le media indépendant du
conseil en stratégie

icone burger fermee

rechercher sur le site

icone recherche
Featured

Expérience vs jeunisme : le conseil en stratégie face à son paradoxe

En matière de lutte contre les discriminations, le conseil en stratégie a fait des efforts reconnus et documentés ; mais qu’en est-il de l’âge, sujet traditionnellement délicat dans le secteur ? Nous avons posé la question à des recruteurs (NC Partners, Wit Associés) et à des cabinets (Circle Strategy, Advention) ; et nous avons regardé les chiffres.

Bertrand Sérieyx
21 Fév. 2025 à 12:00
Expérience vs jeunisme : le conseil en stratégie face à son paradoxe
© Edwin Butter/Adobe Stock

Le vieux consultant en stratégie est comme un grand cru millésimé : rare et cher. Il est aussi l’enjeu de représentations fortement contradictoires. « Sur le marché du recrutement des consultants en stratégie, un âge un peu avancé fait peur », estime Rémi Salmeron, directeur chez Wit Associés, cabinet de chasse spécialisé dans le secteur (dont deux associés sont actionnaires à titre personnel de Consultor). « Il n’est pas rare que les candidats les plus âgés omettent d’indiquer leur date de diplôme sur LinkedIn ou ne renseignent que leur dernière expérience professionnelle. » Le coût, la perte de dynamique, le mindset plus prudent font partie des raisons invoquées pour cette réticence. S’y ajoute, pour ceux qui sont restés manager ou principal un peu trop longtemps, le soupçon d’« un manque d’impact commercial – soit que le consultant n’aspire pas à vendre, soit qu’il n’y arrive pas ».

À l’inverse, l’âge est synonyme d’expérience et d’expertise, des denrées rares et prisées des clients. Pour Jean-Marc Liduena, CEO de Circle Strategy, « le consultant en stratégie se bonifie avec l’âge. Il gagne en expérience, en connaissances, en portefeuille de clients, en sujets connus. Il en sait plus et mieux ». Comme souvent, les deux termes de la contradiction sont vrais. Comment celle-ci se résout-elle sur le terrain ?

Que disent les chiffres ?

Comme nous l’avions fait en 2021, nous avons analysé les données relatives aux associés des cabinets actifs en France. Attention, ces chiffres donnent des ordres de grandeur : ils sont fondés sur des âges estimés en fonction de l’âge au diplôme.

les associés par tranches dâge

Source : base des associés, Wit Associés, 2025

Premier constat, à partir des données de 26 cabinets portant sur 508 associés : les plus de 50 ans représentent tout de même plus de 4 associés sur 10, même si leur nombre va en déclinant très nettement après 55 ans. C’est une proportion sensiblement supérieure à ce qu’on rencontre (selon l’INSEE) dans la population en emploi (où 30 % des individus ont 50 ans et plus). Et c’est exactement le même chiffre que celui des « dirigeants et professionnels de haut niveau » (où 41 % ont 50 ans et plus). Sociologiquement, ce dernier segment peut être considéré comme la population de référence des consultants en stratégie. Les partners au moins quinquagénaires ne sont donc pas moins nombreux que leurs pairs des professions comparables. Même si, vraisemblablement, la courbe s’infléchit plus rapidement pour les partners que pour les autres au-delà de 55 ans.

Par rapport à 2021, nous observons également un vieillissement sensible : l’âge moyen passe de 45,7 à 47,8 ans, la médiane s’établissant à 47 ans. Et beaucoup d’associés ont franchi dans l’intervalle la barre des 50 ou 60 ans.

Pour autant, la prédominance des quadragénaires, moins marquée qu’il y a 4 ans, reste frappante. 43 % des partners s’inscrivent dans cette tranche d’âge, contre 27 % des dirigeants et professionnels de haut niveau. Les trentenaires, enfin, sont plus rares (16 %, contre 23 % de la population de référence), et fortement concentrés dans la seconde moitié de la décennie (35-39 ans). L’associé de 35-49 ans reste la figure dominante du métier, plus que dans tout autre secteur.

associés vs population

Sources : INSEE 2023 (population en emploi, dirigeants et professionnels de haut niveau), Wit Associés 2025 (associés des cabinets de conseil en stratégie)

Enfin, comme en 2021, nous avons compilé les âges moyens, minimum et maximum des associés pour les cabinets arrivés en tête de notre classement (les 10 premiers en 2021, les 12 premiers cette année, en excluant GSG pour qui nous n’avions pas les données).

