « Pour le jeune consultant que j’étais, cela a été une expérience entrepreneuriale extraordinaire. Mais j’avais depuis longtemps l’idée de repartir à l’international, avec une forte envie d’aller en Asie pour son offre culturelle différente. J’ai attendu un bon alignement des astres tant personnels que professionnels pour franchir le cap. »
Fin 2012, il part donc à Singapour comme membre senior de la direction de Bain Asie du Sud-Est. Avec une nouvelle opportunité, celle de fonder seulement un an plus tard le bureau indonésien à Djakarta, le cinquantième bureau de Bain dans le monde !
Une expérience qu’il juge exceptionnelle dans une région où l’émulation est permanente. « L’Indonésie est un pays de 300 millions d’habitants, représentant à lui seul la moitié du PIB de l’Asie du Sud-Est, et une croissance de 6 % par an ! Ce bureau compte aujourd’hui 50 collaborateurs et ce n’est pas fini ! »
Il y a quelques semaines seulement, Jean-Pierre Felenbok a cédé la direction du bureau de Djakarta pour le poste de directeur général Asie du Sud-Est, basé à Singapour, un « hub » de quatre bureaux et de 300 personnes.
Un rôle de défricheur dans des régions en forte croissance
Une région en croissance à forts enjeux de développement pour Bain. « La spécificité de ces pays, c’est qu’ils sont relativement neufs, proposant de multiples défis, avec des opportunités de croissance exponentielles pour les entreprises. C’est extrêmement stimulant. »
D’autant plus qu’il ne se contente pas du management, il continue à conseiller des clients selon le bon principe affiché urbi et orbi chez Bain selon lequel « le travail des partners, c’est 95 % chez les clients et 5 % de management ».
Dans cette grande région qui explose économiquement, avec des pays qui connaissent des taux de croissance de 5 à 8 % par an, pour certains en développement, et d’autres, déjà ancrés à l’international, les nouvelles opportunités pour le cabinet « tendent vers l’infini » dans des secteurs très porteurs : la grande consommation, les services, les ressources minérales et agricoles.
Des clients très diversifiés
Les clients de Jean-Pierre Felenbok ? Des groupes tournés vers le commerce international, comme l’Indien Flipkart, le Uber de l’Asie, Grab, ou de l’hôtellerie de luxe, avec OYO. « En Asie, la typologie des entreprises que nous accompagnons est très différente de celles que nous connaissons en Europe ou aux États-Unis. On y trouve de nombreux conglomérats, très diversifiés, souvent à actionnariat familial, comme ceux qui pouvaient exister en Occident il y a quelques décennies. J’ai par exemple comme client un empire industriel qui propose à la fois de l’assurance-vie, de l’immobilier, de la production d’ananas, de l’élevage de bétail… »
La région offre également un contact rapproché, sans doute plus qu'ailleurs, avec de grands capitaines d’industrie. « J’apporte ma connaissance des économies et des industries plus matures, et en même temps, je me sens en permanence en apprentissage auprès de ces tycoons. Mon rôle est avant tout de les aider à anticiper les transformations. C’est une expérience unique par rapport à un mode de gestion plus encadré, plus prudent. »
Son parcours d’Européen à l’international est plutôt une force... mais ne va pas sans défis importants. Le premier d’entre eux est de s’adapter à la culture et aux process asiatiques. Il faut faire preuve de qualités tant professionnelles qu’humaines : humilité, ouverture d’esprit, curiosité sans faille, écoute indéfectible sans a priori, capacité d’adaptation permanente.
« Les Indonésiens ne souhaitent d’ailleurs pas qu’il y ait uniquement des locaux parmi les consultants. Ils trouvent plus intéressant d’avoir un regard extérieur, avec des expériences diverses et variées, qu’un seul effet de loupe. »
Peu de Français
Pourtant, dans le « melting pot » de nationalités qui composent ce bureau régional, Indiens, Malais, Vietnamiens, mais aussi Européens, Suisses, Allemands, il est lui-même surpris que les Français soient si peu représentés.
Pourquoi ? Manque d’intérêt pour cette région, gap culturel trop important, peur de l’inconnu, manque d’adaptabilité… ?
