Quand l’unité anti-crash industriel de Bercy en appelle aux consultants
Au sein de la direction générale du Trésor, le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), régulièrement sollicité par des entreprises en difficulté, collabore parfois avec des consultants en stratégie.
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Au côté de la délégation interministérielle à la transformation publique et de l’Agence des participations de l’État, qui sont parmi les plus gros pourvoyeurs de missions de conseil avec le ministère de la Défense en France, le CIRI est l’une des portes d’entrée des consultants dans le secteur public.
Comment et quand le CIRI collabore-t-il avec des cabinets de la place ? Voici quelques réponses glanées à Bercy.
Mai 2018, le volailler Doux est repris pour la troisième fois en cinq ans. Le tribunal de commerce de Rennes tranche en faveur d'un consortium emmené par le groupe LDC (Loué, Le Gaulois...).
Quelques mois plus tard, autre entreprise, même scénario. Le tribunal de commerce d’Évry (Essonne) désigne Jellej Jouets (détenue à 90 % par le fonds américain Cyrus Capital), associée à l’enseigne nordiste du jouet Picwic, pour reprendre la société Toys’R’Us France, en redressement judiciaire, et ses magasins dans lesquels travaillent 1 100 salariés en contrat à durée indéterminée.
Entre ces deux entreprises, aucun lien. Hormis le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), l’unité de Bercy qui fêtera bientôt ses quatre décennies d’existence (création en 1982).
Le CIRI, un service gratuit destiné aux entreprises qui le saisissent, poursuit deux objectifs principaux : défendre les intérêts de créanciers publics et essayer de faire émerger un accord équitable, avec au besoin le recours à des consultants externes.
Doux, Toy'R'Us, Tati, William Saurin : tous sont passés par le CIRI
L’an dernier, son secrétaire général Louis Margueritte (X 2007), et son équipe de cinq rapporteurs ont été sollicités par vingt-huit nouvelles entreprises engagées dans une procédure préventive (mandat ad hoc, conciliation ou sauvegarde) – dont Doux et Toys’R’Us.
Le comité se prévaut d’avoir contribué à la préservation de 22 910 emplois cette année-là. La méthode est toujours la même. Un cas d’entreprise en difficulté qui compte au moins 400 salariés est signalé au CIRI, par des administrateurs judiciaires ou des commissaires aux comptes par exemple, qui reçoit le dirigeant.
Le CIRI enfile alors des habits de médiateurs. Il réunit toutes les parties prenantes (entreprise, banques, créanciers) dans un bureau du 4e étage du bâtiment Colbert, l’un des nombreux édifices du dédale de Bercy. Tati ou la Financière Turenne Lafayette (William Saurin et Garbit) sont aussi passés sur le billard du CIRI, lors de ces réunions de la dernière chance toujours extrêmement confidentielles et souvent nocturnes.
L’objectif est alors de donner de l’air à une entreprise sous pression. Ce qui peut passer par une renégociation des échéances de prêts auprès de banques, des échéances sociales et fiscales auprès de l’Urssaf ou du Trésor, ou la recherche d’un repreneur.
Comme dernièrement avec Doux où le CIRI avait aussi mis sur les rangs le volailler ukrainien MHP, finalement écarté par le tribunal de commerce. Le plus souvent, faute de données récentes ou de données suffisamment objectives faites en dehors de l’entreprise, cette démarche passe par une Independant Business Review, une revue du plan d’affaires d’une entreprise en difficulté.
Quand les consultants entrent en piste
« L’idée est de challenger les prévisions de trésorerie et le modèle économique d’une entreprise en retournement », explique Louis Margueritte. Pour le volet financier, il y a les incontournables : les Big Four, Eight Advisory, Accuracy, AlixPartners…
Mais aussi, ponctuellement, « sur quelques dossiers par an » selon Louis Margueritte, le CIRI fait appel à des cabinets de conseil en stratégie. Bercy ne les mandate pas directement mais peut les suggérer aux entreprises.
« Libre ensuite aux entreprises de choisir le cabinet qui leur semble le plus pertinent, de le mandater ou pas », appuie Louis Margueritte. Parmi les cabinets souvent vus ces dernières années au CIRI figurent au premier chef McKinsey et le BCG, mais aussi Advancy.
« Ils vont évaluer tout ce qui n’est pas financier : le positionnement stratégique de l’entreprise, son avantage concurrentiel ou la pertinence de la transformation envisagée », détaille Louis Margueritte.
Ce que confirme Éric de Bettignies, l'associé fondateur d'Advancy. « Nous sommes très volontiers consultés par le CIRI. Bercy apprécie, lorsque les dossiers deviennent plus complexes, l'apport d'un avis externe solide sur la viabilité stratégique de telle ou telle entreprise, l'opportunité de poursuivre telle ou telle activité », dit-il. Chez Advancy, il n'y a pas un référent secteur public qui gérerait les relations avec le CIRI. Les consultants, fonction de l'entreprise en difficulté et de leur domaine d'expertise, peuvent participer à l'une des réunions de la dernière chance et à forte pression au ministère de l'Économie. « Si vous n'aimez pas la pression, changez de métier », s'amuse Éric de Bettignies, au sujet de ces réunions mêlant toutes les parties prenantes des entreprises à sauver.
Autre obligation des passages à Bercy, « l'extrême confidentialité, ajoute Éric de Bettignies. Parce qu'on a vite fait de perdre un fournisseur si la réputation de la société est dégradée. » L’équilibre précaire nécessaire au sauvetage d’une entreprise en difficulté peut rapidement être mis en péril.
Un micro-filon porteur
Le micro-filon n’est en tout cas pas amené à se tarir pour les cabinets de conseil. Car si le total des défaillances d’entreprises baisse (– 2,7 % sur douze mois selon les chiffres de l’Insee de septembre), la pile de dossiers qui arrivent au CIRI grimpe : quarante dossiers en 2018. Automobile, métallurgie, agroalimentaire sont particulièrement candidats à l’assistance du CIRI. Et, avec lui, à celle des consultants.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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