Télévision : les défis de la fusion TF1-M6
Dans la course pour le rachat de M6, c’est finalement TF1 qui a été choisi par l’actionnaire RTL Group, filiale du géant Bertelsmann.
S’il est validé par les autorités de régulation, le projet aboutira dans les dix-huit mois à venir provoquant un Big Bang inédit dans le paysage audiovisuel français avec un groupe fort de dix chaînes (TF1, TMC, M6, W9…) détenu à 30 % par Bouygues et à 16 % par l’Allemand RTL Group, le restant étant coté en Bourse. Interrogés par Consultor.fr, plusieurs consultants en stratégie spécialistes de l’audiovisuel se montrent enthousiastes tout en soulignant le champ de mines à venir.
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Deux groupes historiques du PAF ont annoncé leurs fiançailles et… si le mariage se conclut, l’union pourrait donner naissance à un géant de l’audiovisuel aux données folles : 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, un résultat opérationnel courant de 461 millions d’euros, 42 % des audiences françaises et plus des deux tiers du marché publicitaire TV dans l’Hexagone ! De quoi rivaliser – ou tenter – avec les Netflix, Amazon et consorts dont le pouvoir ne cesse de croître au quotidien auprès des Français, le tout dans un marché des contenus désormais mondial.
TF1 a été choisi par l’actionnaire de M6, l’Allemand RTL Group, filiale du géant Bertelsmann, pour racheter une partie de ce qui fut dans les années 1980 et 1990 « la petite chaîne qui monte » et qui comprend désormais près de treize chaînes. Mais, sur le fond, pourquoi ce rapprochement ? Et quels en sont les principaux défis ? Consultor a posé la question à plusieurs consultants en stratégie bons connaisseurs des médias et de l’audiovisuel.
Un champion national ?
Jean-Charles Ferreri, associé chez Global Strategy Group par KPMG, en charge notamment des activités technologies, média, télécommunications (TMT), estime que ce projet coche toutes les cases nécessaires dans un contexte de révolution des médias. « Ça coche la case d’un champion qui doit s’européaniser, ça coche la case de vouloir se fixer les bornes d’un marché plus que télévisé et qui embarque le digital. »
La constitution d’un nouveau groupe, à même de tenir tête à Netflix, Amazon et autres mastodontes digitaux, est également vu comme le « choix logique en termes de synergies et de stratégies à long terme, selon Reef Read, associate partner au sein du cabinet PMP. C’est là où l’on va générer le plus de synergies et d’optimisation stratégique à long terme étant donné la concurrence croissante des plateformes internationales dans le secteur audiovisuel ».
Mais attention à garder les idées claires sur le poids réel de TF1-M6 par rapport à ses concurrents américains. « C’est un acteur qui restera petit par rapport aux plateformes », souligne Frédéric Estève, associé chez Vertone, en mettant en perspective les 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires des deux groupes français face aux 25 milliards de dollars (20,5 milliards d’euros) d’un Netflix. De son côté, Amazon devrait acquérir – pour près de 9 milliards de dollars ! – les studios historiques Metro-Goldwyn-Mayer et mettre la main à des milliers d’heures de contenus (dont la saga James Bond), de quoi doper la valeur de son service Prime Video.
L’enjeu des contenus made in France
C’est dans ce contexte de consolidation qu’un autre défi attendra le groupe TF1-M6 qui, une fois finalisé, comptera dix chaînes de télévision : s’imposer dans la réalisation de contenus made in France. Il faut dire que le moment est judicieux du fait d’un contexte réglementaire favorable. « L’enjeu de ce groupe sera d’accaparer les audiences sur la production nationale », pousse Pierre-Éric Perrin, associé-fondateur de Mawenzi Partners.
Il faut dire qu’avec la directive SMA (services de médias audiovisuels) – qui prévoit que 20 à 25 % du chiffre d’affaires des plateformes réalisé en France devra être consacré à la production cinématographique et audiovisuelle – Netflix, Amazon et autres devront investir dans la production française. Leurs dépenses pourraient être de 230 millions d’euros dans la création originale en 2021 d’après le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), une aubaine pour les producteurs de contenus désireux de répondre à cette nouvelle manne. Mais un chiffre que l’attelage TF1-M6 devra chercher à égaler avec à la clé, selon Reef Read chez PMP, l’opportunité de « de créer un vrai studio capable de vendre à prix fort des séries françaises à Amazon ou Netflix et qui pourraient être dans des modes de codiffusion entre l’antenne et le streaming ».
