Énergie : la course à l’hydrogène vert s’accélère
Applications industrielles, propulsion de bus, de camions, de navires marchands, d’avions : l’hydrogène est souvent présenté comme l’alternative propre aux hydrocarbures.
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Ce n’est pas nouveau : ce fut déjà le cas après le premier choc pétrolier, puis dans les années 1990 quand le changement climatique commençait à gagner en poids politique. Mais cette fois-ci pourrait être la bonne. Un consortium, rendu public en 2021, entend faire sortir de terre une filière européenne d’hydrogène décarboné au prix des énergies fossiles. Corporate Value Associates y a joué un rôle de chef d’orchestre. Récit d’une mission pas comme les autres.
Le 13 juillet dernier, ArcelorMittal signait un accord avec le gouvernement espagnol prévoyant un investissement d’un milliard de dollars visant à réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre sur son site de production de fer à Gijón dans les Asturies (nord-ouest espagnol), grâce à l’apport en hydrogène dont il bénéficiera à l’avenir.
ArcelorMittal se positionne ainsi comme un des premiers usagers de la filière européenne d’hydrogène vert que le consortium Hydeal Ambition entend faire sortir de terre. Début 2021, trente industriels annonçaient en effet leur intention de produire 3,6 millions de tonnes d’hydrogène vert par an et de les distribuer dans plusieurs pays européens (Espagne, France, Allemagne) via 7 000 kilomètres de canalisations développées (dont une partie par réaménagement d'infrastructures gazières existantes), et ce d’ici 2030. Ce qui en ferait le projet de production d’hydrogène vert le plus ambitieux au monde.
Derrière ce projet, une figure française de l’énergie renouvelable, Thierry Lepercq, et un client de longue date de CVA. Convaincu du potentiel de l’énergie solaire très tôt, Thierry Lepercq crée en 2006 SolaireDirect, société de construction, d’exploitation, de maintenance et de financement de parcs solaires aux quatre coins du globe. Elle lui sera rachetée en 2015 par Engie au terme du déploiement de cinquante-sept parcs solaires.
Une relation de longue date
C’est chez EDF où le cabinet est un consultant récurrent, par exemple sur la filière nucléaire, que Thierry Lepercq fait la connaissance de CVA, et notamment de ses associés énergie, Matthieu Crest et Joël Poher. La relation n’a plus cessé depuis.
Ensemble, ils travaillent au développement du parc solaire de Thouars dans les Deux-Sèvres (inauguré en 2014, à même d’alimenter 2 360 foyers hors chauffage). Ils travaillent alors au côté de la présidente de la région Poitou-Charentes, Ségolène Royal, à un modèle original de société d’économie mixte dans laquelle SolaireDirect assumait une partie des 11 millions d’euros d’investissement.
C’est en Provence-Alpes-Côte d’Azur, quelques années après, une fois SolaireDirect revendue à Engie, et après que Thierry Lepercq était devenu directeur de l’innovation d’Engie et avait intégré le comex du groupe, que CVA et Thierry Lepercq poursuivent leur relation. Ensemble, ils démontrent que les cinq millions d’habitants de la région pourraient fonctionner entièrement avec les énergies renouvelables dès 2030, et à moindre coût par rapport au mix énergétique fossile d’alors.
C’est le déclic de l’hydrogène. « Le système en PACA ne fonctionnait qu’à 85 % en autarcie énergétique avec l’énergie solaire. L’hydrogène permettait de passer à 100 % d’autonomie », explique-t-il.
Avec CVA encore, Thierry Lepercq établit aussi plusieurs domaines d’innovation chez Engie, sur la production d’énergie décentralisée, sur les véhicules électriques (Engie acquiert EV-Box, fabricant de recharges de voitures électriques en 2017), sur la production d’ammoniaque, l’un des ingrédients essentiels des engrais à partir d’hydrogène vert (une étude de faisabilité avait été amorcée avec le groupe chimique norvégien Yara).
Mais en 2018, fin de partie chez Engie. Il quitte le groupe, faute d’avoir pu y faire avancer ses vues, notamment sur l’hydrogène.
« Comme pour le solaire quinze ans plus tôt, je me suis fixé un objectif clair : créer le premier leader mondial de l’hydrogène qui puisse produire autant d’énergie que le pétrole, le charbon et le gaz, au même prix. Le pari de la décarbonation est central. Sinon, ici, bientôt, on sera sous l’eau, il faut faire quelque chose », dit-il en pointant la terrasse parisienne où il reçoit Consultor.
