Secteur sportif : branle-bas de combat pour le conseil en stratégie
À l’approche de la Coupe du monde de rugby et des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, l’industrie du sport est en ébullition : une opportunité dont les cabinets ne manquent pas de se saisir, mettant leur arsenal d’outils au service des professionnels du secteur.
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L’année s’annonce riche en émotions pour les amateurs de sport : entre l’accueil de la Coupe du monde de Rugby en septembre prochain et celui des Jeux olympiques à l’été 2024, la France se trouve au premier plan des grandes compétitions sportives à venir.
Si le secteur sportif n’a pas toujours fait partie des sujets de prédilection des cabinets, celui-ci semble de plus en plus porteur et vient s’ajouter à la longue liste des domaines d’expertise des stratèges français.
À ce sujet, Consultor s’est entretenu avec 3 experts du secteur, issus de 3 cabinets différents : Benjamin Abitbol, directeur chez EY-Parthenon, Mark Wyatt, partner chez KPMG-France, et Pierre-Éric Perrin, associé fondateur de Mawenzi Partners.
L’industrie du sport à la croisée des chemins
Le groupe BPCE, partenaire officiel des JO de Paris, estimait dans un rapport publié en janvier dernier que le secteur sportif pesait aujourd’hui dans le PIB français à hauteur de 2,6 %, soit 64 milliards d’euros. Ce chiffre non négligeable en fait un moteur puissant de croissance économique, et sous-estimerait même la place du sport selon l’organisme bancaire : la non-prise en compte du secteur non marchand (valorisé aux coûts de production plutôt qu’à des prix de marché) et des externalités positives produites par le sport (bénévolat, santé publique, cohésion sociale…) ne rendraient pas hommage à la contribution du secteur à l’économie française.
Si la filière sportive possède un rôle aussi central, c’est aussi parce qu’elle rassemble toute une variété d’acteurs, privés comme publics, au niveau local ou national. « Le secteur du sport est une véritable constellation, souligne Benjamin Abitbol, directeur chez EY-Parthenon. Nous nous entretenons aussi bien avec des clubs de sports qu’avec leurs sponsors, mais aussi avec des propriétaires d’infrastructures, des médias diffuseurs de contenu, des fonds d’investissement, des décideurs publics, des acteurs du monde des paris sportifs… » Tout un écosystème en grande partie soutenu par les pouvoirs publics, notamment depuis la pandémie qui a justifié un plan de soutien de 8 milliards d’euros.
L’industrie du sport a en effet été frappée de plein fouet par le Covid-19, mais semble peu à peu retrouver ses scores de croissance antérieurs. La performance est à saluer : il faut dire qu’à l’instar des filières de l’hôtellerie, de la restauration et de l’événementiel, la filière sportive a vu son activité quasiment réduite à néant à partir des confinements successifs de l’année 2020. Le ministère des Sports estimait alors les pertes annuelles du secteur à plus de 19 milliards d’euros.
Un véritable coup de massue pour une industrie émergente et encore fragile, surtout lorsqu’elle a de gros événements sur le feu. Pierre-Éric Perrin explique : « Il s’agit d’une industrie qui draine un public très important, mais qui est toujours sur le fil du rasoir. Lorsqu’un gros imprévu – comme l’a été la pandémie de Covid-19 – perturbe un agenda très millimétré, on observe évidemment un vent de panique. » À l’approche d’un événement aussi symbolique économiquement comme socialement que les Jeux olympiques, l’affolement peut s’entendre.
Le co-fondateur de Mawenzi Partners note toutefois que le Covid a permis de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière : « On peut tout de même reconnaître que les pouvoirs publics avaient bien anticipé les enjeux RSE des Jeux olympiques avant même que la pandémie ne survienne : finalement, le bouleversement du Covid-19 a obligé le secteur à se réinventer, et à prendre en compte ces différents sujets plus rapidement. » Un constat partagé par Benjamin Abitbol : « Paradoxalement, les grandes difficultés rencontrées par l’industrie du sport pendant le Covid-19 ont permis au secteur d’être mis en lumière, ce qui a montré aux investisseurs qu’il existait de grandes marges de progression, aussi bien par la révision des stratégies opérationnelles des acteurs du milieu que par la refonte de leurs méthodes d’optimisation de leurs coûts ».
Le directeur en charge des missions dans le sport d’EY-Parthenon résume : « La pandémie a permis de tirer la sonnette d’alarme pour professionnaliser le secteur, et a porté un coup d’accélérateur à sa maturité. » Une aubaine pour un secteur en demande de structuration, source d’opportunités multiples pour les professionnels du conseil.
Une demande d’expertise sectorielle au même titre que les secteurs classiques
Le monde du sport suscite en effet un intérêt nouveau sur les bancs du conseil. « Si le sport n’est pas l’un des secteurs où nous avons originellement investi le plus, il séduit depuis toujours les investisseurs et de plus en plus de consultants par la diversité des missions et leur exigence en termes d’agilité et de stratégie, rappelle Mark Wyatt. À ce titre, le sport est l’un des secteurs des activités de conseil chez KPMG qui s’est considérablement développé ces dernières années et que nous avons renforcé récemment avec plusieurs recrutements. »
La branche Corporate Finance s’est même dotée d’un département spécifique, le « KPMG Sports Advisory », répondant selon l’actuel partner à « une demande du marché d’avoir un acteur majeur du conseil maîtrisant parfaitement les enjeux de la filière ».
