#Metoo #Balancetonporc : le conseil forcé de faire son autocritique aussi
La mobilisation actuelle contre les violences sexistes et sexuelles incite les entreprises à renforcer leurs dispositifs de prévention et de détection internes. Les cabinets de conseil en stratégie n’échappent pas à cette prise de conscience généralisée quant à la nécessité de mieux protéger ses équipes face à ce type de comportements.
- Index de la parité : le conseil progresse, le BCG reste à la traîne
- Index égalité pro : le conseil en stratégie en progrès
- Parité des partnerships : « Paroles et paroles et paroles »
- Écarts de rémunération : le consulting bon élève en 2021
- Ada Di Marzo, directrice générale de Bain à Paris : « Le fruit d’un travail de dix ans »
- Réseaux de femmes dans le conseil : pour quoi faire ?
- Femmes associées : un léger mieux
- Les femmes et le conseil en stratégie
La liste des victimes et des prédateurs sexuels, célèbres ou anonymes, ne cesse de s’allonger. Depuis l’affaire Weinstein, le flot des témoignages de victimes de violences sexistes ou sexuelles semble ne pas devoir tarir. Dans les médias et sur les réseaux sociaux, où les hashdevenir-consultant/breves #metoo et #balancetonporc offrent des espaces de parole très ouverts, la grande majorité des situations incriminées visent l’environnement professionnel. Et sur le modèle de la plateforme « paye ta shnek », dédiée au harcèlement de rue, plusieurs initiatives ont ainsi vu le jour pour recueillir les témoignages dans des milieux historiquement très masculins : « paye ta robe » (avocats), « paye ta blouse » (médecins), « paye ton journal » (médias) ou encore « paye ton sport ».
Toutes contribuent à alimenter le même constat : en dépit de l’adoption d’un arsenal législatif assez complet (lire l’encadré ci-dessous), les violences sexistes et sexuelles perdurent.
La persistance du sexisme ordinaire
Un phénomène que se traduit tout d’abord par la persistance de ce qu’il est convenu d’appeler le « sexisme ordinaire » : une forme de tolérance, voire de complaisance, à l’égard de propos et d’attitudes machistes ou paternalistes, parfaitement assumés par leurs auteurs, et globalement admis par leur entourage, car jugés sans conséquence. Allusions déplacées sur le physique ou la façon de s’habiller, familiarités inappropriées et surnoms infantilisants, insinuations sur des incompétences liées à des stéréotypes ou à une « promotion canapé »…
Le sexisme ordinaire se nourrit tout autant de la non-réaction des victimes que de celle des témoins. Difficile en effet de savoir quelle attitude adopter face aux comportements de quelques « gros lourds », et dans quelle mesure il ne vaut mieux pas sourire, voire répondre dans le même registre, notamment face à des interlocuteurs qui utilisent volontiers le ton de la plaisanterie.
Et difficile de compter sur le soutien des autres dans un environnement qui exalte la culture de la performance, récompense les combattants, et où il est de bon ton de ne pas se comporter… comme une gonzesse.
Harcèlement : la loi du silence
En brouillant les frontières entre ce qui est ou n’est pas admissible, le sexisme ordinaire entretient un climat qui peut ouvrir la porte à d’autres comportements déviants tels que le harcèlement moral ou sexuel. C’est en effet un terreau favorable aux agissements des harceleurs, qui savent par ailleurs pouvoir compter sur la loi du silence.
Le silence des victimes – des femmes, mais aussi, dans une moindre mesure, des hommes –, seules face au traumatisme et à l’humiliation, et qui ne trouvent pas le courage de parler. Celui de leur entourage professionnel, aveugle à ce qui se trame, ou préférant s’obstiner dans le déni ou détourner les yeux dès lors que le coût de la dénonciation paraît supérieur à celui du renoncement. Et enfin, le silence qui entoure le traitement de ces situations quand elles sont identifiées, et réglées en catimini par souci de discrétion.
Sensibilisation, formation et vigilance
Parce qu’il est latent et qu’il avance masqué, le sexisme – dans sa forme la plus « ordinaire » ou la plus déviante – se révèle difficile à juguler pour les employeurs soucieux de garantir la sécurité et le bien-être de leurs équipes. Dans les cabinets de conseil en stratégie, comme dans toutes les organisations dont les équipes sont en contact avec les clients, il peut s’immiscer dans les relations internes, entre collègues, mais aussi entre les consultants et les équipes clients. Ne pas se saisir de cette problématique présente de multiples risques pour un cabinet, qui a tout à perdre à laisser s’installer un climat délétère au sein de ses équipes.
