EY : la scission du conseil et de l’audit entre dans le vif du sujet
Quelques jours après l’officialisation à l’échelle mondiale d’un plan de scission des activités d’audit et de conseil, les quelque 350 partners français doivent à présent s’accorder sur les détails de la séparation et ses impacts sur les activités de conseil et de conseil en stratégie : ce qui ne sera pas une mince affaire.
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L’annonce du jeudi 8 septembre a fait figure de séisme. Dans un communiqué, EY indique que la direction du groupe a donné son aval à un vote des partners sur une scission du groupe en deux entités.
Quelques jours plus tôt, lundi 5 septembre, réunis à Londres, les 15 grands pays réalisant 80 % du chiffre d'affaires d'EY – dont la France – validaient unanimement la poursuite du projet de scission.
Une scission venue de loin
L’annonce n’est en réalité pas soudaine. « Le sujet a toujours plus ou moins été sur la table. Le consulting a toujours été frustré par les barrières posées par le chanel 1 (les métiers réglementés d’audit, ndlr). Plus le conseil a crû au sein du groupe EY, plus ces barrières ont été discutées. Quand j’y étais, certains leaders de la firme se demandaient déjà ouvertement à quoi ressemblerait la firme si elle opérait un spin off de sa partie conseil », se souvient un ancien partner.
À ce mouvement de fond se sont ajoutés des ratés d’audit majeurs d’EY (Wirecard, Luckin Coffee, NMC Health PLC, etc). Ces loupés ont alimenté des mises en garde du régulateur au Royaume-Uni. Dès 2018, le Financial Reporting Council (FRC), le gendarme de l’audit au Royaume-Uni, annonçait qu’il pourrait interdire aux cabinets de fournir du conseil aux entreprises dont ils sont chargés de vérifier les comptes. La même année, toujours au Royaume-Uni, KPMG annonçait que le cabinet ne fournirait plus de services jugés non essentiels aux 90 grandes entreprises du FTSE 350, l'indice phare de la Bourse de Londres, dont il est, par ailleurs, auditeur.
« Il fallait splitter, c’était devenu quasi obligatoire au UK », appuie auprès de Consultor un ancien partner d’EY.
D’où le Project Everest qui était en gestion depuis novembre 2021. Un plan à rebours de la stratégie précédente (NextWave) de Carmin Di Sibio, le CEO d’EY, qui était de faire croître le groupe en un tout unique. En février 2022, Goldman Sachs et JPMorgan avaient été mandatés et en mai une étude de faisabilité plaidait pour une introduction en bourse.
Une nouvelle entité conseil introduite en bourse
Un projet ancien qui franchit donc une étape de plus à présent. Dans le détail, la scission prévoit la création de deux structures distinctes, se répartissant les 42,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires à 40% pour l’audit et 60% pour le conseil.
La nouvelle entité conseil serait introduite en bourse. Ses actions seraient attribuées à 70% aux partners, 15% aux autres salariés et les 15% restants à des actionnaires tiers. Cette vente de 15% du capital de la nouvelle structure, EY en escompte 11 milliards de dollars. Auxquels la firme ajouterait 18 milliards de dollars d’endettement.
Un total de près de 30 milliards de dollars qui servirait à payer les partners audit qui resteraient dans le business historique – le plus stable mais qui croît le moins vite. Le plan de scission prévoit que leur sera versé l’équivalent de 2 à 4 packages annuels, soit 2 millions de dollars par partner au moins au Royaume-Uni et aux États-Unis.
De leur côté, les partners consulting recevraient – sur cinq ans – des actions de la nouvelle entité conseil, équivalent à 7 ou 9 fois leur rémunération annuelle. Et devraient consentir à des baisses de rémunération.
13 000 partners mis au vote
13 000 partners doivent à présent voter sur le projet d’ici fin 2022 ou début 2023. Ce qui n’est pas une mince affaire : l’opération consiste tout de même à couper en deux un groupe de 312 000 personnes présent dans 140 pays. En interne, il faut convaincre de la faisabilité de l’opération et des endroits où la scission doit être faite. Parallèlement, des discussions sont menées avec des centaines de régulateurs à travers le monde.
Ceci dit, une majorité relative – par exemple des 30 pays les plus importants du réseau EY dans le monde – est suffisante pour faire avancer la scission, a indiqué Carmine Di Sibio au Wall Street Journal. EY Chine est par exemple d’ores et déjà hors de l’accord.