Un schéma similaire est à observer chez EY-Parthenon. « Parthenon a d’abord été bâti par une équipe spécialisée dans les TMT (Telecom, Media, Tech, nldr), qui entretenait déjà une certaine proximité avec le milieu sportif », rappelle Benjamin Abitbol, en revenant sur l’histoire de la branche stratégique du Big 4. Passionné par l’industrie du sport depuis ses premières années d’études, l’ex-manager devenu directeur en 2022 est parvenu à mettre en place une équipe consacrée au secteur, aujourd’hui reconnue pour son savoir-faire.
Pour Pierre-Éric Perrin, chez Mawenzi, il était évident que le sport fasse partie des expertises sectorielles du cabinet qu’il a fondé : « Le sport est à l’intersection de problématiques technologiques, économiques, sociétales et sociologiques très fortes : c’est pourquoi la question de son modèle doit nécessairement être repensée. La question du modèle économique et sociétal est au cœur de l’activité de Mawenzi Partners, ce qui fait du sport un enjeu central pour le cabinet. »
Les grandes compétitions sportives, clefs de voûte d’une stratégie opérationnelle plus globale pour le secteur
Après les polémiques qui ont entouré la Coupe du monde de football au Qatar à l’automne dernier et le fiasco du maintien de l’ordre lors de la finale de la Ligue des Champions à Paris en mai 2022, les enjeux sont nombreux pour la Coupe du monde de rugby et pour les JO de Paris. Et ce, à la fois en ce qui concerne leur déroulement, mais aussi en ce qui concerne la capacité du secteur à en tirer profit pour arriver à maturité, tout en prenant en compte les sujets sociétaux qui bordent l’industrie du sport.
« De manière générale, les grandes compétitions internationales organisées en France doivent servir de tremplin pour le développement de la pratique et pour celui de nos entreprises de la filière sport, résume Mark Wyatt. Il est aujourd’hui indispensable que le modèle économique de ses compétitions soit durable, moins dépendant des subventions publiques et des catalyseurs de l’innovation sociale, sociétale et environnementale de la filière sport. On peut également envisager que ces grandes compétitions soient des vitrines de notre savoir-faire pour mettre en place une politique de promotion des entreprises françaises à l’étranger. »
Chez Parthenon, ces grands événements sportifs ont été l’occasion de publier un « Livre blanc » du futur de l’industrie en juillet 2021. « Ces événements sont des catalyseurs magnifiques pour dynamiser l’industrie, rappelle Benjamin Abitbol. Mais une fois qu’ils auront eu lieu, il faudra faire en sorte de bien réorienter l’énergie et la créativité générées : le secteur est aujourd’hui très vivace, mais il faut s’interroger avant septembre 2024 sur la bonne façon de capitaliser sur toutes ces ressources. »
De cabinet en cabinet : différentes stratégies au service d’un même objectif de modernité
Maintenant que le potentiel du secteur est établi, comment celui-ci peut-il l’exploiter pleinement ? Mawenzi Partners met l’accent sur les problèmes de gouvernance du secteur – qui font d’ailleurs partie des priorités du ministère. « Les grandes fédérations sont presque toutes mises à mal par des problèmes de gouvernance, avertit Pierre-Éric Perrin. Bien qu’elles comptent de très bons professionnels dans leurs rangs, la chaîne de décision est rendue très peu efficace par une gouvernance électoraliste. Il est donc selon moi nécessaire de repenser les modèles de décision dans le sport, en implémentant plus de démocratie et plus de professionnalisme. »
Par son absence de gouvernance, la filière sportive manque de « vision prospective à 5 ou 10 ans » selon l’associé. Une stratégie trop court-termiste, qui empêche les professionnels du sport de s’insérer dans les enjeux de demain – en particulier ceux du digital et de l’environnement. Le département KPMG Sports Advisory annonce ainsi mettre son « expertise unique sur les métiers du chiffre et de la data » au service des « problématiques financières et stratégiques de l’industrie du sport et des nouveaux investisseurs qui s’y intéressent ».
Mais pour s’y intéresser, encore faut-il que le monde du sport prenne en main ses enjeux contemporains pour répondre aux inquiétudes des investisseurs. « La question de l’environnement et du développement durable préoccupe de plus en plus nos clients. Certains d’entre eux sont très avancés sur le sujet, d’autres très en retard, mais le sujet est sur toutes les lèvres, admet Benjamin Abitbol. Si le secteur sportif veut conserver voire accroître sa place dans l’économie française, c’est un virage qu’il ne doit pas manquer. »
Un virage crucial, qui permettrait à l’industrie sportive si elle le prend d’aller bien au-delà de ses objectifs économiques premiers : « On sait que le sport participe à l’apaisement de la société, par ses enjeux de santé publique et ses enjeux environnementaux, conclut Pierre-Éric Perrin. Tous les indicateurs sont là pour que l’on place le sport au cœur de notre société : revoyons le modèle des organisations sportives pour que le sport continue à jouer son rôle central dans la société » Une recommandation qui confirme tout le poids qui pèse sur les épaules de la filière, qui devra faire ses premières preuves en assurant le bon déroulement des grandes compétitions sportives qu’elle prépare, et ce dès le mois de septembre prochain.
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