Comment EY-Parthenon a négocié le virage du Mondial de l’auto
Réinventer le modèle, en perte de vitesse, du Mondial de l’auto.
C’est la mission que la Plateforme de l’automobile (PFA), l'organisation qui regroupe toute la filière automobile française (4 000 entreprises – constructeurs, équipementiers et sous-traitants), a confiée à EY-Parthenon l’hiver dernier en vue de l’édition 2020 du salon. Récit d'une mission un peu à part.
La décision a été officialisée en octobre 2018, il y a tout juste un an. À peine les portes du Mondial de l’auto fermées, le président de la PFA, Luc Chatel, déclare qu’il faut absolument « réinventer le modèle » de ce salon pour assurer sa survie. Vitrine de la filière automobile depuis 120 ans, le Mondial de l’auto reste le plus important salon de l’automobile au monde.
Mais si l’édition 2018 a remporté un beau succès en termes de fréquentation avec plus d’un million de visiteurs, elle a aussi enregistré bon nombre de défections de la part des constructeurs : Fiat Chrysler, Ford, Mazda, Mitsubishi, Nissan, Opel, Volkswagen ou encore Volvo manquaient à l’appel.
Outre le souci de faire des économies – chaque entreprise présente paie plusieurs millions d’euros pour un stand –, ces marques choisissent de plus en plus souvent de présenter leurs nouveautés dans des salons dont les retombées marketing sont plus conséquentes, à commencer par le Consumer Electronic Show de Las Vegas. Un phénomène qui affecte tous les grands salons de l’automobile (Francfort, Genève, Détroit...).
Luc Chatel, coach de « l’équipe de France de l’automobile »
Ancien secrétaire général de l’UMP, porte-parole de François Fillon lors de la campagne présidentielle de 2017, Luc Chatel est désormais retiré de la vie politique.
Dans sa nouvelle vie dans le privé, l’ex-secrétaire d'État chargé de l’Industrie, qui en 2009 avait piloté les états généraux de l’automobile, n'a pas tardé à être rappelé dans le secteur automobile. Il est rapidement nommé président de PFA, à la demande des industriels.
Luc Chatel s’est entouré de deux de ses anciens collaborateurs à Bercy. Aujourd’hui directeur général de la PFA, Marc Mortureux était son directeur de cabinet au secrétariat d’État à l’Industrie. Polytechnicien, ingénieur des Mines, ce dernier a piloté, au côté de Luc Chatel, les états généraux de l’automobile et a préparé le Pacte automobile, programme de sortie de crise signé entre l'État et la filière en 2009. De même, le directeur de la communication et des affaires publiques de la PFA, Vincent Parra, faisait partie de l’équipe de Luc Chatel.
« On sort de 100 ans de certitudes et on fait face à de grandes incertitudes »
Dix ans après ses états généraux, la filière automobile française n’en finit pas de se réinventer. Disruption technologique avec le moteur électrique et le véhicule autonome, disruption numérique avec le véhicule connecté, disruption sociétale avec la pression des questions environnementales et des attentes en matière de mobilité…
« On sort de 100 ans de certitudes et on fait face à de grandes incertitudes, résume Vincent Parra, et le Mondial de l’auto est un très gros dossier pour nous, c’est un moment fort qui présente un enjeu très important pour l’ensemble de la filière. »
Objectif : travailler au repositionnement du Mondial de l’auto pour être à l’avant-garde des salons internationaux, reconquérir les constructeurs automobiles et revoir le business model de l’événement – qui ne gagne plus d’argent en dépit d’une fréquentation importante. Le tout d’ici la prochaine édition en octobre 2020.
Une mission que la PFA, qui fait régulièrement appel « aux services du BCG, d’Advancy et de McKinsey pour affiner la stratégie de la filière », précise Vincent Parra, entend confier à un cabinet de conseil en stratégie.
Les premiers contacts sont pris dès octobre 2018. « Nous avons établi un rétroplanning très rigoureux et une feuille de route comportant trois étapes : proposer une vision stratégique du futur du Mondial de l’auto qui emporte l’adhésion de l’ensemble de la filière ; mettre en concurrence des partenaires qui nous accompagneront pour l’organisation du salon ; choisir le prestataire et finaliser le partenariat. Nous voulions un cabinet qui nous fasse une proposition d’accompagnement de bout en bout du projet, et nous avons mis en concurrence deux ou trois cabinets, dont EY-Parthenon. »
Le choix est arrêté en novembre 2018 : ce sera EY-Parthenon. Ce qui a fait la différence ? « Sa vision très pertinente du média salon et de son organisation, et sa capacité à nous accompagner sur l’ensemble du projet. »
« Ce qui les a séduits, selon Guéric Jacquet, associé au sein de la practice government & public services d’EY-Parthenon, c’est que notre équipe de conseil en stratégie, qui a déjà réalisé des missions pour le secteur de l’automobile pour des distributeurs et dans le domaine de l’évènementiel pour des organisateurs de salons, puisse s’appuyer sur des équipes plus opérationnelles d’EY Consulting, qui ont des expériences extrêmement riches et diversifiées à la fois dans le monde de l’automobile, de l’évènementiel et de l’attractivité des territoires. »
Normalien (ENS Cachan), agrégé en économie et gestion et doctorant en droit public, ce dernier a notamment exercé un peu plus de trois ans au sein du ministère du Budget en tant que chef du département Coordination de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), avant de rejoindre Bain en 2011 puis EY Strategy en 2015 (marque remplacée par EY-Parthenon mi-2018).
Le fait qu’il soit un ancien de Bercy a-t-il pesé dans la balance ? Peut-être un peu selon EY-Parthenon, pas du tout pour la PFA. « Ce sont des personnes qui ont une activité autour des salons et de l’événementiel qui nous ont conseillés de consulter EY-Parthenon sur ce projet, ce n’est pas venu de la filière de Bercy », explique Vincent Parra.
