Assurance : un secteur devenu plus « shiny » pour les consultants ?
Segment significatif des services financiers au sein des cabinets de conseil, l’assurance n’est pas le secteur qui attire le plus. Euphémisme ? Top départ d’une exploration… sans trop de risques !
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En 2022, selon l’ACPR — Banque de France (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution), le marché de l’assurance a généré un chiffre d’affaires de 330 milliards d’euros, en hausse de 0,5 % par rapport à l’année précédente. Un marché français qui, par sa taille de bilan (2 748 milliards d’euros), est le premier d’Europe, devant l’Allemagne et l’Italie.
En contrepoint de ces données chiffrées, les évolutions sociétales auxquelles l’activité assurantielle contribue pourraient changer le regard porté traditionnellement sur le secteur, dans le monde du conseil et au-delà.
On le dit peu « sexy », pourtant, le secteur de l'assurance fait peau neuve en accélérant sa transformation digitale, marketing et son internationalisation. Le monde de l'assurance, serait-il un peu trop ringard et franchouillard pour les consultants ? Le secteur souffre encore de son image d’Épinal, notamment auprès des jeunes diplômés. Rien ou presque rien n'aurait donc changé depuis les tribulations de Séraphin Lampion, l'agent d'assurance embarrassant des albums de Tintin ?à lire aussi
L’immatérialité des produits et un sentiment d’inertie, deux freins à l’engagement ?
Parmi les associés interviewés par Consultor — issus des cabinets Ares & Co, Kéa, Oliver Wyman et PMP Strategy —, les perceptions diffèrent quant à l’attractivité de l’assurance. Là où les « multisectoriels » relèvent une réticence des nouvelles recrues, les « spécialistes » s’étonnent presque de la question qui leur est posée ! En effet, les profils se destinant à évoluer spécifiquement dans l’univers des services financiers appréhendent sans doute le secteur assurantiel de façon plus fine.
Néanmoins, la plupart des partners interrogés s’accordent sur le fait que les produits assurantiels sont peu palpables. « Quoi de plus immatériel qu’un contrat d’assurance ? » interroge Yves Pizay, partner chez Kea et expert du secteur. « Il est plus facile de comprendre ce que l’on fait quand on intervient pour une marque de luxe. » Et c’est plus glam !
Sur cet aspect peu tangible, Arthur Chabrol, partner assurance et gestion d’actifs chez Oliver Wyman, a toutefois un avis différent. « Les sujets de protection sociale parlent beaucoup aux consultants — santé, prévoyance, retraite. » Les débats et réformes qui ont secoué la société française récemment ont sans doute eu un impact significatif, les jeunes diplômés et néo-consultants pouvant ne pas être sensibles d’emblée à ces sujets « de la maturité ».
Dans les freins à l’appétence pour le secteur, Gilles Fabre, partner chez Ares & Co, expert des services financiers, mentionne pour sa part le fait que l’assurance « soit toujours perçue comme un secteur old school par les jeunes consultants et assez peu shiny ». Selon lui, la réalité est pourtant tout autre. Ce qui est vrai en revanche, c’est que « les actions de fond engagées par les assureurs s’inscrivent moins dans l’immédiateté que dans certains secteurs, avec des résultats visibles sur le long terme. En effet, 80 % de leur chiffre d’affaires est stabilisé chaque année », souligne-t-il. Un temps long qui télescope l’instantanéité à laquelle les aspirants-consultants sont habitués.
Mais qu’en est-il du secteur voisin, à savoir la banque ?
Là où une partie des produits bancaires font partie du quotidien via des applis notamment (banque de détail), les produits assurantiels se souscrivent ou renouvellent à l’année, souvent dans un contexte d’obligation. D’ailleurs, « l’assurance est l’un des seuls produits que l’on achète pour ne pas avoir à s’en servir », fait remarquer Yves Pizay.
Quant à Cyril Gay Belan, partner chez PMP Strategy, spécialiste des services financiers, il met en exergue l’élément suivant : « les success-stories de fintech relèvent davantage de la banque ». Impossible de toutes les nommer, mais on pense notamment à Lydia ou Leetchi, Hypay ou Spendesk. Il en existe toutefois dans le secteur de l’assurance — comme Alan, une néo-complémentaire santé.
