Mary Meaney : le virage à 180° de l’ex «Mme Organisation» de McKinsey
Elle a été l’une des « first ladies » de McKinsey Monde. Mary Meaney a quitté brusquement le cabinet et son bureau parisien il y a un an et demi. Sa destination, l’humanitaire. Et depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, l’ex-leader Organisation monde accueille des réfugiés ukrainiens chez elle dans le nord de la France. Un gap en termes de sens ? Pas tant que cela à ses yeux.
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On ne saura rien sur les causes profondes de son départ surprise de McKinsey à l’été 2021 après 24 ans de firme « Mac », dans les bureaux de Washington, de Londres et de Paris.
« Les raisons qui m’ont décidée à quitter McKinsey sont nombreuses, et je ne veux pas y revenir » élude Mary Meaney, Franco-américaine de 48 ans, lorsque Consultor la questionne à ce sujet. Celle qui était alors directrice associée senior, leader de la practice globale Organisation et membre du n’avait pourtant pas de point de chute officiel, ni officieux…
Mary Meaney, le contre-exemple
Dans sa vie pro d’avant, Mary Meaney a été pour le moins exemplaire, en premier lieu en tant que consultante femme – qui débute sa carrière à la fin des années 1990 –, dans un secteur du conseil en strat’ qui continue de traîner des pieds en termes de féminisation, particulièrement côté top management. L’ancienne senior partner a elle-même beaucoup œuvré pour la promotion du leadership des femmes dans la vie pro au sein du MBB ; Mary Meaney a été cofondatrice de McKinsey’s Women’s Initiative et marraine du Remarkable Women’s Program de la firme.
Cette diplômée de Princeton (Affaires publiques et internationales, 1993) et d’Oxford (Doctorat en Sciences politiques, 1996) avait effectué toute sa carrière dans le conseil en stratégie au sein de McKinsey. Elle y entre en 1997 et y connaît une évolution en accéléré, nommée partner en 2003, 6 ans seulement après son entrée dans le cabinet, alors qu’il en faut classiquement 11 en moyenne chez McKinsey, et senior partner en 2013.
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11 ans en moyenne au travers de quatre à six grades principaux déclinés en cinquante nuances d’échelons intermédiaires et autant de noms différents : voilà l’ascension que devront réaliser celles et ceux qui se lancent dans une carrière dans le conseil en stratégie pour atteindre le partnership.
La partner Mary Meaney parcourait ainsi le monde pour ses clients – son expertise est vaste : biens de conso, chimie, pétrole/gaz, pharma, télécoms, secteur public –, et pour ses fonctions internes au sein du top leadership du cabinet. « J’avais le sentiment d’avoir bien fait, vraiment bien, autant personnellement que professionnellement. Chez McKinsey, j’ai conseillé de nombreux clients en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, sur le changement transformationnel, l’amélioration des performances, le renforcement des capacités, l’alignement des meilleures équipes, le développement du leadership, la stratégie des ressources humaines, et j’ai écrit un livre (Leading Organizations : Ten Timeless Truths avec Scott Keller, ndlr). »
Retour à la case citoyenne
Depuis l’été 2021, exit McKinsey, finie donc la bouillonnante vie de consultante monde. Un choix de tourner la page. Et c’est sa vie d’après que Mary Meaney a envie de raconter. L’humanitaire, un tournant à 180° donc… Une nouvelle quête de sens ? Une façon de s’engager directement dans les causes qui lui tiennent à cœur plutôt. « Après McKinsey, j’ai eu d’abord l’idée et l’envie d’avoir des portefeuilles dans différents conseils d’administration dans des compagnies technologiques, comme Beamery (spécialiste britannique en solutions logicielles RH, ndlr), et de développer mon engagement avec l’Imperial College (elle est membre du board de l’Imperial College Business School depuis 2015 et de l’Imperial College depuis février 2022, ndlr). Et puis, j’ai toujours eu des activités personnelles de bénévolat en plus de mon travail (notamment le réseau pour l’accès à l’éducation TeachFirst, ndlr) et de mes enfants ! » ajoute Mary Meaney, aujourd’hui 50 ans. Avec son époux, Ian Haynes, professeur d’archéologie à l’université de Newcastle, ils sont en effet à la tête d’une famille nombreuse : six enfants entre 9 et 23 ans. « De mère française, de père américain, je suis mariée à un Britannique, nous vivons en France, ce qui donne des enfants quelque peu désorientés », reconnait-elle mi-amusée, mi-perplexe.
L’humanitaire à temps plein
Sans point de chute prédéfini après son départ de McKinsey, Mary Meaney se lance dans une nouvelle aventure humanitaire, auprès d’Alsama Project, une association-école de 600 réfugiés syriens au Liban, au gré d’une amitié avec sa directrice stratégie, Marianne Moukhtara, ancienne associate director de McKinsey Dubaï.