Le couperet des autorités de régulation
Mais au-delà, tous nos interlocuteurs soulignent le caractère difficile du projet. Afin que le deal obtienne le feu vert, il faut en effet qu’il passe les fourches caudines de l’Autorité de la concurrence (ADLC) et celle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). « Il y a un champ de mines à éclaircir dans les prochains dix-huit mois qui va être complexe », insiste Reef Read. Il préconise d’insister sur les avantages tirés pour l’ensemble de l’écosystème hexagonal. « Cette fusion peut être bénéfique pour l’ensemble du paysage audiovisuel français et il faut vendre cet argument auprès de l’Autorité de la concurrence. »
« Il y aura clairement un travail de conviction auprès de l’Autorité de la concurrence », renchérit Jean-Charles Ferreri de KPMG, pour qui « les autorités de la concurrence, notamment en France, restent au global dans des logiques conservatrices ». Il rappelle ainsi que le deal FNAC-DARTY, qui a été autorisé à l’été 2016, n’était pas gagné d’avance, mais a donné naissance, après la cession de plusieurs magasins en région parisienne, à un géant de la distribution omnicanale.
Les concurrents en embuscade
Dans le petit monde des médias, les concurrents n’ont en tout cas pas tardé à réagir à l’annonce de ces fiançailles. Le directeur général d’Altice Média (BFM TV, RMC, etc.), Arthur Dreyffus, a mis la pression aux parties prenantes. « Nous serons, avec les annonceurs, les agences, les distributeurs et les concurrents, tous très attentifs à ce que le marché ne devienne pas monopolistique ni anticoncurrentiel », a-t-il taclé dans Les Échos.
Chez les producteurs, ça grince des dents également face à un risque de pression sur les prix et les conditions contractuelles. La plateforme Molotov, en conflit ouvert avec TF1 et M6 et concurrente de la plateforme de streaming Salto (relire notre article à propos de sa secrétaire générale Danielle Attias) a publié de son côté un communiqué estimant que la « menace que fait courir cette fusion sur l’avenir de la distribution » va la conduire à saisir les « autorités concernées pour demander que des garanties sérieuses soient apportées afin de préserver les équilibres et le pluralisme dans l’audiovisuel ».
La mort de Salto ?
Et quid de Salto justement ? Son existence pourrait être un dommage collatéral de ce futur deal d’après Pierre-Éric Perrin de Mawenzi. « À mon avis, les jours de Salto sont comptés dans sa forme actuelle. Je ne vois pas France Télévisions exister aux côtés d’un grand champion national dont le drapeau sera justement la production nationale. Je pense que France Télévisions sera obligé de quitter le navire. »
Déjà, dans leur communiqué publié le 17 mai, TF1 et M6 ainsi que leurs maisons mères Bouygues et RTL Group évoquaient « l’accélération du développement d’une plateforme nationale performante combinant une offre de rattrapage et de streaming et une offre de SVOD », en précisant bien qu’elle sera fondée sur MyTF1 et 6play… sans mentionner Salto et leur partenaire France Télévisions.
Conserver son ADN (et son âme)
Plus largement, l’enjeu sera de maintenir les identités de chaque groupe. C’est en tout cas ce que plaide l’associé de PMP Philippe Curt qui compare le deal à ce qui s’est passé dans le monde de l’édition en prenant l’exemple du groupe Éditis – une quarantaine de marques d’éditions et plus de 2 600 salariés – racheté en 2018 par Vivendi.
« On peut croire à la réalisation de ce projet audiovisuel à l’instar de ce qui s’est fait dans l’édition. Ils ont mutualisé tout le back-office tout en conservant dans chaque maison d’édition la ligne éditoriale, le choix des auteurs, etc. C’est essentiel de conserver l’ADN de chaque maison d’édition », souligne ce spécialiste des industries culturelles (relire son portrait).
Si le PDG de TF1, Gilles Pélisson, devient directeur général adjoint du groupe Bouygues en charge des médias et du développement à l’issue du deal, c’est Nicolas de Tavernost, 70 ans, dont trois décennies à la tête de M6, qui a été choisi pour chapeauter le futur ensemble. Son départ à la retraite initialement prévu le 22 août 2022, date de ses 72 ans, attendra… Le « parrain du PAF » n’a pas encore livré son dernier combat.
Pierre-Anthony Canovas pour Consultor.fr
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