Destructeurs pour ceux qui en sont la cible, ces comportements portent également préjudice à ceux qui en sont témoins, héritiers d’un système qu’ils réprouvent et avec lequel ils doivent composer, instillant parfois le doute quant à leur propre attitude à l’égard du sexisme. Le cabinet prend dès lors le risque de voir ses équipes et ses talents prendre le large à la première opportunité.
En parallèle, il s’expose aussi à un risque de « bad buzz », qui peut venir entacher sa réputation aux yeux du marché. Pour prévenir ces risques, les dispositifs mis en œuvre en interne reposent pour l’essentiel sur la sensibilisation, la formation et la vigilance afin de prévenir et détecter les comportements déplacés.
Ces mesures s’appuient sur des canaux d’information destinés à recueillir les témoignages sur tous types de dysfonctionnements internes. Sans surprise, la prise de conscience provoquée par l’ampleur des révélations depuis ces derniers mois a eu pour conséquence d’inciter les employeurs à renforcer leurs dispositifs internes.
Procédure d’alerte
Chez Vertone, par exemple, cabinet dont la population « est répartie de manière égale entre hommes et femmes depuis longtemps, « ce n’est pas un sujet tabou », affirme Alexandre Bocris, un des associés du cabinet. Cela fait partie des sujets liés au bien-être au travail, à la discrimination et à la diversité, auxquels nous sommes très attentifs. Nous disposons d’un certain nombre de canaux d’information qui permettent de remonter tout comportement déplacé entre collègues, ou entre nos consultants et nos clients : les délégués du personnel, les managers de mission, le mentor de chaque consultant, ou la direction générale, qui garde toujours sa porte ouverte pour répondre à ce type de difficultés. »
Des canaux d’information qui fonctionnent ? « Oui, ils ont déjà permis d’identifier un certain nombre de choses. » En matière de violences sexistes ou sexuelles ? « Nous avons eu à gérer un cas de propos déplacés » qui a amené la direction générale du cabinet à intervenir « pour rappeler le caractère inacceptable de ce comportement, qui ne s’est pas reproduit ».
Dernièrement, les associés ont décidé de « renforcer le dispositif existant avec une véritable procédure d’alerte, poursuit Alexandre Bocris. Ce projet était déjà dans les tuyaux depuis quelque temps et nous venons d’officialiser, au cours de notre réunion mensuelle d’activité, à laquelle tout le cabinet est convié, la mise en place d’une procédure d’alerte sur le harcèlement, moral et sexuel. Nous n’avons pas encore choisi le canal que nous allons privilégier, mais ce sera comme un bouton que l’on peut presser à tout moment. »
En parallèle, le cabinet entend mener « un travail de prévention et de formation, pour expliquer à partir de quel moment on bascule dans le harcèlement, où est la frontière ». Les dirigeants et managers ont-ils un rôle particulier à jouer sur ce terrain en termes d’exemplarité ? « Oui, bien entendu. » Les femmes associées et managers, principalement ? « Non, c’est le rôle de tous. »
Dispositif de soutien psychologique
« Nous sommes la filiale d’un groupe américain où tout ce qui relève de la discrimination et du harcèlement est pris très au sérieux, rappelle Marie Saladin, associée au sein du pôle TMT (Technologie, médias et télécoms), et en charge du programme Women at Bain au sein du bureau de Paris. C’est pourquoi nous avons des dispositifs et des formations qui couvrent, de façon très exhaustive, tout le spectre de cette problématique ».
Le premier axe de cette politique interne consiste « à établir et diffuser la norme », explique-t-elle. Fixée par les professionnal standards du code de conduite du cabinet, cette norme « c’est la tolérance zéro à l’égard du sexisme et du harcèlement ». Une formation sur le code de conduite et les comportements indésirables est dispensée à chaque nouvel arrivant, ainsi qu’à chaque promotion à un nouveau grade.
« Et tous les ans, le code de conduite est renvoyé à tous et on demande de certifier qu’il a été lu et qu’il sera respecté. » Les formations s’appuient sur des exemples de mise en situation très concrets : « Par exemple, votre manager ou la personne qui vous supervise vous propose de prendre un verre, vous refusez et il insiste, que faites-vous ? On explique alors que c’est normal de dire non, et que si la personne se fait trop insistante, il faut en parler à un supérieur hiérarchique, un partner, le référent RH de sa classe d’âge, son mentor ou sa big sister. »
« Très transparent », destiné à « créer un climat de confiance pour libérer la parole », ce dispositif prévoit, « quand la norme n’est pas respectée des sanctions graduées, qui peuvent aller de la réduction des bonus jusqu’à l’exclusion définitive ». Un autre axe consiste à « dispenser des formations spécifiques pour sensibiliser les managers, les consultants et les membres du support staff », poursuit-elle.
