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Le virage à 180 degrés d’un Partner de McKinsey pour servir les plus pauvres

 

Le Lyonnais, Manuel Patrouillard, 53 ans, consultant McKinsey durant treize ans, a été nommé DG de Handicap International en 2014.

L’ex-« médecin des entreprises » a fait le choix de l’humanitaire, où il met ses compétences de stratège, entre autres, au profit des invisibles des pays les plus pauvres.

Barbara Merle
18 Déc. 2020 à 05:00
Le virage à 180 degrés d’un Partner de McKinsey pour servir les plus pauvres

 

L’ancien partner de McKinsey & Company y a été consultant de 1998 à 2000, puis de 2001 à 2012, aux bureaux de Paris, de Lyon, de Madrid… et de Genève. Drôle de coïncidence pour celui qui souvient avoir été « le gars, sans compétence dans aucun domaine en particulier, que l’on pouvait appeler dans toutes les situations, à tout moment, pour mon appétence à résoudre les problèmes ».

Le stratège devenu humanitaire

À la fin d’un cycle, Manuel Patrouillard quitte McKinsey et le conseil pour réfléchir à une nouvelle vie pro qui l’a mené par hasard à l’humanitaire, d’abord au sein de l’ONG Aide et Action, association de développement par l’éducation, puis dans l’une des plus emblématiques, Handicap International, qui a pris un nouveau nom d’usage en 2018, Humanity & Inclusion.

C’est en croisant la route du fondateur de l’ONG, Jean-Baptiste Richardier, et de son président, Jacques Tassi, un ancien d’EY, que l’ex-consultant a été happé par la cause et a eu envie de la porter. Autre coïncidence : il était personnellement adhérent de cette association depuis plus de quinze ans, déjà en totale adéquation avec ses valeurs donc.

Moi, consultant ? Non, jamais !

Des valeurs qui ne sont pas exactement celles du conseil en stratégie d’entreprise. D’ailleurs s’il en est un qui reconnaît franchement que le métier de consultant ne faisait pas partie de ses projets, c’est bien Manuel Patrouillard.

Diplômé de HEC promo 1991, le jeune Manuel Patrouillard voulait réaliser sa carrière pro dans des domaines bien concrets.

« J’avais très envie de pratico-pratique, et surtout pas d’aller vers ces gens de théorie qu’étaient les consultants pour moi à l’époque. C’était un biais familial, mon père, industriel qui avait à faire avec le conseil ne m’en disait pas que du bien. C’était certain, je n’irais jamais dans ce secteur ! »

Après une année, entre 1991 et 1992, en Nouvelle-Calédonie comme lieutenant-chef de quart dans la Marine nationale, Manuel Patrouillard choisit donc le monde de l’entreprise. Chez Bouygues, il sera respectivement business analyst, controller, puis project manager durant les cinq années qu’il passera chez le géant du BTP et des médias d’alors.

« J’ai été propulsé conducteur de travaux. J’ai ainsi livré 500 logements en région parisienne, travaillé à des modèles d’interconnexions… Mais j’ai rapidement vu les limites de l’organisation, sans recul, sans management inspirant. À cette période, l’entreprise avait une culture très traditionnelle et conservatrice. J’avais plus l’impression d’apprendre auprès du plombier ou du maçon qu’auprès de mon supérieur. »

À l’école du conseil

C’est en 1998 que le conseil vient à lui par l’intermédiaire du cabinet McKinsey qui le contacte. Manuel Patrouillard accepte de passer les entretiens et d’y entrer, « une façon de partir de chez Bouygues, sans l’intention d’y rester ».

Il y reste d’abord deux ans, avant de rejoindre comme chef de la stratégie, le groupe G7, acteur du secteur des services, en particulier de la mobilité. Mais trop tard : il avait déjà attrapé le virus du conseil, comme il le reconnaît aujourd’hui.

En 2001, il retourne chez McKinsey pour « la capacité à prendre du recul sur tout, à débiaiser fortement les perspectives des décideurs, à structurer les problèmes pour les résoudre, à embarquer toutes les parties prenantes, à s’intéresser aux individus dans leur progression avec les dispositifs pédagogiques dédiés de McKinsey ».

Jusqu’en 2012, entre les bureaux de Paris, Lyon, Madrid et Genève, celui qui avait une aversion pour le conseil se régale dans ce cabinet où il gravit les échelons jusqu’au grade de partner.

« Cela a été une ouverture sur toutes sortes de métiers que je ne connaissais pas et pour lesquels j’avais aussi des a priori, par exemple, la grande distribution qui est l’un des métiers les plus complets au monde, au cœur de la complexité en termes de positionnement, de géomarketing, de logistique… »

Le « couteau suisse » de McKinsey

Manuel Patrouillard a été – et est resté – un consultant généraliste, « le spécialiste du rien », et heureux dans ce rôle, appelé au fil des missions en fonction des besoins et des secteurs. « Y compris les satellites, les hélicoptères, la distribution de presse Les seuls secteurs que je n’ai pas touchés, la pharmacie, la banque et les assurances ! »

C’est dans ce cabinet qu’il redécouvre l’univers des telcos qu’il avait vu pourtant de très près chez Bouygues. « J’avais vécu à l’époque de façon très étriquée, dans un modèle fermé, la triple play (offre commerciale cumulant télévision, internet et téléphone, ndlr). En arrivant dans le cabinet, tout s’est ouvert. Avant même les big data, grâce à une approche très structurée sur plusieurs pays européens, nous avions cracké le fait, avant tout le monde et dès 2005, que ce qui était important pour le développement de l’Internet, ce n’était pas les geeks, mais les familles. Et notre client-opérateur avait revu entièrement son marketing. »