Sur la potentielle plus grande attractivité de la banque toujours, un autre facteur est à prendre en compte selon Arthur Chabrol : la notion d’historicité. « Le secteur bancaire a entamé sa révolution réglementaire bien avant l’assurance. Il a donc fait appel au conseil en stratégie plus tôt, et les équipes “bancaires” dans les cabinets sont un peu plus fournies. » Le partner souligne toutefois que la distinction entre banque et assurance est de plus en plus délicate à faire, « la banque étant un distributeur de produits d’assurance extrêmement puissant ».
Un caractère ultra conceptuel qui peut décourager
Si les métiers de l’assurance comportent une forte dimension juridique, ils sont aussi très conceptuels. « Cela requiert une forme de pensée spécifique », estime Yves Pizay. Selon Cyril Gay Belan, « certains consultants anticipent une barrière à l’entrée. L’assurance est associée au métier d’actuaire, avec beaucoup de statistiques, il faut pouvoir comprendre toute la mécanique financière sous-jacente pour exercer au mieux son métier de consultant en stratégie. » Yves Pizay renchérit : « il est plus aisé de faire le P&L d’une usine que celui d’une compagnie d’assurances ». Toutefois, cela s’apprend. Le compte d’exploitation ou le bilan d’un assureur ne sont pas exactement les mêmes que ceux d’une entreprise plus classique, mais il n’y a là rien d’indépassable.
Par ailleurs, toutes les missions ne sont pas techniques dans l’assurance. « Le produit assurantiel est parfois considéré comme un produit lambda qui doit être commercialisé au travers de réseaux physiques ou digitaux », rappelle Cyril Gay Belan. Cela peut d’ailleurs être un avantage… ou un inconvénient. « Ce n’est pas parce qu’un consultant va travailler sur la distribution d’un produit ou le marketing client d’un assureur qu’il va pouvoir comprendre comment les primes d’assurance sont réaffectées. »
Si l’on reste dans une optique de complexité néanmoins, la dimension réglementaire vient immédiatement à l’esprit. « Chez Kea, nous faisons en sorte de positionner les consultants sur des sujets où ils contribueront au développement de leur client ou, si possible, sur des sujets sociétaux, comme la responsabilité d’entreprise en lien avec le climat, la santé et la prévoyance. » Pour Yves Pizay, « devoir travailler à la mise en place d’un S2 de l’ORSA [Own Risk and Solvency Assessment, ndlr] ou préparer l’application de la nouvelle réglementation DORA [sur la résilience opérationnelle numérique, qui entrera en vigueur en 2026, ndlr] serait tout de même moins stimulant que de repenser des business models performants, durables et souhaitables à court, moyen et long terme ».
Un secteur qui œuvre à bâtir un monde soutenable, de façon structurée
Tant de questions clés se posent aux assureurs, faisant écho à la problématique de sens mise en avant par les jeunes professionnels — et les moins jeunes — dans le monde du conseil et au-delà.
Or, « le sens n’est pas nécessairement associé à l’assurance », souligne Cyril Gay Belan de PMP Strategy, « alors même que le sujet climatique est un sujet assurantiel ! » Pour adresser certains défis liés au climat, « la capacité à modéliser est essentielle », et c’est bien l’assurance qui est à la manœuvre.
Dans une perspective un peu différente, Mathieu Sébastien, partner assurance et gestion d’actifs chez Oliver Wyman, insiste sur « l’orientation des investissements que les assureurs peuvent opérer, en tant que premiers financeurs de l’économie française ». Un sujet qui devient assez mature selon lui et sur lequel son cabinet accompagne les assureurs depuis plusieurs années. Sachant que ces derniers « disposent également de leviers via leurs portefeuilles d’assurance, en orientant leur politique de souscription, ce qui est plus récent ».
Quant à Gilles Fabre d’Ares & Co, il estime qu’avec la multiplication de certains événements climatiques, « toute la proposition de valeur peut être repensée ». Un exemple : quand une tempête a emporté la toiture d’une habitation, pourquoi ne pas avancer sur l’isolation du logement, au-delà de la simple réparation du toit ?
Des missions « positivement » surprenantes, et des réflexions stimulantes à produire
Dans le cadre de l’assurance comme pour d’autres secteurs, la variété des missions à accomplir dote les consultants d’une agilité significative pour la suite. « On peut faire du marketing ou de l’animation commerciale versus de l’actuariat, du réglementaire ou de la conformité, avec tout l’éventail intermédiaire, et les nouvelles technologies disponibles (comme l’IA) pour le faire », souligne Yves Pizay.
Certaines typologies de missions étonnent par ailleurs les consultants. « Quand on évoque devant les consultants le travail que l’on peut faire pour un État, sur les moyens d’améliorer la collecte de l’assurance pour s’assurer que certains pans de l’économie ou certains segments de la population soient mieux protégés, en influant grâce à la réglementation, notre auditoire se montre très intéressé », assure Cyril Gay Belan.
