Parole de consultant – L’X, Bercy puis A.T. Kearney : « Plus personne ne m’attend à mon bureau le doigt sur la montre »
À 33 ans, polytechnicien, féru d’économie dont il est multidiplômé, Adrien Tenne est arrivé il y a un an seulement dans le monde du conseil chez A.T. Kearney, après six années dans la haute administration des finances publiques à Bercy et à la Banque de France.
L’ingénieur y découvre une organisation loin des clichés qu’il pouvait avoir en tête : horizontale, souple sur les horaires, pas « bullshit ».
Formation
- 2004-2007 : Classe préparatoire scientifique, lycée Louis-Le-Grand
- 2007-2011 : École Polytechnique
- 2010-2011 : MsC Finance & Economics, London School of Economics and political science
- 2011-2012 : Bachelor, Law degree, Paris I Panthéon Sorbonne
- 2011-2012 : Master, International Economics, Paris School of economics
- 2007-2011 : Master Econometrics and quantitative economics École nationale de la statistique et de l’administration économique (2011-2012)
Parcours professionnel
- 2012-2014 : Direction générale du Trésor au ministère des Finances
- 2014-2017 : Agence des participations de l’État (APE)
- 2017-2018 : Banque de France
- Depuis novembre 2018 : manager chez A.T. Kearney
Consultor : On peut dire que votre formation initiale, au demeurant impressionnante, ne vous menait pas naturellement vers le conseil…
Adrien Tenne (A. T.) : C’est vrai, j’ai depuis longtemps une appétence personnelle pour l’économie et la finance. En fait, je n’avais pas d’idées de métier en particulier. J’ai suivi un cursus varié en me disant que tant que j’avais le choix de ne pas faire de choix, je pouvais poursuivre mes études dans des domaines qui me plaisaient. Une fois en école d’ingénieur, j’ai développé un véritable intérêt pour les maths et les aspects techniques de l’économie. C’était plutôt un challenge intellectuel qu’une vocation professionnelle. À la sortie de l’X, l’heure du choix étant venue, je me suis orienté vers le service public, pour lequel j’ai un attachement tout particulier. J’avais en quelque sorte envie de rendre ce qui m’a été donné. Et puis, mes parents travaillent tous deux pour l’Éducation nationale, ma mère, en tant que prof, mon père, du côté de l’administration. Mes opportunités de début de carrière ont été en prise avec la décision publique, dans le domaine de la modélisation économique et financière. J’ai commencé par la direction générale du Trésor, puis l’Agence des participations de l’État (APE) et enfin la Banque de France…
L’appel du conseil
À un moment donné, j’ai eu envie de me challenger, d’apprendre à travailler plus souvent en équipe et de découvrir de nouvelles façons d’appréhender des problématiques complexes. J’ai alors envisagé le monde du conseil. J’y connaissais plusieurs personnes, particulièrement chez A.T. Kearney. J’ai postulé auprès de différents cabinets. J’avais des prérequis concernant le type de cabinet que je souhaitais rejoindre : une firme qui puisse articuler des missions de stratégie d’ampleur, qui offre une ouverture à l’international et qui soit plutôt dans le haut du panier. Après j’ai choisi en fonction des personnes que j’ai rencontrées et l’envie de rejoindre une équipe et un groupe de personnes. Ce fut effectivement un grand changement pour moi. J’ai ainsi eu le sentiment de vraiment découvrir le travail en équipe auquel j’aspirais ! J’ai finalement opté pour A.T. Kearney, car, au-delà de tout cela, le cabinet m’a m’intégré directement au niveau correspondant à mon expérience professionnelle : A.T. Kearney a prouvé sa confiance en mon potentiel en me recrutant au poste de manager. J’ai bénéficié d’un véritable accompagnement, très bienveillant, pendant six mois durant lesquels j’ai pu comprendre les responsabilités inhérentes à chaque grade, les attentes particulières quant au rôle de manager et les codes du conseil pour m’intégrer rapidement. C’était un vrai pari et une reconnaissance de mon expérience, quand les autres cabinets restaient dans un schéma classique : venant d’un autre environnement professionnel, on m’y proposait généralement de rentrer comme consultant plus junior, sans véritable reconnaissance particulière de mes compétences.
Consultor : Qu’avez-vous découvert dans ce nouveau métier et qu’avez-vous apporté avec votre expérience professionnelle déjà conséquente ?
A.T. : Avec mon expertise dans l’univers financier, on m’a confié six ou sept missions, de durées standards de six à huit semaines, d’abord dans les services financiers bien sûr. Mais l’objectif était que j’aborde divers secteurs pour apprendre le métier, même si dans l’avenir, il est très probable que j’aille de plus en plus vers les services financiers. Ma formation et mon expérience m’ont aidé à aborder le rôle de consultant. J’avais déjà acquis une certaine capacité à synthétiser l’info et à analyser les dossiers, à prioriser les choses, à prendre des décisions qui ont des répercussions importantes sur le projet et les équipes, et à savoir dire non quand on ne sait pas ou que l’on ne peut pas. Ma spécialité (les services financiers donc) réclame beaucoup d’exigence, car il y a de nombreuses lignes de force en jeu ainsi que des contraintes spécifiques et complexes, que l’on doit prendre en compte pour comprendre ces problématiques. C’est aussi un domaine en plein bouleversement et à réinventer : cela rend l’exercice intellectuel passionnant.
