Parité, diversité, éthique, carrière : interview-fleuve de la directrice de McKinsey en France
La directrice générale de McKinsey en France depuis 2 ans s’est livrée à un exercice d’interview à bâtons rompus dans le podcast Pause d’Alexandre Mars, patron touche-à-tout devenu philanthrope. Elle y évoque son parcours personnel, sa carrière dans le conseil, la perception juste et erronée de ce qu’est le conseil et ce qu’elle veut insuffler dans ses fonctions. Digest de l’interview.
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Entrée chez McKinsey comme consultante après sa sortie de HEC en 2000, elle a gravi tous les échelons de la firme, dont elle a été nommée partner en 2010.
Entre 2018 et 2021, elle devient membre du comex mondial, avant de prendre les rênes du bureau français (450 millions d’euros de chiffre d’affaires, 3 % de l’activité de McKinsey dans le monde) la même année.
Elle est aussi très identifiée pour ses engagements en faveur de la parité et de la diversité : dans un passé récent, elle s’est engagée dans le programme Women Matter du cabinet et au sein de Génération France, une ONG qui développe des programmes de formation visant à intégrer des jeunes éloignés du marché du travail.
Tout ceci est de notoriété publique.
Mais dans sa récente interview au podcast d’Alexandre Mars, elle en dit beaucoup plus.
Ses engagements
Sur elle, d’abord. Fille d’un professeur de lettres et d’une maman naturopathe, boursière, issue de Cergy-Pontoise, elle a un parcours qu’on qualifierait volontiers en France de méritocratique. Un de ses frères est psychologue, l’autre est magasinier-cariste après avoir s’être engagé dans l’armée et avoir servi en ex-Yougoslavie.
Elle dit être restée fidèle à son impulsion de préado qui voulait changer le monde. À 20 ans, elle part dans une léproserie indienne, ce dont elle garde des séquelles jusqu’à ce jour avec des accès de santé récurrents depuis, qui lui font régulièrement perdre beaucoup de poids. Elle garde aujourd’hui des engagements à la Croix Rouge ou chez S.O.S. Suicide.
Rapidement, il sera assez évident qu’elle est bonne élève. « Petite, je voulais changer le monde. À 10, 12 ans, je me disais qu’il fallait que j’étudie. Je me disais que si j’étudiais, je pourrais être dans des positions de pouvoir », témoigne-t-elle.
Enfant, elle est aussi très sportive, nage 4 heures par semaine et est envisagée un temps pour un sport-étude. Dont il ne sera finalement rien.
Tenir dans le conseil en tant que femme
Elle revient également sur ce que cela prend de faire carrière dans le conseil en stratégie pour une femme.
« C’est plus dur pour les femmes. En plus, si on choisit d’être mère, quatre fois me concernant. Mon métier est beaucoup un métier d’hommes. La barre est haute », dit-elle.
Elle a personnellement vécu quatre retours de congés mat’ chez McKinsey. Avec son lot d’acrobaties comme lorsqu’il lui fallait tirer son lait dans les toilettes du cabinet à New York où elle a passé un temps, et déposer le lait dans le mini-frigo d’un collègue compatissant faute de mieux. Ou de même, pour son dernier enfant, quand justement elle ne voulait plus tirer son lait, elle faisait quatre allers-retours en taxi-moto par jour pour allaiter son bébé.
Au quotidien, elle n’hésite pas à partager des petits trucs qui peuvent sembler anodins : « En réunion, vous ne vous levez jamais pour faire un café. Vous ne vous levez pas pour aller faire une photocopie s’il manque un document. Jamais vous n’allez faire les branchements ou je ne sais quoi. Parce que c’est hyper juniorisant. Quand vous revenez, vous avez loupé le petit chit chat de début de réunion et vous n’êtes pas dedans. »
Parité, diversité : comment la DG France essaie d’agir
Un sujet de prise en compte de la parité et de la diversité dont elle essaie de faire une politique depuis qu’elle est aux manettes. Selon elle, McKinsey France recrute 100 à 150 personnes par an et reçoit 12 000 candidatures par an (un million dans le monde).
Si 90 à 95 % de ces recrues restent issues de quelques (4 ou 5) prestigieuses écoles de commerce et d’ingénieurs très sujettes à la reproduction sociale, Clarisse Magnin-Mallez explique pousser l’ouverture vers d’autres profils, des doctorants, des designers, des data scientists.
Selon elle, se refuser à corriger un certain nombre de biais qui empêchent l’accès de plusieurs catégories de personnes à certains marchés de l’emploi par peur d’atteindre à la méritocratie est un contresens à la française.