Et puis se déclenche la guerre en Ukraine, à nos portes. Et décide spontanément d’ouvrir les portes de son château audomarois (le château d’Ecou à Tilques) aux réfugiés ukrainiens. Et crée une association, Solidarité Ukraine. « J’ai grandi avec cet esprit de solidarité et de générosité. Je fais partie de la cinquième génération qui accueille des réfugiés, depuis mon arrière-arrière-grand-mère qui accueillait des réfugiés russes jusqu’à mes parents (mère française, médecin, père américain, philosophe, ndlr), des boat-people au Texas… Et puis, j’ai travaillé en Ukraine, j’y ai des amis. Devant les terribles images TV de l’Ukraine, sans voix, abasourdie, découragée, j’ai décidé que je devais changer de vitesse et faire. Je suis partie de façon très simple et très humble. »
Et en bonne cheffe d’équipe d’impliquer l’ensemble de la tribu Meaney-Haynes. « Je leur ai demandé ce qu’ils en pensaient bien sûr avant. Après, chacun fait de façon volontaire ce qu’il veut/peut. Et tout le monde est engagé. Ma fille Émily a créé le premier site web, Laura, 11 ans, a fait un petit discours dans les églises du coin pour parler de notre engagement, la dernière, Lucy, 9 ans, apprend l’ukrainien… »
Mais dans cette mission humanitaire qu’elle a décidé de mener, c’est un nouveau départ, de zéro, pour l’ex-leader Organisation de McKinsey. « Je n’avais aucune autorité, pas de titre, pas de rôle, ni de poste officiel, aucun pouvoir réel d’aucune sorte. Je n’avais pas de personnel rémunéré et pas de budget significatif. Je connaissais deux des maires locaux et une poignée d’autres personnes. Mon réseau local était minuscule. Comment gérer en même temps l’urgence et prévoir l’après ? »
Consultante un jour, consultante toujours
Huit mois après, Solidarité Ukraine a accueilli près de 500 réfugiés ukrainiens, dont une grande majorité de femmes et d’enfants, avec plus de 50 000 nuitées et 150 000 repas… Et une cheffe d’orchestre qui a su faire appel à ses compétences généralistes de consultante ès organisation. Et le méga-réseau du consulting, encore et toujours. « Ce qui m’a aidé, ce sont effectivement toutes mes compétences stratégiques, d’orga, de problem solving au leadership, de création et de management d’équipes, l’agilité… Et puis, il est vrai que mon réseau a été par ailleurs essentiel. Lorsque j’ai eu besoin d’ordinateurs, j’ai appelé une amie, DRH d’Hermès, qui m’en a tout de suite envoyé 144 d’occasion, un des dirigeants de Beamery m’a fait venir un chef d’ingénierie pour renforcer le site web… Grâce à l’Imperial College Business School, nous avons pu réaliser un guide de 140 pages de conseils pour codifier les process et aider les autres associations… » Faciles d’accès aussi pour l’ancienne associée de McKinsey, le consulat et l’ambassade d’Ukraine, les collectivités territoriales nordistes, et même le gouvernement français.
Une expérience unique, toujours en cours bien sûr, « jusqu’à la fin de la guerre en Ukraine et les besoins des réfugiés civils », pour laquelle son ancien métier l’a plutôt bien armée. Même si « c’est dur physiquement et intellectuellement, surtout les premiers mois, il faut gérer l’urgence, sans savoir ce qui va arriver ».
Mais un sujet-cœur auquel le conseil ne propose aucune formation : la part émotionnelle. « On crée des liens d’amitié, on vit des tragédies quasiment au quotidien (l’un des réfugiés, Rafael, le plus âgé, 94 ans, s’est suicidé dans la ferme, ndlr). Leur tragédie, c’est la nôtre. Le conseil en stratégie ne peut évidemment pas préparer à cela. Mais je peux dire que nous tous, avec les centaines de volontaires, nous avons changé la vie de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants. »
L’humain, au cœur de la performance
Finalement, Mary Meaney a-t-elle le sentiment d’être plus utile aujourd’hui que durant ses 24 années au sein des majors des cabinets de conseil en stratégie ? « C’est très différent. Chez McKinsey, mon domaine d’orga, de transfo, avait beaucoup de sens pour moi, car c’était aller vers une culture saine, aider les gens à monter en compétences, à trouver un sens. Par exemple, lorsque j’ai travaillé pour une grande compagnie pharma pour les aider à leur stratégie et à la conduite du changement, j’ai obtenu des résultats extras : de 10 à 40 milliards de dollars de chiffre d’affaires, elle est passée de n° 8 à n° 2. Une performance financière certes, mais avant tout humaine selon moi. Lorsque j’ai travaillé en interne sur la féminisation du leadership, cela avait du sens pour moi. Je pense que j’avais un impact. Aujourd’hui, l’impact est beaucoup plus direct et concret. Grâce aux médecins français, un petit garçon de 5 ans qui ne pouvait pas marcher peut le faire », préfère-t-elle relativiser. Une façon aussi de « ménager » son ancien cabinet, un poids lourd en termes de réseautage.
Une chose est sûre. Mary Meaney, forgée au conseil, se considère comme « une pilote ». Et des enseignements qu’elle a tenu à partager dans son discours d’ouverture aux étudiants entrants à l’Imperial Business School en octobre dernier. « Gandhi avait raison : vous pouvez changer le monde. Mais vous avez besoin de compétences en stratégie et en organisation ; dans la façon de s’engager et d’influencer… et dans la façon de diriger. Utilisez ce temps précieux pour apprendre et grandir, pour développer ces compétences. Mais je ne veux pas seulement vous parler d’“être le changement que vous voulez voir”. Je veux vous exhorter à être audacieux. Parce que Michel-Ange avait raison aussi : le défi pour la plupart d’entre nous n’est pas de viser trop haut et de rater nos objectifs, mais de viser trop bas et de les atteindre. Changez ce beau monde brisé. »
L’ancienne consultante de McKinsey, qui aime mener à bout ses missions, a depuis quelques semaines un autre défi, de taille : trouver du travail pour la majorité des réfugiés hébergés. Avec, comme hic, la maîtrise de la langue. Une autre façon de leur rendre de leur dignité, selon Mary Meaney. « Certains sont très diplômés, d’autres pas, certains parlent anglais, russe, voire français, mais ils et elles ont tous envie de se rendre utiles jusqu’à leur retour en Ukraine, qu’ils espèrent le plus rapide possible. » Un appel du pied de plus au vaste réseau Meaney-McKinsey.
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