Un nouveau métier plus « horizontal »
J’ai découvert un univers beaucoup plus horizontal que ce à quoi je m’attendais. Toutes les personnes de l’équipe projet ont voix au chapitre, c’est nouveau pour moi et très agréable. J’ai également appris, et j’apprends encore bien sûr, toute la partie management depuis avril dernier lorsque j’ai pleinement pris mes responsabilités de manager. Je suis en apprentissage perpétuel en fait ! C’est un exercice très particulier, car nous formons des équipes pour des projets de courte durée et nous devons être capables de travailler rapidement et tout le temps avec des personnes que l’on ne connaît pas forcément et aux profils multiples. Le métier de consultant requiert des qualités bien spécifiques : il faut savoir s’intégrer avec de multiples contreparties, les clients comme les équipes, comprendre les impératifs et les besoins de chacun. Cela nécessite de la plasticité et accepter de se remettre en cause. Ce qui m’intéresse, c’est la capacité à faire surgir une solution non encore identifiée et originale, coconstruite à partir d’une information pourtant a priori à la disposition de tous. C’est un moment que j’aime particulièrement. Ce métier exige aussi de maintenir sans cesse nos connaissances à niveau, ne jamais rester sur ce que l’on sait, garder son cerveau en état de veille et rester en permanence en situation d’apprenant.
Consultor : Avez-vous également découvert un autre monde en termes de charge de travail ?
A.T. : Non, pas vraiment. À la direction générale du Trésor ou à l’APE, nous avions aussi des temps contraints pour des projets importants. Ce qui change, en revanche, c’est que j’ai beaucoup plus d’autonomie dans mon travail – personne ne m’attend à mon bureau le doigt sur la montre – et dans l’organisation du calendrier. Par ailleurs, il n’y a pas au sein du bureau la culture du « face time » où il est bien vu d’arriver tôt et de rester tard. C’est même plutôt considéré comme un manque d’efficacité en fait. J’ai donc la plupart du temps des horaires assez classiques à Paris. Et comme je fais beaucoup de course à pied, cela me permet d’en faire quasiment tous les soirs.
Du temps libre pour rester ouvert au monde
Comme j’adore échanger, je continue à être présent dans certains cercles, comme BSI Economics, le think tank de jeunes économistes dont je fais partie depuis quelques années. J’ai ainsi une autre ouverture intellectuelle sur le monde, une réflexion économique plus globale. Je suis également investi dans les actions du cabinet auprès des grandes écoles. Aujourd’hui, nous y allons régulièrement pour des rencontres informelles, pour présenter le métier, le cabinet, donner envie à des étudiants, comme moi lors de mes études, de s’intéresser à cette possibilité de carrière.
Consultor : Vous projetez-vous dans ce métier dans les prochaines années ? En voyez-vous d’ores et déjà les limites ?
A.T. : Au bout d’un an, il m’est facile de confirmer que je serai encore dans ce métier d’ici quatre à cinq ans. J’ai vécu une montée en compétences très rapide, mais j’ai encore beaucoup de choses à apprendre et à réaliser. J’avais comme beaucoup d’élèves ingénieurs une image erronée du métier de consultant. Il est vrai que le conseil peut avoir mauvaise presse dans les écoles d’ingénieurs, car il y est considéré comme trop généraliste, au pire « bullshit »… J’expérimente en cabinet le fait qu’il n’y a ni sacrifice de la précision et de l’exigence intellectuelle ni celui de la rigueur et de la technicité. Un ingénieur de formation est d’un réel intérêt pour le conseil en stratégie grâce à ses connaissances et compétences techniques. C’est un secteur où les ingénieurs peuvent s’épanouir professionnellement sur le long terme. Je n’exclus pas pour autant, plus tard, de retourner dans la finance que ce soit dans la sphère publique ou dans le privé.
La frustration d’en rester aux recommandations
Une des limites, c’est la question du déploiement concret au-delà de la recommandation. Les missions d’appui à la décision finale sont nombreuses, mais c’est à l’entreprise cliente in fine de déployer la décision retenue avec tous les challenges que cela implique. Il peut y avoir une certaine frustration de ne pas aller jusqu’au bout des choses. Je me demande également si cela ne peut pas parfois conduire à mal appréhender les difficultés des solutions proposées. Un exemple très simple : il est facile de donner sur PowerPoint des dates et une timeline, mais dans l’environnement complexe d’une entreprise, c’est autre chose.
Propos recueillis par Barbara Merle pour Consultor.fr
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