Réseaux de femmes dans le conseil : pour quoi faire ?
Au diable le plafond de verre ! Défendre l’égalité professionnelle et aider les femmes à évoluer dans leur carrière est au goût du jour.
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En témoigne le nombre de réseaux professionnels féminins présents dans les cabinets de conseil. Mais ces initiatives sont-elles réellement efficaces ? Pour une petite partie, oui, mais encore faut-il que les conditions nécessaires à cette efficacité soient réunies. Au-delà, beaucoup reste à faire.
Les chiffres l’assurent : une égalité professionnelle respectée dans une entreprise est un facteur de performance. La règle vaut aussi pour le conseil en stratégie, milieu concurrentiel par excellence. Cependant, comme notre classement l’a démontré à plusieurs reprises, la parité est loin d’être atteinte.
Pour soutenir les femmes dans leur carrière en brisant le plafond de verre, les coacher ou encore organiser des formations, les réseaux professionnels féminins se développent de plus en plus. Women@BCG, McKinsey Women, The Women's Network chez A.T. Kearney, Women in consulting chez Bain… Ces initiatives ont le vent en poupe dans les grands groupes internationaux.
Une adhésion encore très partielle à ces réseaux
Au BCG, le « programme international, décliné dans chaque pays, Women@BCG, existe depuis plusieurs années [2006 en France], explique Jessica Apotheker, partner et responsable de l’initiative pour la promotion des femmes. Il prend de l’ampleur tous les ans ».
Ce réseau entend promouvoir les recrutements paritaires, la communication pour attirer les futures consultantes, la sensibilisation des hommes contre la misogynie ordinaire. Il organise aussi des afterworks ou encore des « cercles de femmes », des ateliers thématiques animés par un coach.
Dans le conseil, la demande n’est pas négligeable : 83 % des étudiantes ayant participé au Women@BCG en 2015, l’événement au cours duquel le BCG avait présenté son baromètre sur les « femmes et [le] conseil », estiment qu’une politique claire en faveur du recrutement et du développement des femmes est un critère pour sélectionner leur futur employeur.
Pour autant, si la liste des actions menées par les réseaux est prometteuse, toutes les femmes ne rejoignent pas ces derniers. Lors de la rencontre européenne organisée chaque année en présence de toutes les consultantes du BCG, « 30 % des collaboratrices parisiennes font le déplacement, note Jessica Apotheker. Il y a des piliers qui viennent à tous les événements, qui sont sensibles à la problématique et d’autres femmes qui ne viennent jamais ».
Un constat confirmé tous secteurs confondus : 35 % des femmes considèrent qu’utiliser les réseaux ne correspond pas à leur état d’esprit quand 22 % estiment ne pas savoir comment s’y prendre. Marie*, ancienne consultante dans un cabinet de conseil en stratégie, dont le nom ne peut être indiqué du fait de la petite taille de ses équipes, en est le parfait exemple.
Alors qu’elle s’est sentie bloquée, sans perspective d’évolution de fait de son sexe dans son ancien travail, elle n’a pas osé rejoindre un réseau féminin. « J’y ai pensé pourtant, mais je n’aurais pas su lequel choisir. » Et pour les femmes qui franchissent le pas et choisissent un réseau, les chiffres de l’Ipsos, de HEC et du BCG montrent qu’elles ont tendance à considérer le réseau professionnel comme un soutien plutôt que comme un réel outil de carrière (un quart d’entre elles).
Mixité ou non-mixité, telle est la question
C’est justement ce soutien que cite Julie Floutier, principal en charge d’animer localement les initiatives pour les femmes au cabinet A.T. Kearney, lorsqu’on lui demande ce que le réseau lui a apporté : « C’est un réseau interne. Il n’est pas officiel à Paris car on est une petite structure. Mais il est assez fort pour s’y appuyer lorsque l’on rencontre des situations difficiles ou typiquement lors d’un retour de congé maternité par exemple. »
Les femmes d’A.T. Kearney se retrouvent ainsi lors de déjeuners, de cocktails ou lors d'événements comme le Women’s Forum, ce Davos féminin dont la prochaine édition aura lieu au Mexique en mai. Et si les événements du réseau d’A.T. Kearney sont ouverts à tous, « peu d’hommes y viennent, reconnaît Julie Floutier. C’est centré sur les femmes, c'est un moment entre nous. On s’ouvrirait moins s’il y avait des hommes », explique-t-elle.
