Secteur public : l’impact des consultants dans le viseur
Si les cabinets sont majoritairement bien notés par les administrations acheteuses pour leurs missions dans le service public, les modalités mêmes de cette évaluation sont remises en cause par l’exécutif qui appelle à les muscler. Les consultants, eux, plaident pour une juste prise en compte du caractère volatil de prestations intellectuelles nécessairement évolutives.
En temps d’élections présidentielles, c’est de coutume, morne plaine dans les achats de mission de conseil en stratégie dans le secteur public. « Nous n’avons plus beaucoup de projets, comme c’est le cas tous les cinq ans », souffle un partner qui ne souhaite pas prendre la parole publiquement en période électorale.
Mais tous fourbissent leurs arguments pour la reconduction de plusieurs gros marchés de conseil publics en France : celui de la centrale d’achat UGAP (qui devait faire connaître les résultats de son dernier appel d’offres en avril 2022).
Et surtout celui de la Direction interministérielle à la transformation publique (DITP) dont la reconduction interviendra au printemps (relire notre article). « Bien sûr, nous nous positionnerons », souffle un autre partner, pas plus enclin à se déclarer publiquement.
Tous se montreront doublement prudents au moment d’aborder de nouvelles missions de conseil en stratégie pour le secteur public, après la mise en lumière totalement inédite de ces prestations depuis six mois en France (voir notre article).
Et tout spécifiquement sur un point : celui de l’évaluation. C’est un des aspects sur lequel le rapport du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques se montre le plus sévère. En un mot comme en cent : sans faire la démonstration de leurs impacts concrets, ou très imparfaitement, les cabinets de conseil coûteraient très voire trop cher.
Le Sénat juge que « l’impact concret de la prestation sur les politiques publiques » n’est pas mesuré. Certes, des barèmes existent. La DITP note les missions de conseil entre 0 à 5 et passe en revue un certain nombre de critères objectifs (respect des délais, appréciation du transfert de compétences, évaluation de l’apport des consultants à chaque étape de la prestation puis des livrables).
Un cran en dessous, l’UGAP n’impose que la seule signature d’un document de « service fait » et un maigre questionnaire en ligne. Les deux valent quitus pour les consultants. En cas de retours mitigés des clients, Edward Jossa, le PDG de l’UGAP, évoquait au Sénat des « échanges informels » avec les consultants, sans que cela aille, semble-t-il, beaucoup plus loin.
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L’efficacité des missions que les cabinets effectuent auprès de leurs clients. Sujet tabou ? La notation des missions de conseil en stratégie par les clients reste un exercice très peu pratiqué.
Si la plupart se disent directement « notés » par leurs clients qui refont – ou pas – appel à leurs services, de rares cabinets font de leur performance un atout client. En interne, les budgets mission par mission sont passés au crible.
Standardiser des barèmes : séduisant, mais pas très réaliste
Dont acte pour le Sénat qui appelle à « systématiser les fiches d’évaluation des prestations de conseil et les rendre publiques ». Le Premier ministre avait d’ailleurs précédé le parlement sur le sujet : dans sa circulaire du 19 janvier, Jean Castex appelait à ce qu’un formulaire d’évaluation soit « défini dans le cahier des charges pour chaque catégorie de prestation ».
Il est vrai que la standardisation des évaluations des missions de conseil en stratégie dans le secteur public pourrait aller plus loin. Du moins, des précédents existent, par exemple dans le champ de l’économie sociale et solidaire (voir notre article sur CO Conseil).
Un barème standardisé qui ne pourrait être que partiellement répliqué pour les missions de conseil en stratégie dans le secteur public, jugent plusieurs partners interrogés par Consultor.
D’abord parce des évaluations formelles de fin de mission passent à côté des allers-retours en continu d’un client avec les consultants qu’ils missionnent.
« Proposer un formulaire d’évaluation de fin de mission, c’est mal connaître le processus collaboratif entre un client et son consultant. Du début à la fin, des comités réguliers réunissent le client et les consultants. Ils permettent de présenter des résultats intermédiaires, de les confronter avec les attentes du client. “Là, vous n’êtes pas allés assez loin”. “Là, vous pourriez faire des entretiens supplémentaires”. Et nous ajustons », explique Philippe Bassot, partner en charge de la stratégie publique chez CMI.
« À mon sens, une grille préfaite fonctionnerait assez mal. Nous privilégions au début de chaque mission des réunions de ce que nous appelons le “10 sur 10″. Nous demandons à nos clients sur quoi ils vont nous juger, ce qui constituera le succès de la mission. Le suivi et l’évaluation se font sur cette base tout au long des missions », confirme Jean-Patrick Yanitch, qui a pris la tête de la nouvelle practice secteur public et politiques publiques d’Oliver Wyman (relire notre article).
Par ailleurs, la strat' peut à certains égards être intrinsèquement difficile à évaluer, parce qu’elle est très intellectuelle et parce qu’elle est très en amont de décisions opérationnelles.
Jean-Patrick Yanitch juge que « tous les besoins du client vis-à-vis des consultants en stratégie ne peuvent pas toujours être totalement définis en amont de la mission. Des clients peuvent nous dire “j’ai tel problème et je voudrais que vous m’apportiez telle solution”, mais le problème peut être partiellement posé ou, après approfondissements avec le client, nécessiter une solution différente. Bien sûr, la transparence et la mise en concurrence sont absolument nécessaires pour protéger les deniers publics et des critères objectifs d’évaluation sont disponibles : la qualité des équipes, des processus mis en œuvre, le respect des délais, la satisfaction client, etc. Il y a toutefois cette complexité intrinsèque aux prestations de conseil en stratégie qui peuvent, par nature, être difficiles à évaluer. Heureusement, on constate une réelle professionnalisation dans la commande publique des prestations conseil, et les équipes en charge ont une connaissance très fine de l’offre de conseil ».
Pour résumer, l’appréciation du client – « le juge de paix » selon Jean-Patrick Yanitch – est plus fidèle que des évaluations standardisées a posteriori. Car « si un client n’est pas satisfait, il peut arrêter la mission en cours et a le choix de ne pas faire à nouveau appel à nous », défendait au Sénat Matthieu Courtecuisse, le président du Syntec Conseil.
Argument fallacieux, jugeait le Sénat, puisque le plus gros des marchés publics fonctionne par sélection de quelques cabinets par des accords pluriannuels qui leur garantissent de faire plusieurs missions, même si certaines d’entre elles sont moins satisfaisantes.
C’est la raison pour laquelle le parlement plaide pour le conditionnement des honoraires des consultants en cas de missions jugées décevantes (ce qui consisterait à appliquer une forme de rémunération au succès comme elle se pratique parfois dans le secteur privé).
Le Sénat s’étonnait même que la DITP ne l’ait pas déjà fait : « L’accord-cadre de la DITP prévoit explicitement la possibilité de réduire, voire de rejeter, la rémunération d’un cabinet de conseil en raison des “imperfections constatées” dans ses prestations. »
Une perspective qui suscite un enthousiasme mesuré côté consultants, à entendre Jean-Patrick Yanitch : « J’adorerais qu’il y ait des success fees comme dans le secteur privé. La difficulté est qu’ils sont complexes à mettre en œuvre dans le cadre des marchés publics et qu’il faudrait définir des KPI adaptés aux missions de service public. »
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