Plus que jamais, conseil en stratégie rime avec IT
Microsoft, SAP, Salesforce… les cabinets de conseil en stratégie multiplient les partenariats affichés avec les géants éditeurs de solutions IT pour les entreprises.
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Ils sont symptomatiques d’un élargissement du périmètre de leurs missions sur ce sujet à des fins de croissance. Ils constituent aussi un risque pour l’image de cabinets dont le positionnement se veut ultrapremium et pourraient rebuter des candidats.
Les practices de stratégie IT ne sont pas nouvelles dans les cabinets de conseil en stratégie. 5 % des 250 consultants de Roland Berger se consacraient au sujet quelques années en arrière (relire notre article). Aujourd’hui, tous les cabinets ou presque affichent des départements, des practices ou des expertises dédiés.
« J’ai toujours entendu le BCG, Kearney et les autres consacrer une partie significative de leurs ressources à l’IT. Parce que l’IT recouvre des problématiques infinies qui souvent sont mal maîtrisées », appuie Eric Baudson, consultant indépendant et ancien partner IT chez Kearney ou au BCG qui fut aussi directeur des systèmes d’information du groupe Crédit Agricole.
Un sujet très ancien et très prégnant donc. Qui connaît ces derniers mois ou ces dernières années une certaine accélération.
SAP mania
Deux récents partenariats en témoignent.
Le 10 mai 2022, SAP et McKinsey annoncent s’unir pour constituer une alliance stratégique dans différents domaines, comme le retail ou l’automobile. Objectif : permettre aux clients une intégration de bout en bout de SAP S/4HANA, la suite de services IT aux entreprises dans le cloud mise sur les rails par SAP en 2017.
Le tandem est ainsi intervenu chez Merck pour faire le ménage dans les différentes plateformes IT du groupe allemand de chimie et de pharmacie, et les agréger en une seule solution globale. En France, c’est notamment Jérémie Caullet, partner à Paris et coleader de McKinsey digital, arrivé de PwC en 2021 et ancien de Microsoft, IBM ou Accenture, qui mettra en musique ce partenariat.
Autre exemple quelques semaines plus tôt, entre le BCG et SAP cette fois-ci : les deux entreprises ont annoncé mettre à disposition de leurs clients des solutions communes à même de réduire plus rapidement et plus efficacement leurs émissions de gaz à effet de serre, grâce à l’alliance des solutions technologiques internes aux deux entreprises. Désormais, CO2 AI by BCG (une solution développée par BCG Gamma censée permettre aux entreprises de tracker et de réduire les émissions de CO2) pourra être coordonné avec SAP Product Footprint Management (qui fait à peu près la même chose). De même, le BCG CIRCelligence (l’outil de conseil en économie circulaire du cabinet) pourra interagir avec SAP Responsible Design and Production solution (sur un périmètre à peu près similaire).
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Que reste-t-il de l’ambition d’Accenture dans le domaine du conseil en stratégie avec cette nouvelle organisation ? Éléments de réponses.
IT mon amour
Un mouvement que corrobore Marc Gigon, global digital advisor de Microsoft, après avoir passé trois ans chez Roland Berger en tant que partner sur des sujets IT. « Je vous confirme que ce mouvement est à l’œuvre, c’est tout à fait vrai dit-il. Traditionnellement, les cabinets de conseil en technologie effectuaient l’intégration dans les entreprises des solutions technologiques, Accenture pour SAP, Capgemini pour Salesforce. Cela a toujours existé. Ce qui a changé grosso modo ces cinq dernières années avec l’essor de la transformation digitale est que l’IT ne se réduit plus à un ERP défaillant ou un problème informatique que l’on confie à des techniciens spécialisés. Les cabinets de conseil en stratégie, McKinsey, Bain, BCG et les autres, se sont rendu compte que la technologie est devenue un sujet stratégique clé. Pour eux, il s’agit d’un sujet majeur de croissance à deux égards : sur le conseil en stratégie de transformation digitale, mais aussi parce que des sommes autrement plus colossales sont dépensées dans l’intégration de solutions IT que dans le seul conseil en stratégie. »
Même constat d’un partner conseil au sein d’un Big Four aujourd’hui en charge notamment des alliances avec des géants de l’IT tels que SAP, Google ou Salesforce, qui a requis l’anonymat.
