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Enquête – Diamant : la blockchain de De Beers menacée par le BCG

 

Max Adel Rady, un ancien consultant du cabinet en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, qui vit désormais en France où il achève sa thèse, reproche au cabinet de s’être approprié son travail de recherche et de l’avoir empêché de le valoriser en externe, notamment auprès de Rio Tinto.

Licencié depuis, il a porté plainte le 13 mars 2020 à New York. Sauf accord à l’amiable, un procès pourrait s’ouvrir prochainement. Ni le BCG, ni De Beers, sollicités pour cet article par Consultor, n'ont souhaité commenter.

 

Benjamin Polle
30 Avr. 2020 à 16:38
Enquête – Diamant : la blockchain de De Beers menacée par le BCG

 

Lorsqu’il rentre au BCG en 2016 à Londres, Max Adel Rady est le détenteur d’un master en informatique. En parallèle d’un emploi d’analyste à la Citi, il suit depuis 2010 un programme universitaire combiné master-doctorat au King's College à Londres.

Une carte d’identité numérique pour chaque diamant

Il y développe une carte d’identité numérique qui assurerait la provenance, l’authenticité et la traçabilité de composants électroniques, de médicaments, de minerais, d’antiquités, d’objets de luxe, et ce dans un système blockchain totalement décentralisé.

Une poule aux œufs d’or pour nombre d’industries en proie à de massives contrefaçons et pour celles qui sont incapables de garantir la provenance éthique de leurs produits !

Pourtant, ses débuts au sein du cabinet n’ont rien à voir avec la contrefaçon. À Londres, il a intégré l’équipe du Boston Consulting Group Digital Ventures, le studio d’incubation et d’innovation de nouvelles activités en phase d'amorçage à destination des grands groupes internationaux, créé par le BCG en 2014 aux États-Unis. C’est dans ces fonctions qu’il est par exemple staffé en mai 2017 à Paris sur le projet de développement d’une intelligence artificielle à même de reconnaître le type de véhicule qui se présente aux péages autoroutiers.

Il ne reste pas longtemps dans la capitale française. Dès novembre, il rejoint les équipes du BCG Gamma à New York. Là, il participe au développement d’un projet d’automatisation de production de codes informatiques. 

Dans la capitale économique américaine, ses travaux universitaires intéressent. Car depuis quelques mois, le BCG est missionné par le groupe minier diamantaire De Beers (20 000 personnes en Afrique du Sud, au Botswana, en Namibie et au Canada) pour définir et garantir une méthodologie de traçage de la provenance des pierres précieuses.

Max Rady explique préparer le dépôt d’un brevet. « À ce moment-là, M. Rady n’est pas protégé par la loi américaine sur les brevets contre une violation de propriété intellectuelle, mais le dépôt préalable fait en décembre 2017 et l’obtention éventuelle d’un brevet en novembre 2019 lui garantissent la confidentialité de ses recherches », assure aujourd’hui à Consultor maître Steven E. Tiller, l’avocat de Max Rady.

Rendez-vous à Paris

Sa cheffe au BCG Gamma, Andrea Gallego (partner et CTO de BCG Gamma) et Sesh Iyer, un partner à Washington, sont mis dans la confidence. Et suggèrent de le mettre en lien avec Sylvain Duranton, le partner parisien qui est également le global leader de BCG Gamma, pour l’aide que Max Rady pourrait apporter à Midnight, le nom de code de la mission conduite pour De Beers.

Sylvain Duranton, joint par Consultor, a indiqué que « le cabinet ne fait aucun commentaire sur ce sujet ». Sylvain Duranton et Max Rady se rencontrent à Paris le 9 janvier 2018. Le partner français se montre très impressionné par la qualité de la technologie développée par Max Rady et indique qu’il en informera Arun Ravindran et Romain de Laubier, les partners à Boston et à Paris en charge du projet Midnight. Une semaine plus tard, le 18 janvier 2018, Arun Ravindran écrit à Max Rady.

C’est le début d’une série d’échanges téléphoniques et de mails, que relate la récente plainte déposée à New York dans laquelle les avocats de l’ancien consultant font le récit des griefs reprochés au BCG et à De Beers par l’ancien consultant.

Au cours de ces semaines du début 2018, plusieurs choses apparaissent clairement à Max Adel Rady. Arun Ravindran fait état de l’avancement difficile d’une solution d’authentification de bout en bout des pierres précieuses pour De Beers. Arun Ravindran comprend clairement que les travaux de Max Rady n’ont pas été développés dans le cadre de ses fonctions au BCG. Enfin, les attentes de Max Rady en échange de leur utilisation dans le cadre de la mission De Beers sont limpides : la contractualisation d’une licence d’utilisation de la technologie.

Le consultant est approché par Rio Tinto

La contractualisation avec le BCG se fait d’autant plus pressante que, le 7 mars 2018, Max Rady est approché via son réseau universitaire par le groupe minier anglo-australien Rio Tinto. Le groupe minier lui fait savoir qu’il est intéressé par une licence sur sa technologie pour leur propre usage.

Ce dont Max Rady fait état à sa supérieure, la partner Andrea Gallego au BCG Gamma. Qui le met en relation avec Sophie Pradere, conseil juridique senior au BCG à Londres, une Française passée par l’ESSEC, Assas et la Sorbonne. Sophie Pradere conseille à Max Rady de ne pas donner suite aux approches de Rio Tinto qui pourraient être vues par De Beers comme un conflit d’intérêts. Max Rady renonce.