HyDeal sort de terre
Ce sont les débuts d’HyDeal. Et le retour du consultant favori de Thierry Lepercq : CVA. Une relation très suivie avec CVA qui tranche avec le jugement plutôt moyen qu’il a constitué avec le temps sur l’apport que les consultants en stratégie peuvent avoir dans les organisations. « Souvent, les consultants sont là pour habiller les décisions prises par les CEO. Ils sont dans des positions impossibles. »
CVA fait donc exception. Le cabinet intervient par deux fois dans la constitution du consortium, de septembre à novembre 2020, puis de janvier à mars 2021. Une équipe resserrée y est affectée : un partner, Matthieu Crest, un manager, un consultant senior et un consultant junior, « que des 'premières langues' énergie », s’amuse Matthieu Crest.
Six mois pour jouer un double rôle d'architecte ensemblier sur le sujet de la modélisation du consortium, sur la formalisation de contrats de fourniture d’hydrogène de long terme et la définition des modèles d’affaires d’infrastructures d’hydrogène.
CVA n’était d’ailleurs pas le seul consultant mobilisé tant les enjeux sont lourds : le premier volet espagnol de la filière européenne d’hydrogène appelle 9 milliards d’euros d’investissements, et HyDeal dans son ensemble table sur 100 milliards d’euros d’investissements. Sont également intervenues Clifford Chance, la société d’avocats, sur l’établissement des contrats, et la banque d’affaires Cranemore partners, sur le financement du projet en dette et en equity.
Charge à CVA cependant de réussir à mettre en musique toutes les parties prenantes du consortium : développeurs de capacités électriques solaires, fabricants d’électrolyseurs, transporteur de gaz, fonds d’infrastructures, avec son lot de visioconférences à 100 personnes ou plus.
« Le consortium a été mis sur pied de manière purement méthodique, ce qui correspond bien à la manière de faire de CVA, estime Thierry Lepercq. Dans un premier temps, les participants m’ont dit “c’est une usine à gaz ce truc, ça ne marchera jamais”. La grande différence est que nous avions dès le démarrage une vision claire : un système de distribution et de production d’hydrogène au prix de 1,5 euro le kilo. Autre différence : tous les participants disaient en avoir besoin pour leur business. »
Cette phase de modélisation de deux ans est arrivée à son terme en mai dernier. Vient à présent l’opérationnalisation. Le premier des sites de production d’hydrogène doit sortir de terre au nord de l’Espagne, d’ici 2025.
Ce qui ne veut pas dire que le sujet hydrogène est clos pour CVA, bien au contraire. « On est à un moment historique de la production d’hydrogène vert pour deux raisons. La très forte décroissance des prix des énergies renouvelables. Ils étaient à plus de 100€ à 150€ mégawatt-heure pour des projets solaires en Europe du Sud avant 2010. Ils vont être à moins de 20 euros du mégawatt-heure. Puis, il y a les bonnes perspectives de baisse des coûts de l’électrolyse (qui décompose l'eau en dioxygène et dihydrogène gazeux, ndlr) avec la massification de la taille des projets et l’apparition de 'gigafactories' chez les équipementiers », dit Matthieu Crest, partner énergie chez CVA et tête de pont de la mission HyDeal.
Pour quelques années encore, l’associé estime que l’hydrogène appellera des missions de réflexion stratégique. D’ailleurs, l’ampleur d’HyDeal a fait des curieux : le cabinet a récemment travaillé à répliquer le modèle de consortium en Californie. L’hydrogène représente pour l’heure 10 % environ des missions de la practice énergie et utilités de CVA dans le monde.
Cinquante nuances d’hydrogène
L’hydrogène peut être extrait de diverses sources, plus ou moins polluantes :
Les plus polluantes
- Hydrogène brun : extrait du lignite, un charbon jeune.
- Hydrogène noir : extrait du charbon.
Les moins polluantes
- Hydrogène gris : extrait du méthane.
- Hydrogène bleu : extrait du méthane, avec stockage du dioxyde de carbone émis.
Encore moins polluantes
- Hydrogène vert : par électrolyse de l’eau, l’électricité utilisée étant d’origine renouvelable hydraulique, éolienne ou photovoltaïque.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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