Achats, locaux, transports : la chasse au carbone est ouverte
Électricité verte, taxis partagés, sensibilisation des équipes en interne… Soumis aux exigences croissantes de la société et de leurs clients et conscients d’avoir à prendre leur part dans la lutte contre le réchauffement climatique, les cabinets de conseil veulent passer à la vitesse supérieure en devenant « Net Zéro », c’est-à-dire neutres en carbone sans se reposer sur la béquille de la compensation.
- Le BCG signe pour 15 ans de capture de ses émissions de gaz à effet de serre
- En amont de la 28e COP, la schizophrénie de McKinsey à nouveau épinglée
- Pourquoi les cabinets se dotent-ils de forces de frappe ESG ?
- Les green hard skills, l’avenir du consultant en stratégie ?
- Bain : les consultants se mettent au vert
- Sur la loi climat, la parole est au BCG
- Climat : le BCG joue la carte de la séquestration de ses émissions
- Qui est derrière le Google de l’action Climat ?
Leur démarche a été accélérée par la crise sanitaire qui a rebattu les cartes de la relation client grâce au digital. Reste à doser le distanciel/présentiel et à former les collaborateurs aux enjeux du dérèglement climatique.
Dans son rapport RSE pour 2019, McKinsey explique que pour contrebalancer son empreinte CO2 en 2019, il a investi dans une dizaine de projets à travers la planète (agrosylviculture durable, protection des forêts, reboisement) qui lui ont permis de compenser l’équivalent de 743 000 tonnes de CO2. À titre de comparaison, un aller-retour Paris/New York en avion pour une personne émet une tonne de CO2. McKinsey a donc compensé 743 000 aller-retour Paris/New York.
Le levier de la compensation a été un des premiers actionnés par les cabinets de conseil. Ce faisant, les cabinets font et continuent de faire un effort financier. Cependant, accroître la capacité du puits de CO2 que sont les arbres ne résout pas le problème des émissions. Les cabinets de conseil se sont donc engagés, depuis quelques années pour certains, plus récemment pour d’autres, dans la difficile quête du Net Zéro, qui implique d’aller au-delà de la compensation carbone.
Car pendant longtemps, la neutralité carbone était de fait atteinte par les cabinets du fait de cette compensation (l’émission de GES à un endroit x ou y peut être compensé si on retire la même quantité de ces gaz ailleurs). Maintenant, ils doivent atteindre le Net Zéro (toute émission est annulée par une réduction d'émission équivalente). Cette expression fait référence à un objectif fixé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son rapport de 2018 sur les impacts d’un réchauffement climatique global limité à 1,5 °C. Pour limiter les dégâts climatiques, les experts du GIEC ont estimé que l’humanité devait réduire ses émissions de CO₂ de 45 % d’ici 2030, par rapport à leur niveau de 2010 et qu’il faudrait ensuite atteindre un « zéro net » d’émissions de CO₂ d’ici 2050.
Comme le dit McKinsey dans son rapport, « nous compensons toutes les émissions que nous devons encore éliminer, ce qui nous permet d’être neutre en carbone. » Pour espérer atteindre le net zéro, la firme qui est neutre en carbone depuis 2018, se donne par exemple pour objectif d’utiliser 100% d’électricité renouvelable et d’électrifier sa flotte automobile d’ici 2025.
Chez Bain & Company, qui a annoncé le 23 septembre avoir rejoint les signataires du projet « Business Ambition for 1.5 °C » qui réitère l’engagement à plafonner le réchauffement de la planète à 1,5 °C, le constat est clair. « La crise sanitaire a entraîné une accélération de l’évolution des comportements en mettant le numérique au centre des solutions alternatives aux déplacements en avion, mais on peut être encore plus vertueux et aller plus loin que les engagements pris en septembre 2019 lors du Sommet de l’ONU sur le climat. La loi PACTE avec l’instauration de la raison d’être (des entreprises, ndlr) a aussi amené les entreprises à se poser des questions essentielles et la finance responsable (par exemple le marché des green et social bonds) n’a jamais suscité autant d’intérêt », analyse Julien Bet, associé chez Bain & Company au bureau de Paris et responsable impact social pour la France.