Cela signifie-t-il qu’il faille nécessairement rester entre femmes dans ces réseaux ? La question fait aujourd’hui débat. « On est toutes ambivalentes sur ce point, répond Jessica Apotheker du BCG. Autant, on n’aime pas être singularisée en tant que femme, autant on remarque bien qu’à une table ronde réservée aux femmes, on se sent plus à l'aise. La parole y est plus libre. Mais bien sûr, on souhaite toutes que des hommes s’impliquent. »
Et d’ajouter : « Il faut qu’ils soient des ambassadeurs au quotidien dans leurs actions. » Claire Laugier-Breton, qui s’est intéressée à la problématique dans son ouvrage Les réseaux professionnels féminins, quand l’entreprise se met au service d’une réussite plurielle (L’Harmattan), persiste et signe : « Ce n’est pas en ostracisant les femmes que les réseaux professionnels auront plus d’impact et de crédibilité dans l’action. »
Le grand livre pour l'égalité femmes-hommes (Afnor éditions) appelle à aller progressivement de la non-mixité à la mixité. Ainsi, note l'ouvrage paru en 2016, « les réseaux professionnels féminins peuvent être une première étape pour apprendre à réseauter » avant « une ouverture » vers un réseau mixte.
Le conseil, « un milieu encore old school »
À condition bien sûr que les hommes montrent une réelle volonté de s’engager en faveur de la parité. Et de l’intérieur, la détermination masculine semble incertaine. Selon Anne*, ancienne consultante passée par plusieurs sociétés de conseil, la place des femmes dans la société est un sujet qui « fait rire dans le conseil ».
Lorsqu’elle exerçait son métier à Paris, « la maturité était absente », assure-t-elle. Elle confie avoir rencontré des situations paternalistes et sexistes : « L’univers du conseil est un milieu encore “old school” », juge-t-elle.
Lorsqu’on demande à Marie* si elle a été victime ou témoin de situations sexistes, elle s'esclaffe : « Est-ce qu’une femme a déjà répondu non à cette question ? » Elle ne compte plus les surnoms comme « la petite » ou « ma petite chérie » donnés par ses anciens collègues (hommes comme femmes).
Dans son cabinet, il n’y avait pas de réseau féminin. La faute à la petite taille de la structure, mais pas seulement : « Il y a une telle compétition que la sororité qui aurait pu exister n’était pas envisageable », confie-t-elle.
Mais les réseaux, par leur capacité à créer une solidarité, sont-ils suffisants ? « Ils sont nécessaires, mais avec de vraies actions, des formations, un travail sur le développement du leadership, du mentoring, renchérit Anne*. Il ne faut pas que les réseaux servent que lors de la Journée internationale pour les droits des femmes. »
Surtout, « les messages doivent être portés par les dirigeants, le comex [comité exécutif], le codir [comité de direction]. Les réseaux doivent être accompagnés pour sortir de leur carcan », ajoute l’ancienne consultante.
La responsabilité des jeunes générations
La jeune femme montre tout de même une pointe d’optimisme, en évoquant les jeunes générations. Un constat que partage Jessica Apotheker, du BCG. « Il y a un progrès considérable de la part des hommes. Les 20-30 ans sont souvent déjà sensibilisés, dans leur vie privée notamment, où ils partagent davantage les tâches que leurs aînés. Le sujet de l’égalité leur est presque inhérent. »
Et les autres ? « Pour les générations plus âgées, il y a une vraie sensibilisation. Certaines choses ne sont plus autorisées », assure la partner du BCG. L’idéal serait d’en finir avec les remarques déplacées ou les blagues potaches, même du côté des clients.
Si les commentaires déplacés étaient courants par le passé, ils se font plus rares aujourd’hui. « Et puis, il y a une prise de conscience : l’égalité est une problématique business de premier plan, concède Jessica Apotheker. Les entreprises ne peuvent pas se passer des talents féminins. »
Ce que confirment les chiffres : si la parité en entreprise était respectée, le produit national brut français gagnerait 12 000 milliards de dollars d’ici à 2025. Et c’est une étude du cabinet McKinsey qui le dit.
Audrey Fisné pour Consultor.fr
*Afin de respecter l’anonymat demandé, les prénoms ont été modifiés.
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