Il découvre également son secteur jusqu’alors honni, la grande distribution avec en mémoire une mission de transformation de groupe. « Devant une situation d’échec, notre client avait pris des paris audacieux de participation. Nous devions l’accompagner sur un montage très compliqué avec des problématiques de gouvernance. En binôme avec Olivier Sibony (consultant chez McKinsey de 1991 à 2015, devenu professeur de stratégie à HEC, ndlr), nous avons mis en place toute la méthodo de storylining pour aller chercher les faits, et embarquer le CA pour sauver la mise. »

Autre période mémorable pour l’ex-consultant, dans le secteur sidérurgique cette fois, qui a abouti à la fusion Usinor-Arbed-Aceralia en 2002, devenant ainsi le groupe Arcelor. « Nous en avons été à l’origine en réalisant la première étude visant à montrer que cela faisait sens de fusionner le Français Usinor et le Luxembourgeois Arbed. Les deux PDG d’alors ne s’appréciaient guère, mais nous avons réussi. Le nouveau patron n’a, de mon point de vue, pas mis en place les choses nécessaires pour protéger financièrement le groupe dans une période critique pour le secteur, le rachat d’Arcelor par Mittal marquant la fin de la consolidation de la sidérurgie européenne enclenchée par le plan Davignon (mis en œuvre à partir de 1977 par la Commission européenne pour assurer la restructuration industrielle du secteur sidérurgique, ndlr). C’est une histoire triste, mais une belle aventure de dix ans pour moi en tant que consultant. » Le groupe Arcelor a, en effet, disparu quatre ans après sa création…

Du conseil à l’humanitaire, un gap dans des mondes incompatibles

Pendant plus de onze ans, le consultant a ainsi surfé sur les missions. Mais « le problème du couteau suisse, c’est qu’il ne se repose jamais ! ». C’est la perception d’une fin d’un cycle qui le pousse à quitter le monde du conseil et le cabinet McKinsey. « J’avais toujours très envie, la tête voulait, mais le corps ne suivait plus. Ce n’est pas un conseil à donner que d’exploser en plein vol ! »

Une décision difficile, prise en famille, pour le partner qui doit abandonner aussi une vie matérielle très confortable. « Je me suis laissé sept à huit mois, le temps nécessaire pour poser mes valises, une période très intéressante pour prendre des contacts. Et c’est là que j’ai rencontré les gens de l’association Aide et Action. »

Une rencontre qui sonne les débuts de sa nouvelle vie pro dans l’humanitaire où le problem solver découvre un univers aux antipodes du conseil, d’abord pour Aide et Action qui œuvre pour l’éducation, puis, depuis 2014, pour Handicap International - Humanity & Inclusion. « Il y a tout. Une cause merveilleuse : aider les plus vulnérables des plus vulnérables, ceux qui n’ont pas accès au monde dans lequel nous vivons. C’était une grande inconnue pour moi, car les pays qui nous concernent ne concernent évidemment pas McKinsey ni le conseil en strat’. Sur les presque 200 pays de l’ONU, McKinsey tourne sur les 100 pays les plus riches, aux services des grands patrons et de leurs actionnaires. Nous, nous sommes présents dans une soixantaine d’autres pays, les plus pauvres, représentant 80 % de l’humanité. Là où est McKinsey, nous n’y sommes pratiquement pas. »

La stratégie au service de l’humanitaire

Pourtant, sa valeur ajoutée de stratège à l’aise avec la complexité l’aide au quotidien dans son rôle de DG. À peine arrivé aux manettes de l’ONG, l’ancien partner de McKinsey se concentre sur la stratégie de cette « entreprise » alors âgée de trente ans.

Bâtie en urgence pour répondre à des besoins en prothèses dans les camps de réfugiés en Thaïlande et au Cambodge, Handicap International avait grossi de façon opportuniste, avec comme patrons des médecins et un technicien, plus formés à la médecine d’urgence qu’à la stratégie d’une organisation de cette taille.

« J’ai tout de suite enclenché un processus de définition de stratégie décennale 2016-2025 avec des ambitions de volumes, de croissance interne et externe, de transformation complète de tous les systèmes, un programme de leadership et de lean management. Ce n’est pas simplement tracer la route, mais être capable d’embarquer neuf conseils d’administration, dont deux seulement sont en France, de gérer les parties prenantes, et les aligner sur les ambitions. Depuis quatre ans, la transfo est mise en place, mais il y a des ajustements permanents en fonction de l’évolution géopolitique, sachant que dans la moitié des pays, la sécurité de nos collaborateurs est de plus en plus en jeu. »

Fort d’un budget de 220 millions d'euros, en croissance de 10 % par an, ce réseau, composé d’une fédération, de huit associations nationales (Allemagne, Belgique, Canada, États-Unis, France, Luxembourg, Royaume-Uni, Suisse) et de l’Institut HI pour l’action humanitaire, se gère, en effet, comme une grande entreprise et doit trouver de nouveaux relais de croissance pour continuer à se développer.

Barbara Merle pour Consultor.fr

Crédit photo : Quinn Neely HI

McKinsey
Barbara Merle
18 Déc. 2020 à 05:00
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commentaires (1)

VictorS
23 Déc 2020 à 15:19
On est rarement déçu avec les alumni McKinsey, leur capacité à ne jamais douter est confondante. Pour ceux qui ont bossé dans le secteur fin des années 90/début des années 2000, déclarer "nous avions cracké le fait, avant tout le monde et dès 2005 (2005 !!) [que le développement de l’Internet passerait par les familles]" est pour le moins... très audacieux.

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