FC Lorient : le passé McKinsey du DG sortant
Fabrice Bocquet se rêvait footballeur professionnel et n’a jamais vraiment quitté son univers de cœur.
À 38 ans, il a été dirigeant de club de foot avant et après son expérience chez McKinsey de quatre ans. De 2015 à octobre dernier, il avait à nouveau switché vers le foot, comme DG du FC Lorient. Un gap de cultures, mais pas infranchissable pour lui, bien au contraire. Depuis son départ du club, Fabrice Bocquet finalise un livre – autour du management d’un club de foot – et prépare son futur. Il était annoncé à la tête de l’ESTAC de Troyes, ce qu’il dément. Il pourrait en tout cas revenir à la croisée de ces deux écosystèmes.
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Le conseil en stratégie et le football, deux mondes qui se croisent de façon assez exceptionnelle ; le sport, en général, restant une niche pour les cabinets (relire notre article ici et les missions du BCG pour la Ligue de foot professionnel ici).
Certes, ponctuellement, les stratèges interviennent sur des missions d’ampleur : le BCG accompagne en ce moment la Premier League anglaise, et avait assisté, en 2019, la Major League Soccer (MLS). De même, McKinsey avait été appelé en 2018 pour réfléchir à l’avenir du foot mondial.
Mais ils ne sont que très peu nombreux à passer du conseil en stratégie au sport à haut niveau. Citons l’ex-Bainie Suzanne Stroeer, devenue traileuse et alpiniste, Ugo Valensi, l’ancien expert média de Kearney nommé à la tête du Grand Chelem de tennis (ici) ou Nicolas Estais, consultant chez McKinsey, et mordu de nautisme (relire ici).
Le footballeur-consultant Fabrice Bocquet a ainsi été certainement considéré comme un OVNI au moins à deux reprises : lorsqu’il est entré chez McKinsey & Company en 2011 alors qu’il était directeur du développement du FC Lorient, puis lorsqu’il est parti du géant mondial de la stratégie pour diriger le FC Lorient, alors en Ligue 1, « une belle PME de province de 150 salariés, le choc de deux cultures », comme il le reconnaît lui-même aujourd’hui.
Cerveaux droit et gauche
Pourtant, Fabrice Bocquet a su et aime naviguer dans ces deux mondes apparemment irréconciliables, entre le football, sport des extrêmes, de l’irrationnel voire de la « flambe », et le conseil en stratégie, un secteur de la rationalité et de l’« anti-émotionnel ».
Fabrice Bocquet a une explication toute personnelle sur le lien qu’il a maintenu jusqu’à ce jour entre deux univers si éloignés sur le papier : « Je suis à la fois français et colombien, j’ai vécu plusieurs années à Bogota, j’ai toujours baigné à la fois dans un monde rationnel et de l’émotion, et j’ai appris très tôt à gérer. »
Son père, français, ancien ingénieur nucléaire, a été gardien de but. Sa mère, colombienne, était comptable. Lui voudra être gardien de but pro. « J’ai passé mon bac à Bogota en 2000 alors que la France avait été championne du monde en 1998 et d’Europe au même moment. Je voulais tenter ma chance dans le meilleur environnement possible et revenir en France pour cela. »
C’est lorsqu’il passe senior au club de Clermont Foot, alors en 3e division, que la réalité lui saute au visage, « un choc très rude à la fois sportif, athlétique, mais surtout mental ». Sa destinée ne sera pas celle qu’il s’était promis : « Au bout d’un an, j’ai décidé de rester très bon copain avec le foot ! » Fabrice Bocquet reprend ses études à Paris tout en devenant éducateur dans un club de football en région parisienne. Il sort diplômé de HEC, promo 2007.
Le jeune diplômé reçoit une proposition de job et débute dans la finance chez Lehman Brothers et vit l’effondrement de la banque d’investissement américaine de l’intérieur. « Je suis arrivé dans un timing bizarre. L’action était à 80 $ et quelques mois plus tard, elle est tombée à 8-9 $. J’ai vécu la crise de l’intérieur. J’étais très proche de l’équipe des subprimes, une période surprenante, avec de nombreux licenciements à la clef. » L’avenir était donc bouché…
Retour à ses premières amours, le sport. Et plus particulièrement dans le secteur des paris sportifs, « un produit financier avec du vrai potentiel pour y développer des stratégies d’investissement », estime-t-il a posteriori.