Le cabinet, certifié Carbon Neutral par Natural Capital Partners (accompagne les entreprises dans leur démarche de compensation carbone et de réduction des émissions de gaz à effet de serre) depuis 2011, utilise des énergies vertes pour 96 % de sa consommation électrique, ambitionne de réduire ses émissions directes de 90% d’ici 2040 et semble sûr d’atteindre le Net Zero sur toutes ses implantations (59 bureaux dans 37 pays) d’ici 2030.
« Les green teams que nous avons constituées sont composées de volontaires passionnés décidés à changer les comportements. Mais dans notre approche des transports, nous préférons la flexibilité à la coercition. Nous encourageons donc le partage de taxis, quand c’est possible, sans oublier que la relation avec le client exige parfois une présence en chair et en os », ajoute l’associé.
De la neutralité carbone au Net Zero : les annonces des cabinets
- 2020 : Oliver Wyman annonce avoir obtenu la certification neutre en carbone au 1er juin 2020 (Relire l'article)
- 2020 : BCG s'engage à réaliser le Net Zero d'ici 2030, deux ans après avoir atteint la neutralité carbone
- 2018 : McKinsey and Company estime avoir atteint la neutralité carbone et être le premier cabinet de conseil à rejoindre l'initiative RE100, regroupant 100 organisations engagées à se fournir à 100% en électricité de source renouvelable d'ici 2025.
- 2017 : Bain and Company annonce avoir reçu la certification CarbonNeutral, accordée par Natural Capital Partners, pour la sixième année consécutive (Relire l'article)
- 2010 : Kearney indique qu'il a atteint un engagement pris en 2007 de parvenir à la neutralité carbone d'ici 2011.
Ne pas passer pour moins-disant aux yeux des clients
« Nous ne pouvons pas être moins vertueux que nos clients », résume Marc Boilard, partner, en charge du projet neutralité carbone chez Oliver Wyman Paris. « L’étape suivante, c’est de réfléchir au parc de bâtiments que nous louons avec l’aide de nos collègues des services généraux et en collaboration avec les loueurs pour abaisser la part de nos émissions de CO2 liées à ce volet. C’est aussi introduire des critères d’achats responsables pour minimiser l’impact environnemental de nos équipements informatiques et de nos fournitures de bureau », explique-t-il.
À Paris, Oliver Wyman a une équipe dédiée au projet Neutralité Carbone. Outre Marc Boilard, elle est composée de Hanna Moukanas, partner, dirigeant d’Oliver Wyman France, et de Jacques-Olivier Bruzeau, partner, office leader du bureau de Paris en charge notamment des sujets social impact-philanthropie-mécénat et des aspects achats-services généraux. « Notre partenaire Natural Capital Partners nous a aidés à évaluer notre empreinte carbone et à chercher comment progresser, d’abord essentiellement par compensation pour être carbon neutral. Mais maintenant, notre objectif est de progresser sur une trajectoire amenant au Net Zéro. »
La crise de la covid-19 a accéléré le mouvement. « Nous avons assez bien fonctionné à distance avec nos clients grâce au digital, mais la richesse d’échange n’est toutefois pas la même qu’en présentiel. Il faut trouver le bon équilibre, mais nous avons vu que nous pouvions réduire significativement nos déplacements sans nuire à notre efficacité. C’est devenu acceptable aussi pour nos clients qui sont eux-mêmes passés par là », déclare Marc Boilard.
Sensibiliser et former sans relâche aux enjeux environnementaux
Mais sans formation, pas de changement. À Paris, Kearney, qui compte environ 200 collaborateurs, s’est attelé à la structuration de son action. Avra Tzeveleki, polytechnicienne passée par General Electric, Air Liquide et le cabinet HSE Optimisation, a rejoint Kearney en mars en tant qu’experte transition écologique et transformation au sein de la practice développement durable du cabinet. Elle travaille entourée de deux personnes sur le sujet. « Nous réfléchissons à des règles permettant d’arbitrer sur la nécessité ou non d’un déplacement. Nous nous interrogeons aussi sur notre usage des outils numériques, qui émettent du CO2 », explique-t-elle.