De son côté, Gilles Fabre met l’accent sur la diversité des réseaux de distribution de l’assurance, quasiment inégalée ! « Quand on mène des réflexions de ce type, on n’est pas uniquement sur deux modèles, la vente physique et celle sur le web. » Le champ des possibles est donc beaucoup plus important.
La variété des métiers est également significative. « Entre l’assurance-vie qui va chercher des supports d’investissements solidaires et des équipes de gestion de sinistre corporel, composées de psychologues, de rééducateurs, d’architectes pour réaménager des appartements… il y a un monde. » Et ces métiers sont en totale mutation ! Alors que, dans d’autres industries, la digitalisation concerne surtout la distribution, dans l’assurance « toute la chaîne de valeur est concernée ». Cela stimule l’innovation produit notamment, avec les assurances cyber ou liées aux nouveaux modes de mobilité par exemple.
Une mutation que l’on retrouve sur le modèle d’affaires, ce qui génère des réflexions sur les raisons d’être. Comme l’indique Gilles Fabre, « Allianz ou Axa équipent leurs clients avec une multitude de produits qui leur appartiennent ou sont conçus par d’autres en capitalisant sur la relation client et la force de la marque. La Wakam [ex-Parisienne de l’assurance, ndlr], elle, est en marque blanche et capitalise sur son point fort, l’expertise produit et la technologie, en développant des partenariats et des assurances spécifiques ».
Sachant que le secteur assurantiel comporte « de nombreux acteurs, avec un niveau de concurrence très élevé » — complète Mathieu Sébastien d’Oliver Wyman. D’où le dynamisme du secteur en matière de missions, pour les cabinets de conseil.
Un accès privilégié aux plus hautes fonctions dans l’assurance
C’est en effet l’un des « plus » de l’assurance, au sein des services financiers : alors que les dirigeants des grandes banques viennent quasi exclusivement du secteur lui-même (pour le comex des groupes du CAC 40 du moins), ceux des grands groupes assurantiels ont un profil plus diversifié et sont, très régulièrement, issus du conseil en stratégie.
Quelques exemples : Thomas Buberl, le DG d’Axa, ancien des bureaux de Zurich, Munich et Chicago du BCG, et Patrick Cohen, DG marchés Europe et santé d’Axa, ex-DG du groupe, qui avait rejoint McKinsey en 2004 en travaillant pour de grandes institutions d’assurance. Ou encore Philippe Arnaud, DG de la filiale Santé prévoyance du Groupe April et ancien du BCG durant 4 ans. Des débouchés qui peuvent faire réfléchir celles et ceux ne se destinant pas au conseil, in fine.
Parfois, le passage du conseil à un groupe assurantiel se produit rapidement. C’est le cas pour Alexandre Appfel, issu d’Ares & Co, qui a fait ce choix après être resté 4 ans au sein du cabinet. Depuis mars 2023, il exerce les fonctions de Responsable Projets stratégiques chez Axa. Une orientation motivée par l’intérêt des missions — qui lui ont permis de découvrir le secteur — et par le fait que le marché « bouge énormément actuellement, avec de gros enjeux et un impact sur l’ensemble de la chaîne de valeur ».
Selon lui, les besoins de conseil y sont très importants, notamment « sur la protection de la société, dans un contexte de changement et de réchauffement climatique ». Rejoindre Axa, c’était aussi « avoir une voix qui porte sur ces sujets ».
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Si le secteur de l’assurance comporte une part d’immatérialité, y compris pour celles et ceux qui se destinent au conseil en stratégie ou y font leurs premiers pas, les enjeux sociétaux qu’il prend à bras-le-corps le rendent de plus en plus tangible. Certes, en y réalisant des missions, les aspirants-consultants et jeunes recrues du conseil ne deviendront pas des « super-héros ». Et pourtant, c’est peut-être en travaillant à la protection des particuliers et de l’économie qu’ils joueront le rôle le plus important… La référence aux Indestructibles* est offerte.
* Dans Les Indestructibles, M. Indestructible, Robert Parr, est devenu agent d’assurances après que les super-héros ont été déclarés hors-la-loi. Si l’aide qu’il apporte à ses clients lui tient à cœur, l’ancien super-héros s’oppose régulièrement au directeur de Megassurance (la compagnie d’assurances pour laquelle il travaille), ce dernier étant sans scrupules.
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