Pour se lancer, il noue un partenariat avec Loïc Fery, qui est aujourd’hui le président du FC Lorient et lance alors son hedge fund, Chenavari Financial Group. Ils créent C Sport Fund, une joint-venture qui tourne court assez rapidement, car Loïc Féry rachète le FC Lorient quelques mois plus tard, et lui propose le poste de directeur du développement.
Pour rentrer chez McKinsey, la seconde est la bonne
Deux ans plus tard, Fabrice Bocquet décide de retenter l’aventure McKinsey, après avoir déjà postulé en 2007, sans succès. « Un ressenti, ce cabinet m’a toujours intrigué. J’étais allé jusqu’au dernier entretien du dernier tour. Mais mon étude de cas finale, sur le secteur de l’aviation, n’avait pas été concluante. En 2011, j’avais acquis de l’expérience, c’était le bon moment. »
Il réussit son pari en passant tous les tours, cette fois, « c’était drôle, car lors du dernier tour j’y ai rencontré les deux mêmes directeurs que quatre ans auparavant. Mais les études de cas étaient différentes ! »
Pendant ces quatre ans chez McKinsey, le consultant sera plus particulièrement dédié aux practices télécom/média et consumer goods. De son expérience de consultant, Fabrice Bocquet ne regrette rien, bien au contraire, avec des missions « passionnantes » et au programme de nombreux voyages (à l’exemple de projets de due dil en Afrique).
Autres missions mémorables à ses yeux : la stratégie de croissance à l’international d’un équipementier sportif international, « un plan des plus ambitieux pour aller concurrencer Nike et Adidas… J’ai également adoré un projet sur la méthodo marketing pour un acteur pharma pour lequel j’ai visité de nombreuses filiales partout dans le monde ».
Le consultant n’aura au final travaillé que sur une mission pure sport, le business plan d’un nouveau stade pour un grand club européen…
Mais le bilan ne s’arrête pas là. Il y eut aussi l’acquisition de soft skills essentielles : « obligation to dissent » (qui veut que même une personne très junior puisse faire état oralement et devant témoins d’un désaccord avec les personnes les plus seniors du cabinet) et « feedback is a gift » (qui veut que tout retour soit bon à prendre), devenues des sortes de mantras.
Promu senior engagement manager (4e grade chez McKinsey) en 2013, Fabrice Bocquet interviendra ensuite plus particulièrement dans le domaine de la stratégie financière corporate. Il sera membre des équipes de stratégie consommateur pour la région EMEA et de recrutement du bureau de Paris.
Le retour au FC Lorient en tant que DG
En 2015, le président du FC Lorient lui propose un nouveau défi, le poste de DG, avec comme mission, la partie business.
« Je suis toujours resté très proche du foot. Lorsque je suis revenu, je n’étais pas un alien. Mais lorsque l’on travaille dans le conseil, c’est à long terme, alors que dans le foot, l’horizon temps est beaucoup plus restreint et plus opérationnel. La première étape a été de formaliser un plan stratégique pour toutes les strates du club, un exercice indispensable, mais pas simple, car pas nécessairement dans la culture d’un club de football. Le fond est essentiel, mais la forme l’est tout autant. Il faut savoir s’adapter à l’environnement et à sa culture. »
Deux ans plus tard, alors que le club descend en Ligue 2, l’ex-McKinsey récupère en plus la dimension sportive. Avec un nouveau défi, déployer un projet sportif dans une petite ville, quelque 57 000 âmes, avec l’ambition de remonter en Ligue 1. « Pratiquement aucune des villes de cette taille-là n’était remontée. »
Une stratégie qui a payé puisque le FC Lorient a été à nouveau promu en 2020, après avoir terminé champion de France de Ligue 2 à la suite de l’arrêt du championnat de manière anticipée du fait de la covid.
Son expérience de consultant lui a permis de définir un cap et de le garder. Difficile dans ce sport où les résultats du week-end sont bel et bien la vitrine de la bonne santé du club, et face à des supporters passionnés, impatients, souvent irrationnels.