Si la scission est votée, la firme prévoit une introduction en bourse et a mandaté plusieurs banques d’affaires en ce sens – sauf si le marché était trop baissier à l’instant T, dans ce cas l’opération serait repoussée.
Les vertus supposées de la scission…
Sur le papier, EY n’y voit que des avantages. Le plan de scission table sur une accélération des marges du conseil et un chiffre d’affaires en hausse de 15 à 20% par an sur les trois premières années. L’entité conseil nouvelle version pourrait s’ouvrir le marché du conseil avec des géants de la tech, par exemple Alphabet, Amazon ou Salesforce dont EY est aujourd’hui l’auditeur – et qu’EY Consulting ne peut donc pas approcher pour des raisons réglementaires. EY veut aussi croire que la nouvelle entité cotée pourrait vite gagner en valorisation. Et de citer le succès d’Accenture dont la valeur est passée de 6 milliards après sa séparation d’Andersen en 2001 à 175 milliards de dollars à l’heure actuelle.
En France, Éric Fourel, le président d'EY France, a indiqué aux Échos que la future entité indépendante pourrait rivaliser avec des gros acteurs comme Capgemini, sur la partie IT, ou le BCG dans le conseil stratégique. Voilà pour le projet sur le papier.
Chez les 350 partners français, le « no comment » est général. Tout juste quelques-uns glissent-ils à Consultor en substance que tout le monde adhère sur la stratégie d’ensemble et qu’il s’agit d’un moment unique dans leur vie de partner chez EY.
Mais dans le même souffle, ils préviennent aussi que l’examen des modalités concrètes de la scission sur les périmètres qui les intéressent directement, France ou Europe par exemple, va débuter. Et que ce sera le plus dur.
… et les nombreuses questions qu’elle pose
À juste titre, car plusieurs questions se posent. Primo, sur le périmètre de l’opération. Le conseil aujourd’hui chez EY est incarné EY Consulting. L’activité représente environ 70 000 personnes dans le monde, dont un millier en France. EY Parthenon, la marque de conseil en stratégie, représente, elle, 9 000 consultants, dont 200 en France. EY Parthenon a récemment été rapproché des transactions (l’un des quatre grands métiers d’EY avec l’audit, le fiscal et le consulting) pour former une équipe EY Strategy & Transactions (relire notre article). Comment ces activités seront-elles organisées dans un spin-off ?
Secundo, sur le deal proposé aux partners côté consulting. Un ancien se montre sceptique. « Les partners audit prennent du cash tout de suite. Pour les partners consulting, on leur a bourré le mou avec des compensations de 7 à 9 fois leur package annuel en actions, mais avec des baisses de rémunérations annuelles à prévoir. Le net est-il si avantageux ? De plus, il faut que l’entrée en bourse fonctionne. Or ce n’est pas du tout le moment de faire une entrée en bourse. Peut-être dans un an ou deux. Auxquels il faut ajouter des délais de rétention des talents qui étaient de cinq à huit ans selon les profils lors du spin off Accenture – Andersen. Tout le monde voudra-t-il signer pour dix ans ? ».
Tertio, sur les perspectives de croissance de la nouvelle entité de conseil. Autres doutes d’un autre ancien. « Les partners consulting vont perdre quelque chose. La marque dispose d’un accès phénoménal aux clients, avec l’angle audit certes. EY Parthenon est parmi les meilleures marques de conseil en stratégie en France. Le restera-t-elle si demain elle s’appelle Schmilblick Consulting ? Au mieux, il y aura un très gros boulot à fournir pour y arriver. »
Car aujourd’hui, le conseil en stratégie et le consulting au sens large bénéficient de leur intégration dans un groupe multiservices. Même s’il n’y a pas de mélanges de genres entre les métiers réglementés (audit, « chanel one ») et les autres services (taxes, consulting, transactions, « chanel two »), un jeu de vases communicants est tacitement à l’œuvre.
« Au lieu d’attendre le dernier jour de la fin du mandat d’audit, on commence à expliquer aux clients de dix à dix-huit mois en amont que le groupe est aussi positionné sur d’autres services », disait une source à Consultor chez un Big Four (relire notre article).
Des questions que se posent aussi sans doute les partners français qui auront à voter ou non cette scission. Ceux interrogés par Consultor sont partagés entre obligation de réserve, excitation et… prudence. Car, comme le rappelle l’un d’eux : « Le diable est toujours dans les détails ».
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