« À aucun moment, Max Rady n’a fait preuve de naïveté puisqu’à de multiples occasions, il lui avait été confirmé que tous ses échanges resteraient confidentiels », dit maître Steven E. Tiller.

Sauf que le 11 mai 2018, Arun Ravindran publie sur le réseau de communication interne au BCG un article paru dans ComputerWorld la veille sur le lancement de Tracr, un outil de suivi de diamants de la mine jusqu’au point de vente au détail.

En colère, Max Rady confronte immédiatement Arun Ravindran sur les similarités entre Tracr et son propre projet de dépôt de licence. Le 14 mai, il fait aussi état de ses inquiétudes à Andrea Gallego, Sylvain Duranton, Arun Ravindran et Romain de Laubier. Le projet de licence de sa technologie par le BCG lui paraît plus que jamais imminent, mais ne se concrétise pas. Le 26 septembre, il adresse au BCG une mise en demeure par avocat interposé invitant le cabinet à cesser toute exploitation indue de ses recherches. 

Quelques jours plus tard, le 4 octobre, cela ne l’empêche pas, selon lui, de recevoir lors de son entretien annuel d’excellentes appréciations de ses supérieurs, qui jugent son parcours au sein du cabinet au-dessus de la moyenne. Coup de tonnerre : le 31 octobre, il est brutalement licencié sans autre forme de procès.

Un consultant du BCG prend son parti et alerte De Beers

Ce que lui perçoit comme une mesure de rétorsion évidente de la part de sa hiérarchie. Un soupçon qu’un curieux message reçu sur LinkedIn quelques mois plus tard renforce considérablement.

En novembre 2019, quand il partage la bonne nouvelle de l’obtention d’un brevet pour sa technologie, un compte anonyme créé par « un des collaborateurs du projet Midnight » lui écrit le message suivant : « La plupart d’entre nous au bureau de Londres avaient vu ta publication sur LinkedIn qu’on n’a pas pu commenter pour des raisons de sécurité. C’est la raison pour laquelle je ne t’écris pas avec mon vrai nom. Ton post a confirmé ce que la plupart d’entre nous suspectaient lorsque tu es parti du BCG, à savoir que ton projet de brevet a été utilisé dans Midnight. J’étais l’un des collaborateurs sur Midnight et moi et d’autres avions trouvé que quelque chose de bizarre se tramait l’an dernier après ton départ et nous nous sentions mal à l’aise que le management nous demande de nous tenir tranquilles et de poursuivre le travail. »

Un lanceur d’alerte anonyme qui va jusqu’à déposer une main courante sur le site d’alerte spécifiquement développé par De Beers à l’attention de tous ses salariés et parties prenantes pour que « De Beers sache que le BCG t’avait chouré ton brevet ».

Dans la foulée, le 22 novembre 2019, Max Rady adresse un courrier à Bruce Cleaver, le CEO de De Beers, ainsi qu’à Rich Lesser, le CEO du BCG, faisant état de son inquiétude concernant de possibles violations de propriété intellectuelle. Sans aucune réponse de leur part.

D’où la plainte déposée le 13 mars 2020 à New York dont la presse en France faisait état le 23 avril (Africa Intelligence). Elle a d’ores et déjà donné lieu à de brefs échanges techniques entre les avocats des trois parties. Une phase d’échanges de documents et de prise de déposition s’ouvrira bientôt. Sans accord à l’amiable en amont, un procès pourrait prochainement s’ouvrir.

Ce que le BCG et De Beers risquent

Quelles sont les chances de Max Rady d’obtenir gain de cause contre le BCG et De Beers pour violation de brevet et utilisation abusive d’informations couvertes par le secret des affaires comme il en fait la demande dans sa plainte ?

En France, pour l’avocate en propriété intellectuelle et industrielle, Marie Escat, « ce consultant devrait faire la preuve que ses recherches n’ont pas été faites dans le cadre de ses fonctions et les raisons qui l’ont amené à montrer ses recherches à ses supérieurs. Il faudrait également qu’il fasse la preuve que les informations communiquées ont fait l’objet d’une clause de confidentialité. Dans ce cas, si le cabinet de conseil avait violé une clause de confidentialité, la faute serait établie et l’industriel pourrait être jugé de bonne foi. Dans le cas contraire, en matière de droit de propriété intellectuelle et industrielle français, tout n’est pas protégeable. La propriété intellectuelle, c’est le droit d’auteur. La propriété industrielle, ce sont les marques, dessins et modèles. Les idées ne sont pas protégeables ».

En attendant un éventuel procès aux États-Unis, depuis son lancement, Tracr a été rejoint par le concurrent russe de De Beers, Alrosa – tous deux contrôlant deux tiers de la production mondiale de diamants bruts – et plusieurs distributeurs. Une initiative globale dont De Beers fait la promotion urbi et orbi à laquelle un procès en plagiat mettrait un coup d’arrêt.

Dans un cas similaire, en France, « si une violation d’un droit de propriété intellectuelle ou industrielle était établie, un industriel pourrait être reconnu coupable de contrefaçon, risquerait de payer des dommages et intérêts et de stopper la commercialisation du produit incriminé ». 

« C’est leur décision, pose maître Steven E. Tiller. Nous considérons que poursuivre la commercialisation constituerait une violation de la propriété intellectuelle de notre client. »

Benjamin Polle pour Consultor.fr

 

Boston Consulting Group Sylvain Duranton
Benjamin Polle
30 Avr. 2020 à 16:38
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