Big Four + conseil = je t’aime, moi non plus (le retour)
Après qu’EY a annoncé son plan de scission de ses activités d’audit et de conseil, le modèle pluridisciplinaire des géants de l’audit est remis en question. Dans l’immédiat, le marché se prépare à l’arrivée d’un nouveau concurrent.
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Un coup dedans, un coup dehors ; un coup, les Big Four investissent dans le conseil, un coup, ils en sortent : c’est un peu l’impression dégagée en cette rentrée par l’annonce du plan de scission d’EY (voir notre article).
Car, les géants de l’audit ont habitué le marché à ce mouvement de va-et-vient. « C’est un vieux serpent de mer. On sépare, on recrée, puis on sépare à nouveau… », constate anonymement un partner de conseil en stratégie dans un des Big Four en France.
Il y eut en effet la vague de divorces post-Enron-Andersen, qui avait vu les géants de l’audit sortir du conseil : cession d’EY Conseil à Cap Gemini, de PwC Consulting à IBM, le spin-off des activités de conseil de KPMG en BearingPoint…
Puis, très vite, le mouvement inverse, avec quelques opérations d’ampleur : PwC engloutissait PRTM puis Booz ; Deloitte mettait la main sur Monitor ; EY rachetait OC&C ou Parthenon.
Est-ce reparti pour un tour ? Oui et non, disent nos interlocuteurs.
EY seul Big Four à se scinder
Pour une première bonne raison : pour l’heure EY est le seul à le faire, quand bien même les régulateurs ont pu mettre la pression à l’ensemble des Big Four sur les risques de conflits d’intérêts entre leurs activités régulées d’audit et de commissariat aux comptes, et leurs activités autres notamment de conseil.
Ainsi, si au début de l’été Deloitte explorait la possibilité de séparer ses activités d’audit et de conseil, prenant même l’attache de manière très exploratoire de la banque d’investissement Goldman Sachs, en septembre il n’en est plus rien.
Au moment d’annoncer dans les colonnes du FT un CA pour l’exercice 20/21 de quasi 60 milliards de dollars (pour un effectif passé en un an de 350 000 à 415 000 personnes), le modèle interdisciplinaire allant de l’audit au conseil reste prioritaire dans un seul et même ensemble.
« Les investigations sur une éventuelle séparation de nos activités sont faites à échéances régulières en fonction de l’évolution de nos activités. Pour l’heure, la conclusion qui a été tirée à date est que le modèle d’un groupe interdisciplinaire fonctionne très bien. Il n’y a aucun impératif à se séparer », analyse Samuel Galbois, partner Monitor Deloitte en France.
D’autant moins d’impératif que la locomotive Deloitte est à présent plus côté consulting qu’audit. Les activités de conseil pèsent 60% du CA de Deloitte, plus ou moins selon les sujets et les pays. A fortiori, Deloitte n’audite pas les géants de la tech (GAFA & Co) et peut donc nouer des partenariats de conseil avec eux, à la différence d’EY par exemple – qui a lancé sa scission notamment pour se donner les coudées plus franches de ce point de vue.
Difficile dans ces conditions pour Deloitte de renoncer à ses activités de conseil : la ligne consulting est celle qui a crû le plus rapidement sur son dernier exercice, +24,4% à 25,8 milliards de dollars. En France, Deloitte voulait doubler le nombre de partners de Deloitte Consulting pour atteindre 150 associés en 2023, avait indiqué le CEO de Deloitte France à Consultor (relire notre article https://www.consultor.fr/articles/interview-sami-rahal).
Et côté PwC ou KPMG pas davantage de signes : tous ont écarté publiquement cette possibilité après les annonces d’EY.
Le projet de scission d’EY peut, à ce titre, surprendre. Comme en témoigne Jean-Baptiste Hugot, dont la 16e édition du Guide des cabinets de conseil en management paraîtra en mai 2023 et qui a assisté au fil des années au va-et-vient des groupes d’audit vis-à-vis du conseil : « Je ne prévoyais pas la scission EY parce je considérais que finalement les inconvénients d’être sur plusieurs métiers à la fois avaient été adressés par ces groupes qui y trouvaient suffisamment d’avantages par ailleurs. »
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« Vous ne pouvez plus parler de cabinets d’audit. » Dixit Pascal Ansart, partner chez Strategy& (PwC), et ancien d’Oliver Wyman ou encore de Bossard. Lorsqu'il est arrivé chez PwC en 2011, avant les rachats de la société de conseil opérationnel PRTM la même année, ou de manière plus emblématique de Booz en 2013, la branche naissante de conseil en stratégie du géant de l’audit comptait alors quarante personnes en France.
