Un Frenchie pour redorer le blason du tennis
Il a pris ses fonctions en mars à la tête du gratin du tennis mondial.
Le consultant passé par Kearney Paris, le Français Ugo Valensi, est aujourd’hui directeur exécutif du conseil du Grand Chelem qui réunit les quatre tournois les plus prestigieux, dont Roland-Garros et Wimbledon. Une mission de taille pour fédérer ces marques stars, des vitrines de luxe pour doper la pratique du tennis du plus grand nombre, sport plutôt en déclin.
Changement de cap pour Ugo Valensi, 39 ans. Après être passé chez EY, le conseil en stratégie chez Kearney (entre 2009 et 2011), et la gouvernance de Sportfive (ex-Lagardère Sports), dédié aux droits marketing et audiovisuels, le voilà aux manettes du Grand Slam Board depuis quelques mois.
En prenant la direction de l’organisation qui fédère l’excellence du tennis mondial (relire notre brève ici), le Français fait face à plusieurs défis : retrouver des spectateurs, des sponsors et des partenaires médias dans l’incertitude sanitaire mondiale liée à la pandémie.
À lui seul, le Grand Chelem, et ses quatre tournois de l’élite tennistique, l’Open d’Australie, Roland-Garros, Wimbledon et l’US Open, représente plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires, près de 2,5 millions de spectateurs, en plus des dizaines de millions de téléspectateurs. Ces quatre tournois de prestige génèrent aussi à eux seuls des centaines de millions d’euros de droits TV.
Le choix volontaire d’un outsider…
Le Grand Chelem – remporter les quatre tournois la même année – est aussi le graal quasi inaccessible pour la crème de la crème des joueurs de tennis ; Steffi Graff est la dernière à l’avoir réalisé en 1988, hommes et femmes confondus. Pour le top 100 mondial, y participer est presque déjà une victoire. En gagner un seul est déjà un Himalaya. Avec à la clef, un juteux chèque pour les vainqueurs, hommes comme femmes : 1,4 million d’euros (M€) en 2021 à Roland-Garros, de près de 2 M€ à Wimbledon.
Pourquoi les instances internationales du tennis ont-elles choisi ce Frenchie, ancien consultant en strat’, qui n’avait pas jusque-là baigné dans ce monde où l’entre-soi est de mise ? Ugo Valensi est certes un pro du monde du sport, côté droits télé, mais n’est pas issu du moule tennistique, où, à l’instar de bon nombre d’autres fédérations sportives mondiales, on a l’habitude de coopter ses pairs.
« Grâce à mon background diversifié, à mon double bagage de consultant chez EY et chez Kearney, mais aussi mon expérience dans le sport business à l’étranger. C’est également dû au fait que je ne suis pas un pur produit du monde du tennis qui cherche de plus en plus des compétences extérieures. »
… pour faire bouger les lignes
Car le tennis est en profonde mutation. Son organisation mondiale est très fragmentée, composée de fédérations nationales et internationales historiquement pléthoriques et sclérosées. « Mon arrivée signe un rapprochement, y compris commercial, entre ces quatre tournois majeurs qui souhaitent capitaliser sur leurs marques pour développer des activités communes », anticipe-t-il.
Autre mission de l’ex-consultant de Kearney : la démocratisation de ce sport, encore trop sélectif financièrement, dans les pays qui ne sont pas culturellement tennistiques en soutenant les jeunes joueurs/joueuses à haut potentiel.
« Nous mettons en place des bourses pour développer le nombre de nationalités aux quatre coins du monde. Car ils sont encore trop peu nombreux sur le circuit. Il faut plus de Ons Jabeur, Tunisienne de 27 ans, la première joueuse d'un pays arabe à entrer dans le top 10. C’est essentiel pour la pérennité de ce sport et c’est pourquoi les tournois du Grand Chelem ont distribué plus de 56 millions de dollars de bourses à de jeunes joueurs depuis trente ans. »
… pour relancer un sport élitiste
Car on le sait bien, la vitrine du très haut niveau, avec ses tournois et ses joueurs stars, a une implication directe sur la pratique sportive.
« Il y a un rapport entre les victoires des joueurs nationaux et le développement du nombre de licenciés. Pour preuve, la jeune joueuse britannique Emma Raducanu, devenue une star à la suite de sa victoire au dernier US Open… », rappelle Ugo Valensi.
En France, la FFT a vécu une véritable explosion de son nombre de licenciés dans les années 1980, après la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros en 1983, qui a alors atteint plus de 1,3 million de licenciés. Entre 1986 et 1999, le nombre de licenciés a chuté de 27 %. Le tennis, qui a du mal à se défaire de son étiquette élitiste, sans véritables joueurs/joueuses) référents(tes), compte aujourd’hui 200 000 licenciés et 3,5 millions de pratiquants selon la FFT, est de plus en plus concurrencé par le padel, plus facile d’accès et plus ludique. Il reste pourtant le deuxième sport en termes de licenciés en France après le foot – et loin devant le basket.
