Banques : causes et conséquences de faillites à répétition
Dix jours sous haute tension : de part et d’autre de l’Atlantique, le secteur bancaire a été emporté par une crise de confiance qui a vu deux banques américaines de second rang sauvées par le régulateur et l’absorption du Credit Suisse par UBS diligentée à marche forcée par les autorités helvètes. Deux partners spécialistes des services financiers livrent à Consultor leurs analyses de la plus sérieuse crise depuis 2008.
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Dimanche 19 mars au soir, Credit Suisse, une des trente banques systémiques au monde, dites too big To fail, sous le coup d’un bank run (10 milliards de francs suisses de dépôts retirés en fin de semaine dernière), a été reprise au rabais par UBS. Leur union-éclair crée au passage un géant bancaire de 120 000 personnes et 5 000 milliards de dollars d’actifs.
En cause, les « faiblesses substantielles » reconnues par le Credit Suisse dans ses contrôles internes. Ces déficiences avaient forcé l’entreprise à décaler la publication de son rapport annuel et dirigeant de la Banque Nationale saoudienne, le premier actionnaire de Credit Suisse, avait indiqué qu’il ne comptait « absolument pas » augmenter sa participation.
La séquence a fait plonger le cours. Surtout qu’elle intervenait dans un marché déjà très inquiet des risques de contagion après la faillite de la banque américaine Silicon Valley Bank.
En effet, quelques jours auparavant, vendredi 10 mars, la SVB avait été reprise par le fonds américain de garantie des dépôts bancaires, FDIC. Proche des milieux de la tech, SVB s’est soudainement retrouvée en difficulté après l’annonce de la vente de titres financiers, avec une importante perte à la clé, comme le rappelle l’AFP. La banque devant faire face à des retraits massifs, les autorités ont estimé qu’elle était insolvable et ont pris le contrôle de ses actifs.
Pire, dans le sillage de la SVB, c’était au tour de la Signature Bank d’être reprise par la FDIC, le 12 mars. Ce second établissement a d’ores et déjà trouvé un repreneur : ses 40 agences et 88 milliards de dollars de dépôts ont rouvert dès lundi 20 mars sous la bannière de Flagstar Bank. Ce qui n’est pas encore le cas pour SVB.
La séquence n’en reste pas moins la crise la plus sévère connue par le secteur bancaire depuis 2008. Laure Lemaignen, partner institutions financières chez PMP Strategy, et Bruno de Saint-Florent, associé en charge des services financiers chez Monitor Deloitte, livrent à Consultor leurs analyses des raisons de cet emballement et ses possibles conséquences.
Consultor : 10 jours, 3 crashs bancaires, et un gros remue-ménage des banques centrales de part et d’autre de l’Atlantique. Pourquoi pareil emballement ?
Laure Lemaignen : Les enjeux sont à la fois idiosyncrasiques et sectoriels. Côté SVB, la remontée des taux et la concentration de ses investissements dans la tech américaine ont eu un impact direct. Ce qui est très différent du Credit Suisse, dont la taille de bilan est autrement plus importante et qui a connu des difficultés opérationnelles et réputationnelles ces dernières années. En revanche, ces déconfitures ont en commun une crise de confiance et un phénomène de bank run exacerbé par la technologie qui font que les déposants peuvent retirer leur argent des banques beaucoup plus rapidement que par le passé.
Bruno de Saint-Florent : Ce qui s’est déclenché des deux côtés de l’Atlantique en quelques jours est une sorte de « départ de feu » bancaire. Il y a d’abord une baisse de valeur ou un doute sur la valeur de certains actifs, qui se combine avec un stress sur la liquidité qui peut être mortel pour une banque. La suite possible est un engrenage : si telle ou telle banque est en difficulté, c’est que les banques qui leur ont prêté doivent l’être aussi. Si rien n’est fait, il peut y avoir de potentielles paniques bancaires et des retraits massifs sur des banques qui n’avaient au départ aucun problème.
Les régulateurs américains ou suisses, par leurs réactions, vous semblent-ils avoir stabilisé la situation pour de bon ?