Audit – conseil en strat’ : une compatibilité à nouveau interrogée
De plus, le projet de scission d’EY pose à nouveau des questions qu’on pouvait éventuellement considérer comme soldées. Celle de l’intégration des équipes de conseil en strat’ dans des géants de l’audit. Le son de cloche était unanime au moment des rachats, que ce soit de Monitor, de Booz, d'OC&C : nous avons le meilleur des deux mondes, avec d’un côté la strat’ pure beurre façon boutique avec une marque dédiée, des équipes dédiées et des salaires afférents ; de l’autre, la force de frappe d’un groupe mondial aux lignes de conseil diversifiées et aux effectifs pléthoriques. Certes concédaient-ils souvent des lourdeurs administratives et un roulement contraignant des mandats audit et non-audit.
L’annonce d’EY repose la question de la faisabilité de ces intégrations. Les exemples sont nombreux de cabinets ou d’équipes de partners qui ont dû baisser leurs tarifs ou enregistrer plusieurs départs une fois montés à bord de géants de l’audit.
« Pour des gens dont le cœur de métier est la stratégie, certaines décisions de gouvernance concernant la place que l’on donne au conseil en stratégie vis-à-vis d’autres lignes de conseil est frustrante. Personnellement, j’ai dit basta et je suis parti », témoigne, anonymement, un ancien partner de conseil dans un Big Four qui a rejoint les MBB.
La contrainte Big Four varie beaucoup, nuance Samuel Galbois chez Monitor Deloitte : « Cela dépend des géographies. Chez Deloitte US, les auditeurs ont en général des comptes plus petits, dans un marché qui est également moins contraignant pour les activités de conseil. En France, au contraire, les règles sont parmi les plus contraignantes : l’audit impose un double commissariat aux comptes et une rotation des commissaires. »
Et s’il est difficile d’intégrer les équipes de conseil en strat’, il ne sera pas moins difficile de les en sortir, projette un autre partner strat’ qui a également quitté les Big Four pour un cabinet plus traditionnel. « Une activité de conseil en stratégie érigée au rang de priorité par un groupe mondial, ce n’est pas la même chose qu’un spin off hors groupe », dit-il.
Le passif Ineum est dans tous les esprits : la filiale conseil de Deloitte (29 associés, 500 consultants, 80 millions d’euros de chiffre d’affaires au moment du spin off) avait pris son indépendance en 2003 mais avait rapidement fusionné avec Kurt Salmon en 2011 – un ensemble qui a été dissous dans Accenture et Solucom puis Wavestone quelques années plus tard (voir notre article).
Concurrence commerciale, recrutement, rémunération : les possibles conséquences du spin off EY
Dans l’immédiat, pas de conséquence concrète sur le marché du conseil en strat’ français mais la concurrence regarde avec un œil plus ou moins attentif. Un partner de conseil en stratégie dans les Big Four anticipe la concurrence redoublée du nouvel acteur de conseil qui émergera de la scission EY. « Il aura accès à plus de clients et aura de l’argent pour aller chercher des talents. Et ça, ça va faire mal, surtout sur un marché du conseil dont beaucoup anticipent qu’il va se tendre dans les 18 mois qui viennent », prévoit ce partner.
Le spin-off conseil d’EY pourra également accélérer une certaine évolution du mode de rémunération des consultants en stratégie, avec une variabilisation plus importante. « Ce nouvel acteur de conseil sera coté et pourra distribuer des actions, un peu comme le fait Accenture. Ce sont des éléments de compensation additionnelle qui pourront faire pencher la balance pour certains recrutements et pourraient amener la concurrence à adapter ses packages salariaux », dit encore cette source.
EY, un groupe d’audit sans conseil mais jusqu’à quand ?
Dernière inconnue à géométrie variable. Ce que la partie audit d’EY va conserver comme prestations de conseil a minima pour les métiers audités. Et au bout de combien de temps le groupe développera à nouveau d’autres lignes de conseil.
« Pour mémoire EY a vendu son activité conseil mi-2000 et dès 2003 il avait commencé à les reconstituer », note un lecteur de Consultor. « Excellente question. Probablement pas tout de suite. Mais, il est vrai que la nature a horreur du vide », s’amuse l’une de nos sources. Le balancier des Big Four dans le conseil continue : un coup dedans, un coup dehors…
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