À Paris, par exemple, « nous avons fait, en juillet dernier, une formation sur les stéréotypes et les biais inconscients avec tout le partner groupe, et nous sommes en train de la dérouler auprès de toutes les classes d’âge ». Quel rôle jouent les partners dans ce dispositif ? « Ils doivent montrer l’exemple, par leur propre comportement, et en ne laissant rien passer. » Les femmes associées ont-elles un rôle particulier à jouer sur ce terrain ? « Non, je ne pense pas, je ne vois pas de différence. »
Éviter que les situations à risque ne s’aggravent
Au final, ce dispositif a-t-il fait ses preuves ? « Oui, il fonctionne, nous avons eu des signalements de comportements inacceptables – des propos sexistes clairement hors de la norme – et les personnes incriminées qui n’ont pas changé de comportement ont été définitivement exclues du cabinet », répond Caroline Detalle, directrice marketing et communication de Bain Paris.
Des situations gérées en interne en toute discrétion ? « Bien entendu, nous ne pouvons pas clamer urbi et orbi tout ce qui se passe, mais il est en revanche très important de communiquer en interne pour créer la confiance, et c’est pourquoi tous ceux qui travaillaient avec les personnes concernées ont été clairement informés du motif de l’exclusion. »
Des cas de harcèlement sexuel ? « Le dispositif en place permet d’éviter que les situations à risque ne s’aggravent. Mais nous restons humbles et dans l’apprentissage permanent sur ce sujet. » Dernièrement, le cabinet a décidé de déployer un tout nouveau dispositif de soutien psychologique dans l’ensemble de ses bureaux. « Nous venons tout juste de mettre en place à Paris le Bain employees assistance service, reprend Marie Saladin. Il s’agit d’une cellule d’aide et d’écoute confidentielle, assurée par un prestataire externe et accessible 24 heures/24, 7 jours/7, pour tous types de problèmes, aussi bien professionnels que personnels. »
Miren Lartigue pour Consultor.fr
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaire (0)
Soyez le premier à réagir à cette information
France
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.
- 15/10/24
Début octobre, deux nouveaux partners ont disparu de la liste des associés de la Firme : Guillaume de Ranieri, poids lourd du cabinet où il évoluait depuis 24 ans, et Xavier Cimino, positionné sur une activité stratégique.
- 07/10/24
Doté d’un parcours dédié presque exclusivement au conseil (BCG, Kearney, Accenture - entre autres), Mathieu Jamot rejoint le bureau parisien de Roland Berger.
- 03/10/24
Depuis avril 2024, les arrivées se succèdent : après Jean-Charles Ferreri (senior partner) et Sébastien d’Arco (partner), Thierry Quesnel vient en effet renforcer les forces vives, « pure strat » et expérimentées, d’eleven.
- 02/10/24
Minoritaires sont les cabinets de conseil en stratégie à avoir fait le choix de s’implanter au cœur des régions françaises. McKinsey, depuis les années 2000, Kéa depuis bientôt 10 ans, Simon-Kucher, Eight Advisory, et le dernier en date, Advention… Leur premier choix, Lyon. En quoi une vitrine provinciale est-elle un atout ? La réponse avec les associés Sébastien Verrot et Luc Anfray de Simon-Kucher, respectivement à Lyon et Bordeaux, Raphaël Mignard d’Eight Advisory Lyon, Guillaume Bouvier de Kéa Lyon, et Alban Neveux CEO d’Advention, cabinet qui ouvre son premier bureau régional à Lyon.
- 23/09/24
Retour sur la dynamique de croissance externe de Kéa via l’intégration capitalistique de Veltys – et le regard du PDG et senior partner de Kéa, Arnaud Gangloff.
- 23/09/24
Astrid Panosyan-Bouvet, une ancienne de Kearney, et Guillaume Kasbarian, un ex de Monitor et de PMP Strategy, entrent dans le copieux gouvernement de Michel Barnier, fort de 39 ministres et secrétaires d’État. Bien loin des 22 membres du premier gouvernement Philippe ; ils étaient 35 sous le gouvernement Attal.