Bruno de Saint-Florent : Les banques centrales, en jouant leur rôle de prêteur de dernier ressort ou en reprenant des actifs, peuvent adresser le stress de liquidités et mettre un coup d’arrêt à l’enchaînement des peurs sur les marchés. C’est ce qui a été fait en Suisse et aux États-Unis ces derniers jours. C’est ce que permet un système bancaire structuré : la mise en place de coupe-feu lors de réactions incontrôlées initiées par un problème initial plutôt mesuré. Là où, dans les cryptomonnaies, on a pu constater une multiplication des faillites dans le sillage de FTX. La question qui se pose à présent est de savoir dans quelle mesure cette crise va remettre en cause la ligne actuelle de remontée des taux des banques centrales européenne et américaine. Elles pourraient le faire plus lentement ou même infléchir cet objectif.
Vos clients vous ont-ils sollicité en réaction à cette crise ?
Laure Lemaignen : Dans l’immédiat, les banques étaient concentrées sur leur exposition à ces faillites. C’est quelque chose qui fait partie de leurs processus internes.
Plus aucun effet domino n’est à redouter en France, en Europe ou dans le monde ?
Laure Lemaignen : Rien n’est gravé dans le marbre et il faut rester très prudent. Je note, ceci dit, que le stress généré par cette crise paraît nettement moins important que lors de l’effondrement de Lehman Brothers et l’effet de contagion à des acteurs et secteurs autres que la banque, comme l’assureur AIG en 2008 par exemple, est moins prononcé. De plus, l’arsenal réglementaire n’est pas le même : le dispositif réglementaire, dont Bâle III, doit permettre de limiter le risque systémique.
Une réglementation qui pourrait évoluer avec cette nouvelle crise ?
Laure Lemaignen : Parmi de nombreux critères, Bâle III ne s’applique qu’aux banques dont le bilan dépasse un seuil de 30 milliards d’euros. Je ne peux pas imaginer que nous sortions de cet épisode sans un tour de vis réglementaire supplémentaire sur les établissements bancaires qui étaient précédemment vus comme moins directement susceptibles de déclencher des risques systémiques. On constate avec cette crise que le risque systémique, que les réflexions et mesures réglementaires cantonnaient pour une grande partie autour des banques too big to fail, peut aussi venir d’établissements plus petits. Ce qu’on voit actuellement avec la forte pression qui pèse, après SVB et Signature Bank, sur une autre banque américaine, First Republic Bank. Corollaire de cette extension du périmètre sur lequel pourraient s’appliquer les règles de Bâle III ou d’autres règles : leurs coûts et exigences prudentielles. Ces règles contraignantes pourraient contribuer à remettre la question de consolidation du secteur sur le devant de la scène à plus long terme.
Bruno de Saint-Florent : Au-delà de la réglementation, le secteur bancaire européen aura besoin de se rapprocher parce qu’il est peu rentable alors qu’il est très intensif en capital. Mais en Europe, ces rapprochements se heurtent à des obstacles. Certains pays sont déjà très concentrés autour de quelques banques : 3 aux Pays-Bas, 4 en Belgique. Ailleurs, des modèles de banques coopératives ne permettent pas des OPA comme cela peut être le cas avec des banques cotées. Enfin, les synergies sont plus difficiles à trouver dans des situations transfrontalières. Hormis Fortis (la banque belge balayée par la crise en 2009 dont les activités belges et luxembourgeoises avaient été reprises par BNP Paribas, ndlr), il n’y a pas eu de fusions transfrontalières majeures entre banques universelles en Europe.
Cette crise va-t-elle affecter la stratégie des banques françaises ?
Bruno de Saint-Florent : Cette séquence met en avant la sensibilité de l’ALM (asset liabilities management, c’est-à-dire la gestion de la congruence ente les actifs et les passifs qui vise notamment à s’assurer qu’en cas de besoin une banque peut céder des actifs liquides et que ceux-ci ne soient pas vendus à perte du fait de leur duration, ndlr). Chez SVB, c’est l’équilibre de l’ALM qui est notamment en cause avec beaucoup de dépôts – toujours exigibles du jour au lendemain – qui ont dû être remboursés par la revente d’obligations à duration plus longue qui ont dû être revendus à perte du fait des évolutions de taux. On peut s’attendre à ce que davantage d’attention soit apporté à l’ALM dans les stratégies bancaires.
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