Le tennis n’a pas perdu le set covid
L’épisode covid (le tennis a perdu 30 000 licenciés en France entre octobre 2019 et octobre 2020) a certainement accéléré le besoin de transformation structurel et plaidé pour le profil d’Ugo Valensi.
Car les quatre tournois du Grand Chelem ont vécu une « année 2020 désastreuse » : le mythique tournoi de Wimbledon, le plus vieux tournoi de tennis au monde créé en 1877, a dû être annulé pour la première fois de son histoire (hors guerres), Roland-Garros a dû être décalé d’urgence de juin à octobre et joué sans public, l’US Open et l’Open d’Australie ont également joué devant des tribunes vides. Connaissant de même un gouffre de billetterie du fait de tournois joués devant des tribunes vides. « Cela a été un arbitrage complexe pour soit annuler, soit maintenir un tournoi a minima. Les tournois du Grand Chelem ont maintenu le prize money (ndlr, les dotations financières des joueurs et joueuses) quasiment au niveau pré-covid. Ils ont parfois dû recourir à l’endettement, ce qui ampute d’autant leurs capacités d’investissement dans le futur. Les tournois du Grand Chelem ont souffert, mais les économies restent viables, et ils disposent de capacités de rebond », analyse le nouveau patron du Grand Slam Board.
Le point gagnant TMT du conseil en stratégie
C’est donc un profil polymorphe que le tennis mondial est venu chercher en la personne d’Ugo Valensi : ingénieur (diplômé de Centrale Lille en 2004), consultant chez EY entre 2004 et 2009 – où il devient manager au sein de la practice média et télécoms.
Après un MBA à l’INSEAD, il entre chez Kearney, dans son secteur de prédilection, par envie d’avoir une expérience en stratégie, avec sa variété de projets. Avec une mission particulièrement prégnante, celle pour Alcatel-Lucent qui visait à développer ses labos de recherche en Chine et en Amérique du Sud.
« Une mission assez tech de performance opérationnelle sur le design et la recherche, pour laquelle j’étais avec des ingénieurs toute la journée, et qui m’a fait remonter mes souvenirs d’école d’ingé. »
C’est d’ailleurs à l’occasion d’une autre mission, pour Lagardère, cette fois, que le consultant a été chassé par le groupe de médias français. Son mentor dans le conseil en stratégie, Hervé Collignon, l’ex-senior partner TMT de Kearney (passé aussi par Roland Berger), qui a quitté le cabinet en mai dernier (relire ici).
« J’ai travaillé avec lui sur ces deux missions. Un homme qui n’est pas un produit pur strat’, riche d’expériences diverses, qui apporte un cachet différent dans la relation avec les clients, et doté d’un caractère extraordinaire. »
Le consultant passe ensuite neuf années chez Sportfive (ex-Lagardère Unlimited, Lagardère Sports, Lagardère Sports and Entertainment), société spécialisée dans la gestion des droits marketing et audiovisuels sportifs. « J’ai travaillé avec de nombreux clients dans le football, le tennis ou les sports olympiques, sur un large panel d’activités – de la représentation de joueurs à la vente de droits sponsoring et de droits médias », confirme celui qui a d’abord été vice-président exécutif stratégie et opérations en 2011, puis COO en 2016, et enfin CEO entre 2019 et 2020 de Sportfive.
L’effet conseil en stratégie sur le tennis
Ugo Valensi compte bien utiliser les recettes de la strat’, et en particulier son expertise média, pour réussir cette nouvelle mission au Grand Slam Board.
Où il aura au moins deux publics différents : un BtoC, les spectateurs via la billetterie ou le merchandising ; un BtoB, l'industrie hôtelière, les sponsors et les droits médias.
« Cela concerne de nombreuses industries du monde des médias et de l’entertainment, mais cela reste un produit de consommation », analyse Ugo Valensi. Autre spécificité de poids de l’écosystème tennistique, les joueurs de tennis ne dépendent pas de clubs, ils sont indépendants, rémunérés à la performance, et peuvent participer – ou non – aux grands tournois en fonction de leur classement. Les tournois doivent ainsi négocier avec des personnalités (et leurs agents), et pas des clubs…
Prochain rendez-vous du Grand Chelem pour le nouveau directeur, l’Open d’Australie du 17 au 30 janvier 2022, avec encore de nombreuses incertitudes liées à la covid, dans un pays qui impose toujours une quarantaine de quinze jours pour les visiteurs, et qui vient juste d’annoncer la prochaine réouverture des frontières du pays, fermées depuis le début de la pandémie, lorsque les objectifs de 80 % de vaccinés seront atteints.
Barbara Merle pour Consultor.fr
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