Comex : les consultants restent persona non grata
Pourquoi les profils de consultants sont-ils encore si rares dans les hautes sphères exécutives des grandes entreprises ? Un gap culturel les sépare. À cela s’ajoute une certaine méfiance de « l’étranger » d’un côté et une attractivité relative de l’autre.
4 % d’anciens consultants en stratégie dans les comex du CAC 40, un faible ratio qui n’évolue pas – ou si peu – au fil des années. Et leur présence à la tête des grandes entreprises françaises fait figure d’exception, à l’instar de la nouvelle nommée Gwendoline Cazenave (McGill University), partner chez Oliver Wyman entre 2020 et 2022, CEO d’Eurostar Group depuis le 1er octobre dernier, ou de Christel Heydemann (X), passée par le BCG en début de carrière, passant d’EVP Europe de Schneider Electric à DG d’Orange au printemps 2022.
Aucun alumni du secteur dans les comités exécutifs de sociétés de secteurs très divers : Renault, Airbus, Thales, ArcelorMittal, BNP, Bouygues, Dassault, Kering, L’Oréal, Veolia, Vinci. Ce n’est donc pas une question de domaine d’activité.
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Une femme, jeune, ancienne consultante, entre dans le cercle ultrafermé des grands patrons du CAC 40. Christel Heydemann, deux ans de BCG, prend ainsi ses fonctions de CEO d’Orange à partir du 1er avril 2022.
Seuls quelques comités exécutifs des entreprises du CAC 40 font la part belle à ces profils consulting. C’est le cas de LVMH, où ils représentent un tiers des membres, Axa, 21 %, Wordline, 17 %… ou encore Schneider Electric, où ils étaient 3 sur 17 membres jusqu’au transfert de Christel Heydemann vers Orange : aujourd’hui, il y a Zheng Yin, DG opérations Chine, consultant durant 3 ans chez Roland Berger (Shanghai), et Laurent Bataille, président de Schneider Electric France (depuis juillet 2021), consultant chez McKinsey Paris de 2000 à 2003. Il faut dire que ce Polytechnicien est un historique de la multinationale française ; il y évolue depuis 2004, entré au sein de l’entité Stratégie et Acquisitions du groupe.
La rencontre de deux mondes
Alors pourquoi certaines grandes entreprises restent-elles plus ou moins frileuses pour les accueillir au sein du Graal opérationnel ? L’alumni d’Oliver Wyman, Laurence Lévy, nouvellement nommée CEO de Repetto, 10 ans chez L’Oréal, a son analyse. « Il y a une véritable méconnaissance du consultant de la part du monde de l’entreprise. Un consultant qui peut avoir une méthode implacable et une approche un peu froide. Certains groupes n’arrivent pas à se projeter. La seule voie pour les consultants, c’est la direction stratégie, sauf à redémarrer de zéro. Mais chez L’Oréal, tout est possible. La preuve, j’ai été nommée à la tête d’entités », témoigne Laurence Lévy. À un détail près… Aucun ancien consultant ne fait actuellement partie du comex de L’Oréal.
Une prime à l’interne, selon Damien Leblond, associé co-fondateur (en 2007) de Selescope, cabinet de conseil en recrutement c-level. « Un groupe du CAC 40 ou une grosse ETI ne voit aucun intérêt à recruter un consultant alors qu’il (elle) a déjà 25 managers du groupe A, tous autour de 40 ans, qui font le job depuis des années. Sauf s’il a une problématique particulière, par exemple, la transformation, avec un positionnement très spécifique », confirme-t-il. Pas surprise non plus, Unity Payton, principal d’Heidrick & Struggles, l’un des principaux cabinets de chasseurs de tête, qui voit ces profils de consultants plus adaptés par leur flexible working pour les organisations agiles que pour les grandes entreprises, encore très tradi, voire un brin rigide, particulièrement dans l’industrie lourde. « La limite est le “fit” culturel et la difficulté des collaborateurs de ces grosses entreprises de travailler avec des personnes qui ne viennent pas du même univers qu’eux », atteste Unity Payton.
Côté candidats – (ex) consultants en stratégie –, intégrer un comex d’une grande entreprise n’est pas non plus considéré comme un Graal. Ces profils privilégient plutôt des organigrammes moins denses et moins figés, au sein des start-ups, de la fintech ou des Licornes. « Quitter le métier de consultant en stratégie pour faire la même chose en interne dans une grande entreprise ou pour changer de métier, mais faire du classique management d’entité n’est pas très attractif », confirme le recruteur Damien Leblond.