à lire aussi

age associés par cabinets

Source : base des associés, Wit Associés, 2025

La grande diversité des pratiques et des histoires apparaît ici clairement, avec des moyennes d’âge s’échelonnant de 44 (Accuracy) à 54 ans (Kéa), et des amplitudes variant de 10 (Accuracy encore) à 32 ans (Roland Berger). Des MBB, BCG et McKinsey se distinguent par des âges moyens plus bas que la moyenne (45 ans) et des jeunes associés plus précoces (33-34 ans). Les associés de Bain sont un peu plus seniors (49 ans en moyenne). Sans surprise, le vieillissement observé sur l’échantillon global se retrouve à l’échelle des cabinets.

Comment ces évolutions sont-elles ressenties sur le terrain ?

Un cursus honorum toujours très structurant

La toile de fond reste la hiérarchie immuable des grades, animée par les règles du time in grade (temps minimal entre deux grades) et du up or out (on progresse ou on s’en va).

Pour Pascal Colson (Managing Partner du cabinet de recrutement NC Partners), il s’agit avant tout de règles tacites plutôt bien acceptées par tous. Beaucoup de jeunes diplômés font encore leurs classes pendant 2 ou 3 ans avant de partir ailleurs, le conseil en stratégie jouant son rôle de « 4e cycle » de formation. Il arrive cependant que les victimes du « out » s’en plaignent : « Les collaborateurs des cabinets de conseil en stratégie sont tous passés par de très bonnes écoles, ils ont des parcours brillants et n’ont jamais connu l’échec ; certains vivent mal » ces départs plus ou moins forcés.

Jean-Marc Liduena critique cette approche, qu’il estime « un peu passée de mode. Il y a aujourd’hui un attrait des jeunes pour des parcours tout aussi exigeants, mais aussi plus flexibles et entrepreneuriaux. Nous venons de promouvoir un consultant de 29 ans au grade de principal : nous ne voyons pas de raison de ne pas le faire à partir du moment où il en a le niveau. » C’est ce que Jean-Marc Liduena appelle le « perform and up ». Néanmoins, ceux qui veulent progresser à leur rythme le peuvent également. À l’inverse, « un consultant senior peut très bien vouloir rester consultant senior un temps, voire s’orienter vers un track expertise, ce n’est pas un problème ». Alban Neveux, CEO d’Advention, a la même expérience. « Nous avons toujours considéré nos règles en matière de rythme de progression de carrière comme indicatives. Si quelqu’un est très bon, pourquoi ne pas le faire avancer beaucoup plus vite ? » Il est vrai que l’un comme l’autre, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, dirigent des cabinets de taille intermédiaire, qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes organisationnelles que les grands.

Ce n’est pas aux vieux sages qu’on apprend à faire du conseil

Traditionnellement, il est difficile de prendre le train du conseil en route. À cet égard, le marché a-t-il changé ? « Assez peu, à mon avis, estime Jean-Marc Liduena. Les cabinets embauchent toujours essentiellement des jeunes diplômés, à côté de quelques industry hires, des profils ayant un peu d’expérience hors du conseil, dans un secteur précis. Mais ceux-ci ont le plus souvent moins de 30 ans. » Jean-Marc Liduena lui-même est une exception à cette règle, puisqu’il est entré dans le conseil en stratégie à 36 ans après une carrière de dirigeant chez Unilever.

Pourquoi ces parcours semblent-ils beaucoup plus rares dans le conseil en stratégie qu’ailleurs ? Le principal obstacle est culturel, estime Jean-Marc Liduena. « Les codes, la culture, les façons de travailler sont très différents. » Le contexte de travail joue un rôle majeur. « Dans le corporate, quand vous êtes cadre dirigeant, vous travaillez avec des équipes importantes. Dans le conseil en stratégie, vous travaillez en petites équipes – le plus souvent, un manager et deux ou trois consultants. » La temporalité du travail n’est pas non plus la même. En entreprise, les missions s’inscrivent dans le temps long. En cabinet de conseil en stratégie, « les missions peuvent être courtes, souvent 4 à 6 semaines. À chaque fois il faut changer de marque, d’interlocuteurs, d’équipe, souvent de secteur. De plus, vous managez des jeunes extrêmement brillants, qui se demandent ce que vous pouvez leur apprendre. » Des difficultés qu’Alban Neveux résume en quelques mots : « Quelqu’un qui a travaillé 20 ans dans l’automobile est un très bon expert métier, mais il n’est pas expert en conseil… Or, le conseil est un vrai métier. » Mais le néo-consultant a un avantage, qu’il doit savoir mettre en valeur : souvent, il a été client du conseil !