Une équipe resserrée et assez senior
Guéric Jacquet prend alors les commandes d’une équipe « assez resserrée avec des consultants assez seniors », précise-t-il : Laurent Vagneur, alors principal et désormais associé France, spécialisé sur le secteur automobile ; Benjamin Abitbol, manager, rompu aux problématiques liées à l’expérience client ; et Achille Baulny, consultant, qui a déjà travaillé sur le marché de l’événementiel.
L’équipe a naturellement sollicité le réseau mondial des practices automobile d’EY, en particulier en Allemagne et aux États-Unis.
Leurs interlocuteurs directs au sein de la PFA étaient le président, le directeur général et le directeur de la communication. Et parce qu’il fallait s’assurer de la participation et de l’adhésion de l’ensemble de la filière sur ce projet, la PFA a constitué un comité de pilotage ad hoc associant l’ensemble de ses adhérents. Composé d’une dizaine de personnes, directeurs marketing ou de la stratégie des constructeurs et principaux équipementiers automobiles, ce comité de pilotage spécialement dédié à cette mission lui a survécu puisqu’il est depuis chargé d’assurer la mise en œuvre du projet.
Timing serré
Pour l’équipe d’EY-Parthenon, la mission démarre mi-novembre 2018. « Le calendrier était très serré sur le cadrage, nous avions six semaines pour réussir à aligner l’ensemble des acteurs et des parties prenantes de la PFA sur le projet », raconte Guéric Jacquet.
« Nous avons commencé par un benchmark de tous les salons de l’auto pendant deux semaines, puis nous avons construit des scénarios d’évolution pendant deux ou trois semaines, avant d’attaquer l’élaboration du cahier des charges destiné aux acteurs de l’événementiel. » Celui-ci a été envoyé à tous les grands acteurs de l’évènementiel mi-février. Les consultants ont ensuite travaillé au dépouillement des offres, assisté aux oraux et participé à la sélection finale.
Très impliqué dans le projet, notamment lors de la phase de cadrage, Luc Chatel a présenté les questionnements et les résultats du travail de l’équipe d’EY-Parthenon aux membres du conseil des présidents de la PFA, qui est composé des PDG de Renault, PSA, Valeo, Plastic Omnium, Faurecia et Michelin.
« Les différents scénarios, que nous avons discutés en interne, ont été reçus très favorablement par les grands patrons de la filière, relève Vincent Parra, et nous avons travaillé en collaboration très étroite avec les consultants sur la phase de sélection du partenaire », dont le nom a été dévoilé le 15 mai dernier. Il s’agit d’Hopscotch, une agence française de conception d'événements qui ne fait pas partie des grands salonneurs.
Au Parc des Expositions de la Porte de Versailles, le salon proposera du 1er au 11 octobre 2020, de nouveaux événements (parcours thématiques, conférences de presse, shows de présentation, concerts, spectacles, conférences, ateliers…) et accueillera l’édition 2020 de Movin’On, le sommet de la mobilité durable lancé par Michelin qui se tenait jusqu’à présent à Montréal et qui rassemble des milliers de professionnels, grandes entreprises, start-ups, ONG, autorités publiques, chercheurs… En parallèle, un festival “hors les murs” prévoit différentes animations : des centres d’essais de véhicules et d’expérimentation de nouvelles solutions de mobilités, des démonstrations de véhicules autonomes, un événement autour de la mode et du design (en lien avec la Paris Fashion Week), un autre destiné aux femmes… Sans oublier le FISITA World Mobility Summit, le congrès annuel de la Fédération internationale des sociétés des ingénieurs techniques automobile qui se tiendra à Paris pendant le Mondial de l’auto 2020.
Le modèle de Las Vegas
Le benchmark des salons concurrents n’a pas été une grande source d’inspiration pour les consultants, car « aucun des grands salons de l’automobile n’a encore engagé sa mue, Paris va être le premier salon à le faire », explique Guéric Jacquet. Il souligne aussi que « le budget des grands salons est un secret bien gardé, qui rend la reconstruction des business models difficile ».
En revanche, « nous avons trouvé beaucoup d’inspiration dans l’évolution des grands salons de la tech, tels que le CES de Las Vegas, ou Movin’On, un événement dédié aux acteurs de la mobilité, ou encore Vivatech, qui sont tous des événements hybrides, à mi-chemin entre salons commerciaux et événements festifs – avec des shows, des concerts et autres animations –, think tank et lieux de rencontre et d’échange – où des keynote speakers viennent présenter des réflexions stimulantes pour l’ensemble de l’écosystème ».
C’est cette nouvelle formule qui a été approuvée par les représentants de la filière. Et les grandes lignes de ce « festival multi-événements », qui sera « une grande fête de l’automobile, de la moto et de la mobilité », selon les termes du communiqué, ont été présentées au cours d’une conférence de presse le 25 juin dernier.
Pour Guéric Jacquet, le principal défi de cette « très très belle mission » consistait à « proposer à une maison vénérable – qui a organisé en 2018 son 120e salon – d’avoir une réflexion disruptive », « c’était un véritable challenge ».
Toutes les idées disruptives émises par son équipe ont-elles été approuvées ? Réponse de Normand de l'intéressé : « Une mission réussie est celle où les clients s’approprient nos recommandations et les intègrent dans leur propre vision et leur propre schéma. »
Miren Lartigue pour Consultor.fr
Crédit photo : Rutger van der Maar 1934 Renault Nervasport Land Speed Record Car Mondial de l'Auto Paris 2018 par Rutger van der Maar CC BY 2.0
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