Depuis la rentrée, Kearney a déployé la Fresque du climat, concept ludique et collaboratif créé par Cédric Ringenbach qui a dirigé The Shift Project, think tank de la transition carbone de 2010 à 2016. Aidés par un animateur, les participants se servent de cartes représentant les différentes composantes du changement climatique et se concertent afin de retrouver les liens de cause à effet en les positionnant et les reliant entre elles. Ces ateliers permettent à chacun de s’approprier les principaux problèmes liés au dérèglement climatique. Kearney prévoit d’aborder un grand thème par trimestre (biodiversité, économie circulaire, etc.) pour inscrire le tout dans la durée et renforcer la mobilisation des équipes.
Des gisements d’économies, des efforts à faire sur les achats
Malgré tous ces efforts, le secteur finance/droit/conseil a encore des progrès à faire notamment en matière d’achats responsables, selon EcoVadis, le spécialiste de la notation RSE dont Bain & Company est actionnaire minoritaire depuis février (relire notre article). « Outre leurs déplacements, les cabinets de conseil doivent surveiller leur usage du digital », souligne Clarisse Chang, senior sustainable development analyst chez EcoVadis. « Les data centers, les hébergeurs de serveurs émettent beaucoup de CO2. Envoyer moins d’e-mails avec moins de pièces jointes très lourdes, évaluer les émissions de CO2 de l’entreprise, y compris le scope 3 (émissions indirectes comme les déplacements ou les déchets) et engager toutes les parties prenantes à prendre des mesures est un premier pas », dit-elle.
L'accélération vers le Net Zero des cabinets ne semble pas purement opportuniste à ses yeux. « Si ces acteurs ont la possibilité de contribuer à la lutte collective contre le dérèglement climatique, c’est une bonne chose qu’ils aient envie de le faire », dit-elle, tout en reconnaissant que les entreprises qui ne font pas cet effort mettent leur réputation en risque. Un argument qui pourrait finir de convaincre les récalcitrants tant la réputation est, dans le conseil en stratégie, chose sacrée.
Emmanuelle Rosse pour Consultor.fr
Crédit photo : Neutralité carbone, Bianca Benini, Unsplash.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaire (0)
Soyez le premier à réagir à cette information
Monde
- 31/10/24
Le conseil en stratégie semble avoir trouvé un relais de croissance en accompagnant les entreprises dans l’adoption de l’IA générative. Détail de deux missions du BCG et de McKinsey dévoilées par le New York Times.
- 28/10/24
500 emplois environ seraient concernés. Le géant du conseil US a opéré une réduction significative du nombre de ses clients liés au gouvernement chinois.
- 23/10/24
La collaboration entre Bain et OpenAI franchit un nouveau cap : développer et commercialiser, grâce à une équipe conjointe, des solutions destinées spécifiquement aux clients Retail et Life sciences du cabinet, avant de viser d’autres secteurs.
- 16/10/24
Dans cette série à suspense qui a débuté en 2016 au Benelux (pour l’Europe), le nouvel épisode se joue en Allemagne : cette fois, EY-Parthenon se déplume au profit d’OC&C.
- 16/10/24
Basée au bureau de New York, Alexandra Truwit a remporté deux médailles d’argent en natation, un an après avoir survécu à une attaque de requin qui a nécessité une amputation.
- 09/10/24
La Firme envisage de revoir ses pratiques de télétravail à la baisse, selon plusieurs déclarations concordantes de partners américains.
- 08/10/24
Frédéric Panier, 43 ans, partner de McKinsey Bruxelles, vient d’être nommé dès le 30 septembre CEO d’AKT, fédération patronale régionale née de la fusion entre l’Union wallonne des entreprises (UWE) et les 5 chambres de commerce du territoire.
- 03/10/24
La 11e Cour d’appel fédérale des États-Unis vient de confirmer la décision du tribunal de première instance de Géorgie au détriment de Bharath Aiyer, partner du bureau de San Francisco de la Firme depuis janvier 2023.
- 30/09/24
Il fait partie des neuf bureaux du cabinet Advancy. Le bureau de New York, ouvert tout juste 20 ans après la création du cabinet, compte aujourd’hui une quarantaine de consultants, dont trois Français, selon le décompte de Consultor.