Par ailleurs, les clients des cabinets ont aussi besoin d’expertises pointues. « Les clients sont de moins en moins en demande de multigénéralistes, analyse Pascal Colson. Ils veulent des spécialistes, des experts qui maîtrisent bien un sujet. En réponse, les cabinets tendent à spécialiser les consultants de plus en plus tôt, mais ils vont également chercher des collaborateurs qui ont déjà quelques années d’expérience sur des sujets précis. Cela permet de former des équipes qui combinent des consultants “classiques”, qui génèrent beaucoup d’idées, avec des spécialistes qui savent comment cela fonctionne dans la vraie vie. »

De plus en plus, les grands cabinets entretiennent donc, en parallèle de la carrière de consultant proprement dit, une filière « experts ». « Ces collaborateurs n’ont pas d’objectifs de vente, ils ne sont pas appelés à devenir associés equity ; ils apportent leur expertise, leur savoir. Ils peuvent être plus seniors que les autres, cela ne pose pas de problème ; ils se situent hors de la logique up or out. Mais ils représentent une extrême minorité des effectifs des cabinets de conseil en stratégie, 5 % au maximum, sans doute moins. » Un chiffre vraisemblablement appelé à augmenter, si l’on suit la logique du marché.

Des fins de carrière aménagées

Qu’en est-il de la mobilité des consultants en stratégie entre cabinets ? « Recruter un consultant expérimenté est beaucoup plus simple. Mais encore faut-il que la greffe culturelle prenne : les cabinets ont tous des cultures différentes », confie Jean-Marc Liduena. Autre challenge : le transfert du carnet d’adresses, qui n’est pas automatique. Les clients suivront-ils ? En tout état de cause, pour Pascal Colson, « si le partner est expert d’un sujet, qu’il est connu et reconnu, bien identifié chez les clients, il n’y a pas de problème pour le recruter jusqu’à 50 ans ». Au-delà, cela reste plus rare.  

À mesure que le consultant approche de la soixantaine, sa carrière prend de nouvelles formes. Certes, « dans les grands cabinets, il y a toujours un âge limite au-delà duquel il est recommandé de quitter le partnership. Cet âge varie en fonction des cabinets, entre 55 et 60 ans environ ». Les exceptions existent, plus nombreuses dans les petits et moyens cabinets. Quand ils s’en vont, les associés deviennent senior advisors, se mettent à leur compte, reprennent des entreprises, voire mettent en place un portfolio of activities qui panache différents engagements. Ces aménagements de fin de carrière sont pour l’essentiel bien accueillis par les intéressés, de l’expérience de Pascal Colson. Ne serait-ce que parce que « le conseil en stratégie est un métier très exigeant intellectuellement, mais aussi physiquement ».

Dans quel sens le vent souffle-t-il ? « En principe, juge Alban Neveux, dans le métier de consultant en stratégie, l’âge ne devrait pas être source de discrimination, au contraire. Les clients achètent de l’expertise et de l’expérience. L’intelligence artificielle va renforcer cette dimension, en facilitant certaines tâches, en particulier la recherche et l’analyse, qui sont des missions davantage accomplies par les juniors. Demain, il sera possible d’en faire plus avec moins de monde. Mais les prestations liées à l’expertise et à l’expérience ne seront pas remplacées. » Face à ces transformations, « vive la nouveauté, l’innovation RH et le perform and up ! » conclut Jean-Marc Liduena.

Advention Circle Strategy Alban Neveux Jean-Marc Liduena
Bertrand Sérieyx
21 Fév. 2025 à 12:00
tuyau

Un tuyau intéressant à partager ?

Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !

écrivez en direct à la rédaction !

commentaire (0)

Soyez le premier à réagir à cette information

1024 caractère(s) restant(s).

signaler le commentaire

1024 caractère(s) restant(s).
6 + 4 =

Manuel de survie

Adeline
Manuel de survie
carrière, conseil en stratégie, recrutement, mobilité, expérience, jeunisme, Wit Associés, Rémi Salmeron, NC Partners, Pascal Colson
14314
Advention Circle Strategy
Alban Neveux Jean-Marc Liduena
2025-02-21 09:37:23
0
Non
L’âge, un tabou dans le conseil en stratégie ?
Le conseil en stratégie valorise l’expertise, mais l’âge reste un sujet sensible. Les consultants seniors coûtent-ils trop chers ? Quels sont les chiffres du secteur et comment évoluent les carrières au sein des cabinets ? Recrutement, mobilité, expérience vs jeunisme : Alban Neveux d’Advention et Jean-Marc Liduena de Circle Strategy, ainsi que les recruteurs Rémi Salmeron et Pascal Colson, partagent leurs points de vue.
à la une / articles / Expérience vs jeunisme : le conseil en stratégie face à son paradoxe