Audit et conseil : le début du divorce ?
Deux des Big Four réfléchissent à scinder leurs activités audit et conseil en des branches indépendantes, et ainsi faire taire les accusations de conflits d’intérêts.
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La planète Big Four est fébrile depuis les révélations du Financial Times du 26 mai dernier : EY envisagerait de séparer ses activités d’audit et de conseil dans le monde entier. Ce qui signerait le « plus grand bouleversement chez un Big Four depuis deux décennies », souligne le journal. Et l’onde de choc pourrait se propager.
Accusations récurrentes
Le sujet de la séparation des activités d’audit et de conseil est un marronnier dans l’univers des initiés. Le divorce post-Enron-Andersen avait vu les géants de l’audit sortir du conseil : cession d’EY Conseil à Cap Gemini, de KPMG Consulting UK et Pays-Bas à Atos, de PwC à IBM, et séparation en France seulement de Deloitte Consulting de Deloitte Touche Tohmatsu (relire notre article).
Mais cette fois, cela fait beaucoup de bruit et la presse internationale s’en est saisie, alors qu’aucune annonce officielle n’a été faite de la part d’EY.
En interne, le projet s’appellerait « Project Everest ». Ce que l’on sait, c’est que le projet de scission envisagé par EY mettrait un terme aux récentes accusations de conflits d’intérêts dont font l’objet les quatre grands cabinets comptables et qui ont mis le secteur de l’audit dans le collimateur des régulateurs, principalement britannique et américain.
En cause : le risque de conflit d’intérêts lorsque se cumulent prestations d’audit et prestations de conseil auprès d’un même client (relire notre article). Ces dernières années, les affaires se sont succédé : Carillion et KPMG en Grande-Bretagne, Wirecard et EY en Allemagne, les magasins BHS et PwC, etc.
Outre-Atlantique, la Securities and Exchange Commission enquêterait sur des conflits d’intérêts entre branches d’audit et de conseil chez tous les Big Four, selon des révélations du Wall Street Journal.
Ce n’est pas la première fois que le sujet revient sur la table. En particulier au Royaume-Uni (lire ici) où KPMG avait même pris des mesures fin 2018 (relire là). En 2020, le Financial Reporting Council (FRC), régulateur des métiers de l’audit outre-Manche, avait remis une couche en demandant aux Big Four de séparer leurs activités de conseil et d’audit (notre article ici). En France, aussi, la directive Barnier voulait mettre fin au mélange des genres (lire là).
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« Vous ne pouvez plus parler de cabinets d’audit. » Dixit Pascal Ansart, partner chez Strategy& (PwC), et ancien d’Oliver Wyman ou encore de Bossard. Lorsqu'il est arrivé chez PwC en 2011, avant les rachats de la société de conseil opérationnel PRTM la même année, ou de manière plus emblématique de Booz en 2013, la branche naissante de conseil en stratégie du géant de l’audit comptait alors quarante personnes en France.
Encore à l’étude
Les appels à réformer le secteur de l’audit se font donc nombreux, et EY pourrait, cette fois, céder aux sirènes de la scission, bien qu’officiellement, aucune décision n’ait été prise. « Nous n’en sommes qu’aux premières étapes de cette évaluation, a tenu à rappeler EY dans un communiqué à la presse. Nous évaluons régulièrement les options stratégiques susceptibles de renforcer davantage les activités d’EY à long terme. Tout changement significatif ne se produirait qu’en consultation avec les régulateurs, et après les votes des partners d’EY. »
Ces derniers doivent se prononcer dans chacune des entités nationales du réseau qui compte pas moins de 700 bureaux et emploie 312 250 personnes dans 150 pays, dont 5 980 en France.
D’après l’Australian Financial Review, les partners conseil d’EY jugent cependant la scission « inévitable » étant donné le contexte actuel et les pressions de la part des régulateurs sur l’audit. Un ancien associé explique que « les activités d’audit du cabinet rendent difficile la vente de services de conseil, en particulier dans des secteurs tels que le commerce de détail » et que « les consultants se plaignent que la partie audit de l’activité soit en fait un frein du côté du conseil ».
Les scénari possibles
Reste la question de la mise en œuvre d’une telle décision, si elle venait à être validée. Sur ce sujet, on est loin du consensus. Et ce n’est pas la récente démission de la patronne d’EY US, Kelly Grier, après 30 ans de maison, qui va clarifier la situation, comme le rappelle le Financial Times.
Trois grandes options s’offrent à EY pour scinder sa branche conseil. La première serait de vendre simplement l’activité. Mais tout le monde ne pourra pas se l’offrir. Pour rappel, elle a rapporté pas moins de 26 milliards de dollars de chiffre d’affaires à EY l’an dernier, soit 65 % des recettes globales du cabinet (40 milliards de dollars). À moins de passer par un fonds d’investissement, avec le risque de voir l’actif vendu à nouveau au bout de trois à cinq ans.
L’autre hic avec cette solution, ce sont les problèmes culturels susceptibles de se produire post-acquisition, comme cela s’est produit en 2000 lorsqu’Ernst & Young a vendu sa branche conseil à CapGemini et comme le rappelle l’Australian Financial Review.
Autre solution possible : la cotation en Bourse, comme l’a fait avec succès Accenture un an après sa scission avec sa société mère, Andersen Worldwide, au début des années 2000. Bien que séduisante, l’opération serait toutefois plus compliquée à mettre en œuvre qu’une vente privée.
EY aurait fait appel à JPMorgan et Goldman Sachs pour les conseiller dans l’une ou l’autre de ces options.
Deloitte dans les starting-blocks
Dans tous les cas, ce projet fait réfléchir les autres Big Four. D’après le Wall Street Journal, Deloitte réfléchirait lui aussi à scinder ses activités audit et conseil, dans une logique similaire à celle d’EY. Le cabinet étudie à l’heure actuelle un plan stratégique en ce sens.
Officiellement, les deux autres Big Four restent sur leurs positions. « Nous ne spéculons pas sur les projets des autres entreprises. Notre conviction, c’est que notre modèle multidisciplinaire nous confère de nombreux bénéfices, comme la diversité des talents et la dimension mondiale », assure-t-on sous couvert d’anonymat chez l’un d’eux.
Mais avec Deloitte dans son sillage, le séisme déclenché par EY serait un énorme bouleversement dans le monde des quatre géants mondiaux. Car si la moitié des Big Four change de stratégie, « nous devrons tous revoir notre position », a confié au Financial Times un associé principal d’un des cabinets concurrents d’EY. « Mais ce ne sera ni rapide ni instinctif », a-t-il ajouté, précisant que la réaction des régulateurs pèserait dans la décision finale des autres cabinets.
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