« Nous avons récemment perdu une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage contre un cabinet de conseil en stratégie historique. Ils se rendent compte qu’ils ne peuvent plus se permettre de ne pas coller aux technologies et aux solutions. Ils doivent montrer aux directions générales qu’ils savent les implanter ces solutions de de A à Z et dans tous les niveaux de l’organisation », témoigne-t-il.
Aux questions concrètes de leurs clients, des réponses concrètes sont attendues. SAP, Oracle ou Microsoft Dynamics pour une direction financière ? SuccessFactors pour une direction des ressources humaines ? ServiceNow pour une direction de l’IT ?
« Dans une mission de conseil en stratégie pour un laboratoire pharmaceutique, il est nécessaire de savoir dire au client que vous maîtrisez les solutions technologiques pour mettre en musique cette stratégie, de savoir établir un schéma directeur des investissements en software et hardware déjà investis et la manière avec laquelle il devra évoluer », appuie notre source.
À tel point que 50 % des missions conduites de l’activité consulting de ce Big Four font intervenir des partenaires technologiques (Adobe, Amazon Web Services, Coupa, SAP, ServiceNow, Workday, Google…).
Indépendance en danger
Ce rapprochement entre cabinets de conseil en stratégie et IT pose plusieurs questions. À commencer par celle de l’indépendance des consultants en stratégie quant aux conseils qu’ils donnent à leurs clients : les cabinets ont-ils partie liée avec l’un ou l’autre des éditeurs de solutions technologiques ?
Comme le rappelle Eric Baudson. « Il ne doit pas y avoir de ponts entre les entreprises de technologies et les cabinets de conseil en stratégie historique. Car quand vous conseillez des entreprises sur leur stratégie IT, vous devez être agnostique. Ce qui n’empêche pas des contacts réguliers comme un médecin qui se tient informé des médicaments et des traitements. Le client vous attend là : la connaissance de l’éventail des solutions et pour laquelle opter d’un point de vue objectif. Et si le client a déjà fait son choix, il n’ira pas chercher un cabinet de stratégie plus cher, mais un Capgemini ou un Accenture qui conseillera le client très efficacement de manière opérationnelle. »
Rester vierge de tout lien avec les géants de l’IT pour mieux apprécier leurs forces et faiblesses : ce principe, vrai en théorie, est à nuancer en pratique. « Agnostiques, les consultants en stratégie doivent l’être, mais cela ne peut être que limité à un petit nombre de solutions, Salesforce, SAP ou Pega, Amazon ou Google, par exemple. Les consultants en stratégie ne peuvent pas être bons sur l’ensemble des solutions au risque de se diluer », modère de son côté Marc Gigon.
Quand notre dernière source défend qu’« il y a souvent des accords de partenariat, ce qui n’empêche pas de recommander à un client des solutions hors partenariat d’une start-up concurrente parce qu’elles sont objectivement meilleures ».
Prêt-à-porter vs haute couture
Ce rapprochement pose aussi la question du modèle haute couture unique censé être celui des cabinets de conseil en stratégie vis-à-vis de leurs clients, quand ils s’associent à des solutions IT « sur étagère » comme elles sont surnommées. Ces solutions sont fournies par des géants de l’IT qui commercialisent ces solutions à large échelle.
« Le modèle économique des fournisseurs de softwares est de vendre leurs solutions à grande échelle pour amortir leurs coûts fixes. A contrario, le conseil en stratégie doit davantage être dans la recherche de solutions uniques. Nous voyons revenir des clients à qui des solutions sur étagère ou autres ont été fournies, chez qui elles n’ont pas fonctionné. Elles font gagner du temps au début, mais elles en font perdre après », appuie par exemple David Vidal, le managing partner de SKP en France.
SKP a choisi de son côté de ne réaliser que des solutions propriétaires, via sa marque Engine, plus à même selon lui de donner de véritables avantages concurrentiels à ses clients.
Des acquisitions
Autre levier enfin : les acquisitions. Pas plus tard que début mai, McKinsey annonçait par exemple avoir racheté le cabinet S4G en Espagne. Nul autre que le premier partenaire ibérique de Salesforce.
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