Jean-Pierre Felenbok n’avance pas d’explications rationnelles. Ce n’est pas faute de sa part de faire du « prosélytisme » pour cette région auprès des consultants en demande de mobilité, et tout particulièrement auprès des Français !
Doubler les activités de Bain en Asie
Après trente-huit ans de carrière, Jean-Pierre Felenbok est d’ailleurs plus convaincu que jamais des vertus de l’international dans le parcours d’un consultant en stratégie. La mobilité est un facteur clé, encore plus aujourd’hui qu’hier. Parce que « dans ce monde ouvert et globalisé, le travail est beaucoup plus pertinent s’il est enrichi d’expériences diverses ».
Et cela se confirme. Singapour est aujourd’hui l’un des bureaux les plus demandés par les consultants de Bain ou par ceux qui rejoignent le groupe. Sa direction de l’Asie du Sud-Est a par ailleurs vocation à continuer à se développer très rapidement.
De quatre bureaux à l’heure actuelle, Singapour et Djakarta donc, Bangkok et Kuala Lumpur, l’entité asiatique veut déployer dans les années à venir d’autres bureaux, au Vietnam ou aux Philippines notamment.
Avec un tel parcours, Jean-Pierre Felenbok reconnaît avoir reçu de nombreuses sollicitations d’autres cabinets. Mais rien qui ne correspondait à ses aspirations. « Les capacités d’évolution, de renouvellement de carrière à l’international sont assez uniques chez Bain. »
À 63 ans, il compte terminer sa carrière en Asie après avoir réussi son ultime challenge pro : doubler la taille de l’entité régionale.
Par Barbara Merle pour Consultor.fr
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaire (0)
Soyez le premier à réagir à cette information
Manuel de survie
- 29/11/24
Depuis 2022, le phénomène des salariés « boomerang » est largement relayé dans les médias en contrepoint de celui du big quit. Certains experts RH en font un nouveau levier de gestion des talents. Valable dans le conseil en stratégie ?
- 18/11/24
Un nouveau barème de couleurs commence à fleurir sur les CV des consultants McKinsey. À quoi correspond ce système d’unification des « niveaux d’impact » individuels, précisément ?
- 28/10/24
La crise sanitaire l’a montré : c’est possible. Mais est-ce souhaitable ? Dans le conseil en stratégie, le télétravail suscite depuis 4 ans des annonces régulières d’un « retour au bureau », comme dans beaucoup de professions intellectuelles supérieures. La réalité est plus nuancée.
- 02/09/24
Première femme indienne à avoir été élue partner chez McKinsey en 1985, Chandrika Tandon fait résonner sa voix dans de multiples domaines.
- 29/08/24
A 37 ans, Paul Ricard, partner d’Oliver Wyman aux US, vient de se voir confier un challenge d’envergure : prendre la tête de la practice assurance et gestion d'actifs pour l’ensemble de la région Asie-Pacifique à Singapour. Particularité de ce Français né dans l’Aveyron, consultant de la firme depuis 2011 : il a, durant ces 14 années, évolué uniquement hors de France : aux US, dans les bureaux de New-York puis de San Francisco.
- 19/07/24
Plusieurs cabinets de conseil en stratégie accompagnent leurs consultants désireux de suivre des formations certifiantes. Dans quel contexte, et pour quels bénéfices ?
- 16/07/24
Selon les senior partners de Kéa, Arnaud Gangloff et Angelos Souriadakis, le métier de consultant en stratégie a profondément muté ces dernières années.
- 16/02/24
Les coûts et les gains de productivité induits par l’intelligence artificielle vont-ils conduire à une refonte des modèles de tarification des missions de conseil en stratégie et une évolution de la relation aux acheteurs ? Pour certains, que nenni. Pour d’autres, évidemment. Entre deux, plusieurs cabinets s’interrogent.
- 26/01/24
Chacun sa route, chacun son chemin, chacun la mission de conseil qui lui convient ? Si cette envie de satisfaire les consultants dans les attributions de clients et de sujets entre les consultants des cabinets de conseil en stratégie peut paraître tentante, sa mise en œuvre est beaucoup plus nuancée.