La méritocratie selon Schneider Electric
Le président de Schneider Electric France, Laurent Bataille, ex-McKinsey, est à la fois un exemple et un contre-exemple. S’il a fait ses classes durant 3 ans dans le conseil en stratégie en début de carrière, Laurent Bataille évolue dans la maison Schneider depuis près de 19 ans et y apprend les codes de l’entreprise française quasi bicentenaire. Et ce à différents postes, pas moins de 6. Entré assez classiquement pour un consultant dans l’unité Stratégie et Acquisitions du groupe, il a ensuite évolué comme responsable Industrie et Aéro, directeur business solaire, directeur division EcoBuilding, DGA division Digital Energy, et enfin président du groupe France depuis juillet 2021. « Nous aimons construire à partir de l’expertise terrain, pour être les plus opérationnels possibles. Cela s’accompagne d’une culture interne du débat et du consensus qui ne nécessite pas de stimulus externe », partage à Consultor Laurent Bataille. Pour ce membre du comex de Schneider Electric France depuis 2021, ce phénomène s’explique aussi par la situation économique des entreprises. « Lorsqu’une entreprise a des perspectives de développement favorables, il y a moins besoin d’un regard extérieur. Mais l’action d’un consultant peut être utile pour challenger le statu quo ou poser les bonnes questions. »
L’avenir comex des consultants
À y regarder de plus près, c’est une certaine endogamie qui prévaut parmi les « élus des comex » tous issus des mêmes grandes écoles (ENA, X, HEC). « Les consultants, en compétition avec des candidats souvent issus des mêmes écoles, ont une très belle carte de visite pour rentrer dans un groupe, mais pas au sein de la gouvernance. Le frein, c’est qu’ils n’ont pas mis en œuvre. Ils ne passent pas face à des candidats qui ont une expérience entrepreneuriale dans les entreprises très opérationnelles », confirme Damien Leblond. Le patron de Selescope voit cependant quelques exceptions à cette règle, à l’instar de l’internalisation des sujets de transformation ou de la croissance externe (avec souvent une levée de fonds à la clef) qui « nécessitent une bonne compréhension et cartographie du business, des jobs non opérationnels, des sortes de missions en interne ». Ou dans le cadre d’une vraie stratégie d’avenir de la part de ces grandes entreprises. « Certains groupes décident de se constituer un vivier de celles et ceux qui seront demain des patrons de BU. Ils recrutent donc des consultants/anciens consultants comme chefs de cabinet, chargés de mission, directeurs strat’ ou de la performance, les testent 2 ou 3 ans avant de leur confier des rôles du high management », ajoute le chasseur de têtes.
Parce que dans une économie de plus en plus mondialisée, interdépendante et instable, ces profils couteaux suisses de consultants en stratégie apparaitraient de plus en plus comme une réelle valeur ajoutée pour un comex. C’est en tout cas ce que pense Damien Leblond. « Ils sont des généralistes à la base, et leur culture générale de l’entreprise au sens large, avec une capacité d’analyse et de compréhension sur quasiment tous les sujets, capables de faire des liens avec des modèles existants, et qui pour les profils plus seniors, potentiels candidats à intégrer les comex, une véritable expertise d’au moins un secteur », expertise le recruteur. Le président de Schneider Electric Laurent Bataille voit lui aussi un avenir à terme pour les consultants en stratégie dans les comités exécutifs des grands groupes. « La voie d’entrée classique des consultants est bien sûr la stratégie du groupe. Mais cela devrait progressivement évoluer, car les entreprises font beaucoup d’efforts pour pousser la diversité et faire monter des profils différents. »
Et cette tendance a l’air de s’accélérer dans cette ère post-covid et de conflit russo-ukrainien. C’est ce que constate Unity Payton, principal d’Heidrick & Struggles. « Le climat économique est très différent, avec de plus en plus de complexité. Ces candidats-là, les profils consultants et leur agilité intellectuelle, leur capacité à prendre du recul, à naviguer dans différents domaines/secteurs, et de parler avec des interlocuteurs très divers, ont pris de la valeur. »
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