Etat et conseil : le gouvernement sort du bois
Un nouveau marché de conseil très encadré auprès des acteurs publics. Voilà ce que nous promet le gouvernement depuis plusieurs mois via notamment le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guérini. À l’heure de la publication officielle de l’avis de marché et de ses nouveaux attributaires, les pouvoirs publics se veulent rassurants sur l’utilisation raisonnée de l’argent public pour les missions de conseil jusqu’à la fin du quinquennat.
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Annoncé puis repoussé depuis près d’un an, le marché de conseil quadriannuel orchestré par la DITP (Direction interministérielle à la transformation publique) est enfin officialisé par sa mise en ligne, quelques jours après les indiscrétions du site Acteurs Publics. Il faut dire que la commission d’enquête sénatoriale a donné un grand coup de pied dans la fourmilière des dépenses de conseil de la sphère publique. Depuis, à grand renfort d’engagements et de mise en place de garde-fous de la part du pouvoir, le nouveau juteux marché sur quatre ans de quelque 150 millions d’euros (porté à 200 M€ en cas de « crise majeure »), doté de trois lots relatifs « à la réalisation de prestations de conseil en stratégie, en cadrage et conduite de projets, et en efficacité opérationnelle », sera finalement partagé par dix mandataires et dix co-traitants.
Sur les six candidatures reçues pour le lot 1 stratégie (doté de 30 à 40 millions d’euros), l’État a ainsi renouvelé sa confiance à deux cabinets déjà mandataires lors du précédent marché, le Boston Consulting Group et Roland Berger. Mais nouveauté cette fois-ci, ni l’un ni l’autre ne se sont présentés en groupement, ni avec un co-traitant. Ils sont d’ailleurs les deux seuls mandataires (avec EY sur le lot 2) sur les dix sélectionnés à avoir fait le choix de ne pas s’adjoindre de co-traitants. C’est dire la capacité de la force de frappe de ces cabinets.
Le troisième mandataire du précédent marché, McKinsey, s’est lui-même retiré et n’a pas postulé pour le nouvel appel d’offres, alors que le PNF a ouvert une enquête pour « blanchiment aggravé de fraude fiscale », élargi dans un deuxième temps à « favoritisme » et « tenue non conforme de comptes de campagne ».
Oliver Wyman, premier de la classe
And last but not least, c’est Oliver Wyman qui arrive bon premier – en termes de notation globale, technique (60 %) et prix (40 %) – du trio des mandataires du premier lot stratégie. Un cabinet qui n’intervenait pas jusqu’à présent auprès des ministères, mais qui a décidé de changer de « voilure publique », comme vient de l’annoncer à Consultor la nouvelle gouvernance. Et ce, notamment pour atteindre l’objectif du doublement de sa taille en Europe. Dans cette optique, pour se préparer et renforcer ses compétences bien spécifiques à ce secteur, les bureaux parisiens ont fait appel en 2021 à un monsieur Secteur public, Jean-Patrick Yanitch, avec un « CV service public » bien garni : ancien conseiller de la Commission européenne, de la Banque de France, de la Direction du Trésor, de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, mais aussi chef de la task force organisationnelle du G20/G7 en France (2010-2012) ou de la préparation du G20 en Arabie Saoudite (2019-2020)… « Le service public n’est pas une nouveauté pour notre cabinet, en France, comme dans d’autres pays européens, le Royaume-Uni, l’Allemagne, par exemple. Nous travaillons depuis longtemps pour des entreprises publiques françaises, comme la Caisse des Dépôts, la RATP, la SNCF. Nous avons donc des compétences internes très fortes. Mais ce qui est nouveau, c’est d’avoir une practice organisée », confirme à Consultor le partner directeur Secteur public. À ses côtés, trois autres partners complètent cette team : Nicolas Pette, de la practice Organization Effectiveness, Guillaume Thibault, « un pur service public et mobilité », et Anthony Charrie, basé à Londres, « un spécialiste des agences types Caisse des Dépôts, qui a accompagné de nombreux ministères européens ». Ce qui porte aujourd’hui le pôle secteur public en France à « plusieurs dizaines de consultants et managers mobilisables », d’après Jean-Patrick Yanitch.
Les atouts différenciants d’Oliver Wyman par rapport aux autres cabinets en lice ? « Nous avons des points forts qui résonnent bien dans la sphère publique, à l’instar du climat, nous accompagnons plusieurs forums internationaux sur le sujet ou la résilience des organisations face aux chocs avec notamment la force de notre maison-mère dans le domaine de la maîtrise du risque », appuie Jean-Patrick Yanitch.
Pour ce faire, le géant international Oliver Wyman s’est aussi adjoint un co-traitant français, Eurogroup, cabinet spécialisé en organisation créé en 1982, 400 collaborateurs en France, présent dans 32 pays avec 2000 consultants. « Ce n’est pas une alliance de circonstances, nous travaillons déjà avec eux, à chacun ses compétences, nous avons souhaité nous associer avec un leader de l’organisation », ajoute Jean-Patrick Yanitch.
Concrètement, les 30 à 40 millions d’euros de budget de ce premier lot de conseil en stratégie seront répartis à parts égales entre les trois mandataires sur les quatre ans et les missions seront allouées par ordre de classement. Le cabinet Oliver Wyman, arrivé en tête, sera donc appelé le premier par l’ensemble des ministères (et la vingtaine des autres établissements publics bénéficiaires) demandant une prestation d’accompagnement. Ensuite, principe de tourniquet oblige, ils feront appel chronologiquement au BCG, deuxième, puis à Roland Berger, troisième.