Avant d’ajouter : « Tout le monde passe les mêmes entretiens, se fait staffer sur les mêmes projets et évaluer de la même façon. Et ce n’est pas parce qu’on est gay, noir ou first generation que ça va être plus facile. »
Conseil : le métier incompris
Autre volet du podcast : la compréhension du métier de consultant. Elle est faible, voire nulle, à l’entendre. « Les gens ne comprennent pas notre métier. Dans ma famille, les gens ne le comprennent toujours pas », s’étonne-t-elle.
Clarisse Magnin-Mallez date le début de l’essor du conseil aux années 1970, un secteur qui s’est beaucoup diversifié comme l’illustrent les nombreuses « adjacences » développées par McKinsey dans le design, le digital, les opérations, la transformation, l’IT. « On fait aussi beaucoup de conseil en transformation, en opération, beaucoup de missions dans les usines, beaucoup de conseil en informatique », énumère-t-elle.
Elle rappelle aussi que « le dirigeant est assez seul face à sa décision ». Le rôle de McKinsey ? « On amène des faits, de l’indépendance, de meilleures pratiques », résume-t-elle.
Les caricatures qui font du consultant une personne à qui vous passez votre montre pour qu’il vous donne l’heure, elle les juge « blessantes ». « Je donne souvent des parallèles : quand tu divorces, quand tu as un problème de copropriété. Personne ne se pose la question du fait que tu vas avoir besoin d’un avocat. Et que cet avocat ne va pas être gratuit et que tu en as besoin parce que son expertise n’est pas la tienne. »
La preuve, pour elle, est que « quasi toutes les entreprises du CAC40 » font appel à des consultants en stratégie, « avec des budgets plus ou moins élevés ».
Les casseroles
La direction générale de Clarisse Magnin-Mallez a évidemment été marquée par la plus forte crise réputationnelle de l’histoire du cabinet, mis au pilori en France pour son rôle dans la campagne de vaccination anti-covid, pour sa proximité avec le président de la République Emmanuel Macron ou encore pour ses missions dans le service public.
Un épisode lourd à porter, comme elle en témoigne : « Ce fut dur pour nos collaborateurs, et pas que les partners. Des gens à la compta, aux services généraux. Je venais de prendre mon poste, depuis à peine 4 mois. Un rapport sénatorial sort qui est très documenté. Mais ce qui sort dans les journaux, c’est McKinsey et le milliard d’euros. Alors que nous concentrons 10 millions d’euros de dépenses de conseil sur le milliard d’euros en question. Mais 99,9 % des articles et des tweets sont pour nous. Et, cela, tu as beau le corriger, on a essayé de faire des communiqués, on n’a pas refusé de parler aux journalistes, il n’y a plus de rationalité. »
Sur les présomptions d’optimisation fiscale irrégulière dont la justice et l’administration se sont saisies et qui ont valu au bureau de Paris une perquisition, elle réitère des arguments déjà avancés par le passé : si McKinsey paie peu ou moins d’impôts sur les sociétés en France, c’est que le marché du conseil y est plus concurrentiel qu’ailleurs ; ou encore que le coût du travail en France est supérieur à la moyenne européenne.
Pourquoi pareille focale sur un seul cabinet ? Elle se l’explique par son siècle d’existence, son influence, la prépondérance du McKinsey Global Institute, un des plus gros think tanks au monde. Mais également par une dose de mystification : « Il y a une mystification de ce qu’est McKinsey, comment on y rentre et ce qu’on y fait. »
Paradoxalement, elle considère que ces polémiques ont pu bénéficier à la notoriété de la firme. « Les recrutements ont fait +50 % », défend-elle.
D’autres moments n’ont pas été évidents à vivre, tout particulièrement sur le plan éthique comme lorsque l’ancien managing partner de la firme a été condamné à de la prison pour délit d’initié.
Pour elle, ces scandales éthiques relèvent de problèmes de « probité individuelle » qui n’incluent pas les 2 500 partners et 37 000 salariés du cabinet dans le monde.
Paris 2024
Si on savait que McKinsey était intervenu pro bono en faveur de la candidature de Paris pour l’accueil des Jeux olympiques de 2024, Clarisse Magnin-Mallez détaille à quel point elle s’est investie dans le sujet en 2016, n’hésitant pas à y consacrer une réunion hebdomadaire aux côtés de Marie Barsacq Beaudou, la directrice exécutive Impact et héritage de Paris 2024, et à associer plusieurs collaborateurs du cabinet, plusieurs dizaines ayant accepté.
Pour la suite de sa carrière, la dirigeante n’exclut rien. Elle pourrait rester encore longtemps chez McKinsey ou tenter toute autre chose en lien avec la transmission, sujet qui lui est cher.
Elle pourrait aussi prendre des fonctions de direction d’entreprise. Dans ce cas, elle l’affirme haut et fort : elle ferait à son tour appel à des stratèges. « Et je saurais très bien qui appeler. »
Note : Alexandre Mars est le fils de Dominique Mars, le fondateur du cabinet de conseil en stratégie Mars & Co.
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