« Le sportif et l’administratif/financier évoluent régulièrement en silo. Sauf que le futur d’un club repose sur la collaboration entre ces deux composantes. Elles ont beaucoup à s’apporter en termes de diversité de profils, d’expériences et de compétences. Mais pour mettre cela en place, il faut une bonne posture et de la stabilité dans l’organisation. »
La stratégie appliquée au foot professionnel
Pour le stratège ès sports, qui scrute son sport favori depuis plus de dix ans maintenant, les fausses croyances aussi sont légion dans ce secteur. Notamment, le côté aléatoire des résultats et de la réussite.
« Sur quelques matchs, le facteur chance joue un rôle important. Sur plusieurs saisons, les résultats sont une conséquence de la stratégie du club et de la qualité de la culture de performance interne. Un club de football est une entreprise avec des spécificités sectorielles. Il me paraît essentiel de rationaliser la réflexion autour des matchs et de rajouter de la data dans l’analyse pour mieux appréhender la complexité de la performance sportive. »
Autre fausse croyance, un club de foot ne perd pas forcément de l’argent. Même si les comptes cumulés de l’ensemble des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 affichaient des pertes de 176 puis de 160 millions d’euros aux termes des saisons 2017-2018 et 2018-2019.
Pour preuve, entre 2015 et 2020, le FC Lorient a été profitable chaque année. Sur cette période, il a été le 3e club professionnel français ayant généré la plus haute rentabilité en France de la Ligue 1, derrière les mastodontes du PSG et de Lyon (ce que confirme les chiffres annuels publiés par le gendarme du foot professionnel, la Direction nationale du contrôle de gestion).
La stratégie à l’épreuve du sport, ça marcherait donc concrètement. « Le conseil est un atout, car il apprend qu’il n’y a pas de fatalités. Il n’y a que des problèmes auxquels on peut trouver des solutions. On adapte les salaires, les coûts, les structures, et on imagine un modèle pérenne en prenant en compte les scénarios de crise, comme une relégation. Le foot a un côté “immobilier”, car le pilotage des contrats de joueurs s’assimile à de la gestion d’actifs. Il faut savoir anticiper et gérer la durée des contrats. À Lorient, nous avons procédé à 18 M€ de ventes de joueurs en moyenne par an en Ligue 2 ces trois dernières années. C’est deux fois plus qu’à l’OM sur la même période ! »
Fabrice Bocquet reconnaît qu’il aurait aussi, à certains moments clés, bien consulté certains de ses ex-collègues chez McKinsey pour l’accompagner… « Cela aurait fait sens ! Par exemple, en termes de strat’ de billetterie ou pour un peu plus d’ouverture vers l’extérieur. » Mission impossible, faute de fonds pour un club de cette taille qui n’a pas les moyens de ses gros concurrents.
Après un cycle de cinq ans dans le foot, en quête de nouveaux projets, le DG du FC Lorient a souhaité partir en octobre dernier. Un record pour le club breton à ce poste. Depuis, fort de son passé de consultant et de dirigeant, Fabrice Bocquet finalise la rédaction d’un ouvrage dédié au management d’un club de foot, structuré en mode conseil.
« C’est un vrai défi personnel. Le sport professionnel est un secteur constitué d’une constellation de petites PME dont la culture est plutôt informelle. Il y a peu d’écrits sur le sujet. C’est un livre pour informer, mais aussi, et surtout, pour échanger sur les bonnes pratiques. » Fabrice Bocquet est aussi régulièrement sollicité par le monde du foot – la presse locale l’a placé récemment à la tête de clubs, comme l’ESTAC de Troyes ou le Stade rennais –, mais aussi par celui du conseil en stratégie… sans volonté d’y revenir, « c’était une étape ! ».
Il réfléchit à différentes opportunités. Pourquoi ne pas combiner le conseil en strat’ et une direction générale en reprenant une entreprise ? C’est l’une des voies possibles.
Barbara Merle pour Consultor.fr
Crédit photo : Thomas Serer Unsplash Groupama Stadium, 13/10/17 Olympique Lyonnais/As Monaco.
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