Toujours pas de cabinets de conseil en stratégie made in France donc pour assurer l’accompagnement des acteurs publics. Il faut dire que la barre (financière) est infranchissable pour les cabinets de plus petite taille ; l’appel d’offres exigeant « la réalisation d’un chiffre d’affaires concernant les prestations objet du marché minimal de 20 000 000 € sur les trois dernières années ».
La DITP, gendarme des bonnes pratiques
Le ministre Guérini le martèle depuis plusieurs mois. Finie la période dorée du no limit des missions de conseil auprès de la sphère publique. Dans ce nouvel accord-cadre, de nouvelles règles, inscrites noire sur blanc, doivent être les garantes des bonnes pratiques du consulting. « Chaque acteur public devra déposer sa demande de prestation sur la plateforme d’achats publics. Et nous avons mis en place des systèmes de contrôles à toutes les étapes de la prestation qui garantissent déontologie et transparence », assure à Consultor la DITP. Concrètement, cela passe par la signature d’une charte de déontologie et de déclaration d’absence de conflits d’intérêts (sous peine d’une amende de 5000 €) et l’interdiction des actions de démarchage et de prospection, un plafonnement des missions (à 2 millions d’euros par prestataire), l’identification des livrables par la charte graphique du cabinet, la publication des livrables sur le site de la DITP, l’évaluation des missions, la destruction des données après utilisation, l’application stricte du principe de tourniquet (faisant ainsi « tourner » les cabinets mandatés)… « Un cabinet ne peut plus travailler sur la même politique de transformation publique deux fois de suite afin d’éviter toute forme de dépendance. C’est le prestataire qui présente le montant de commande le plus faible qui sera automatiquement sélectionné, l’objectif étant d’égaliser autant que possible le chiffre d’affaires des prestataires d’un même lot. Le ministre va aussi adresser aux gros opérateurs de l’État, la CAF, Pôle Emploi, l’obligation de publier la liste des prestations passées, avec objet de la mission, coût et cabinet mandaté », ajoute-t-on du côté de la DITP.
Autre engagement pour le moins détonnant, l’interdiction des anglicismes dans les livrables, avec à la clef, une amende de 100 euros par utilisation des vocables « design » ou « benchmark ». Les consultants ont du pain sur la planche pour réintégrer du français dans leurs livrables, sauf à avoir une facture salée en bout de course.
Pour assurer un suivi serré de ce marché quadriannuel, le guichet unique des achats des prestations de l’État, la DITP, s’est également renforcé. « Nous avons également créé 25 nouveaux postes pour compléter les équipes de la DITP qui permettent d’assurer un meilleur suivi », confirme-t-on en interne. Acté dans la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 relative à l’encadrement du recours aux prestations intellectuelles, le pôle interministériel d’achat de prestations de conseil a par ailleurs été créé pour « favoriser l’application des bonnes pratiques du recours à des consultants ». Ce pôle a notamment la charge de privilégier les missions réalisées en interne, et de donner un avis dans les comités d’engagement ministériels pour les commandes supérieures à 500 000 € TTC. « Ensuite, si le recours est justifié, l’équipe du pôle veille à ce qu’il soit organisé dans les meilleures conditions possibles : marché adéquat, juste retranscription des besoins dans une proposition technique et commerciale pertinente, mise en place des conditions de succès pour la conduite du projet au sein du ministère, application des clauses en matière de déontologie, de traitement des données… ce qui renforce la maîtrise en amont du recours au marché », complètent les services de la DITP.
Une circulaire de la Première ministre publiée dans les prochains jours va par ailleurs ouvrir l’encadrement des dépenses de conseil aux prestations intellectuelles informatiques, jusqu’alors exclues des nouvelles réglementations.
Une diète de conseil déjà en œuvre ?
Le cadre mis en place depuis moins d’un an porte-t-il déjà ses fruits ? C’est en tout cas le message que veut porter la baisse annoncée officiellement de 35 % des dépenses des ministères consacrées au conseil en stratégie et organisation en 2022 par rapport à 2021. Les dépenses de l’État (et ses opérateurs) auprès des cabinets de conseil privés s’élèvent ainsi officiellement à moins de 177 millions d’euros sur l’année 2022, contre quelque 271 millions d’euros en 2021. Une baisse spectaculaire qui dépasse même de très loin les souhaits gouvernementaux. Le 19 janvier 2022, le Premier ministre d’alors, Jean Castex, avait fait passer une circulaire invitant les ministères et administrations centrales à réduire leurs dépenses de conseil en stratégie de 15 % dès 2022.
Le fruit (ultra rapide) d’une politique offensive ? Plutôt la conséquence d’une double conjoncture comme le concède à Consultor la DITP. Qui reconnait que 2021 a, en effet, été une année exceptionnellement élevée en termes de dépenses de conseil, et a contrario, 2022, une année de transition de marché public avec une voilure réduite du nombre de missions.
Il faut aussi manier ces bons résultats officiels avec précaution. Ce taux est calculé à partir des montants des dépenses avancés par le gouvernement, 271 millions, bien loin de ceux évalués par la commission sénatoriale qui avait tablé sur 900 millions d’euros en 2021 (dont la moitié concernait des dépenses de conseil en stratégie). Une méga différence dont l’explication serait, selon le ministère de la Fonction publique, une question de prise en compte d’un périmètre de missions plus restreint (excluant les dépenses de conseil informatiques).
Une chose est sûre. Ce marché annoncé comme plus vertueux va être scruté à la loupe. Car il concerne l’ensemble des ministères, à l’exception du ministère des Armées qui conserve son marché dédié de 50 millions d’euros. Mais seulement une vingtaine d’établissements publics qui ont souhaité en bénéficier, dont l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, deux Agences régionales de santé, la BNF ou encore l’université de Pau. Plusieurs gros pourvoyeurs de conseil en stratégie sur les dernières années, à l’instar de la Caisse des Dépôts, restant à l’écart.
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